Il y a quelques temps, je vous ai proposé une série d’éditos sur les missions régaliennes de l’Etat. J’aurais aimé vous en reparler mais comme la tendance est plutôt à l’accroissement sans fin des prérogatives de l’Etat dans tous les domaines de notre vie privée, je vais devoir me plier à l’air du temps.
Aujourd’hui, je vous propose donc le premier volet d’un focus sur l’une des innombrables spécificités françaises, en l’occurrence la relation fusionnelle qu’entretiennent Etat et culture.
Et comme Jean-Pierre Pernault laisse tomber le 13 heures, je vais essayer de prendre le relais le temps de cet édito.
Combien de milliards pour la culture ?
Vous souvenez-vous du site web www.aquoiserventmesimpots.gouv.fr ? Nous en avions parlé au sujet des dépenses régaliennes de l’Etat. Je suis retourné y faire un tour pour voir ce qu’il s’y raconte au sujet de la Culture.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je ne résiste pas à l’idée de vous faire part d’une grosse ficelle tressée par les agents du ministère de l’Economie et des Finances pour vous faire adorer l’étatisme. Le site web www.aquoiserventmesimpots.gouv.fr dispose en effet d’un onglet intitulé « La redistribution : comment ça marche ? » On y parle progressivité de l’impôt, et on y trouve en particulier ce graphique :
« Sophie et François » ont de quoi être heureux, n’est-ce pas ? Ils se font ponctionner 16 920 € en prélèvements sociaux et en impôts directs ; cependant, grâce à la litanie de primes et aides auxquelles ils pourraient éventuellement prétendre, ils se voient reverser 230 € – ce qui, dans ce repère magique concocté par les fonctionnaires de Bercy, propulse leur niveau de vie presque aussi haut que leur revenu initial ! Bref, la redistribution est quasi indolore et les « zézés » n’ont vraiment pas de quoi se plaindre, n’est-ce pas ? Comme l’insécurité, le matraquage social et fiscal n’est donc qu’un sentiment – CQFD.
Revenons à nos moutons. Comme les fonctionnaires en charge de ce site ne semblent pas y avoir retouché depuis sa création, nous devons toujours nous contenter de ce graphique sommaire qui représente « ce que financent 1 000 € de dépenses publiques ».
A tout prendre, on aurait préféré un graphique avec des pourcentages, mais Bercy semble penser que cela n’est pas à la portée de M. et Mme Tout-le-monde. Cela dit, il vous suffit d’imaginer une virgule après le premier chiffre de droite de chaque « grande dépense » pour obtenir quelque chose de lisible.
En 2017, la culture (loisirs, culture et cultes) représentait donc 2,5% du budget de l’Etat. « Une paille », diront certains.
Oui et non. Oui, si l’on compare ce pourcentage à la gargantuesque portion du budget de l’Etat consacrée à la protection sociale (57,2%), mais beaucoup moins si l’on compare le budget alloué à la culture, aux loisirs et aux cultes à celui dont bénéficient la défense (3,1% du budget 2017), la sécurité (2,5%) et surtout la justice (0,4%).
En somme, la culture au sens large pèse dans le budget 2017 autant que la sécurité et 6,25 fois plus que la justice… mais il n’y a finalement là rien d’étonnant puisque, comme l’écrit le blogger h16, « on sait depuis un moment que la justice est globalement assez inutile (surtout pour le citoyen lambda, toujours honnête) alors que sa culture, elle, lui est indispensable. »
Et encore ces 2,5% du budget de l’Etat dédiés à la culture en 2017 ne sont-ils en fait que la partie émergée de l’iceberg. En effet, si l’on se reporte au dossier de presse du Budget 2020 du ministère de la culture, on constate tout d’abord un « Grand total ministère de la Culture » de 8,212 Mds€, ce qui représente 2,38% des 343,7 Mds€ du budget général de l’Etat.
Cependant, si l’on considère le budget alloué à la culture tous ministères confondus et dépenses fiscales prises en compte, on arrive à 14,198 Mds€, soit 4,12% du budget général de l’Etat. Rapporté aux 67 millions de personnes qui composent la population de la France, cela donne 212 € par habitant. Bref, le budget de la culture est plus de l’ordre de l’énorme botte qui encombre le grenier que de la simple paille.
Il y a en fait tellement de pognon à dépenser que le ministère de la Culture s’offre même depuis 1993 le luxe d’entretenir un comité d’histoire sur… l’histoire du Ministère !
Encore sans doute faudrait-il, pour arriver au budget réel de la culture, rajouter quelques brouettes de paille aux chiffres officiels…
Plan de relance : encore des sous pour la culture !
On ne va manifestement pas en rester là : la culture sera l’une des bénéficiaires des 100 Mds€ du plan de relance, avec deux milliards supplémentaires…
… une manne que Roselyne Bachelot, qui s’était promis de ne jamais refaire de politique sauf à ce qu’on lui propose la culture, a joyeusement commencé de distribuer.
Face à la Culture, certains sont plus égaux que d’autres
Revenons-en à la redistribution. Si vous pensiez que chaque Français bénéficie du budget de la culture de la même façon, j’ai une mauvaise nouvelle pour vous.
Comme dans bien d’autres domaines, lorsqu’on parle culture, il y a Paris d’un côté et le reste de la France de l’autre. J’espère donc pour « Sophie et François » qu’ils habitent l’Ile-de-France, sans quoi c’est encore eux qui payent pour un service dont ils ne peuvent que très difficilement bénéficier.
J’ai donc bien peur que pour une culture « au service de toutes et tous », comme nous le promettait Franck Riester en septembre 2019, il faille repasser.
La prochaine fois qu’un ministre vous parlera de la culture « porteuse de sens collectif et de valeurs communes [et] enjeu de cohésion sociale et territoriale », je vous invite à lui faire suivre ce tweet :
L’Etat et les bénéficiaires du budget de la culture ont tranché : ce sera plus de culture et moins de régalien !
Si vous faites partie de ces heureux Français qui habitent l’Ile-de-France (ironie), sachez que cela tombe très bien que votre région capte l’essentiel des fonds alloués à la culture au plan national, puisque votre présidente a la fibre très culturelle !
Valérie Pécresse s’est en effet vivement impliquée dans ce domaine en décidant de financer deux des films qui ont fait l’actualité cinématographique française au cours de l’année qui vient de s’écouler.
Nous avons bien sûr J’accuse, film pour lequel Roman Polanski s’est vu remettre le César du meilleur réalisateur, ce qui a valu à Valérie Pécresse de nombreux passages télé…
… mais également Les Misérables, le film de Ladj Ly dont nous reparlerons dans un prochain billet.
Les caciques du monde de la culture applaudissent bien sûr ce genre d’initiative des deux mains, nous faisant au passage remarquer qu’il n’y a aucun intérêt à ce que les ministères régaliens bénéficient de plus d’argent public à une époque où la pire chose que l’on risque, ce n’est finalement que de se faire égorger dans un hall de gare SNCF, sauter à pieds joints sur la tête par de jeunes sauvageons un peu primesautiers, ou traîner sur 800 mètres par la voiture d’un conducteur distrait.
Viendra cependant un moment où il faudra trancher car, à 120% de dette publique d’ici la fin de l’année, on ne pourra pas éternellement financer et Mathieu Kassovitz et ses petits camarades de jeu, et les postes défense/sécurité/justice…