Le projet d’union bancaire piétine. Les déséquilibres atteignent maintenant 900 milliards d’euros en faveur de l’Allemagne qui reste sourde aux idées de « pot commun ».
Le projet d’union bancaire européenne est dans l’impasse depuis fin 2015. Face à l’opposition catégorique de l’Allemagne à une mutualisation de la garantie des dépôts, la Commission a présenté le 11 octobre un projet d’union bancaire a minima. En cas de crise, la liquidité bancaire serait temporairement assurée au niveau communautaire sous forme de prêts et sous conditions d’éligibilité (nettoyage de bilan).
Aujourd’hui, j’aimerais vous raconter comment les choses ont évolué au sujet de la consolidation financière de la Zone euro depuis l’épisode précédent.
Fonds européen de garantie des dépôts : la cigale n’a toujours pas convaincu la fourmi
Le 19 avril, Emmanuel Macron rencontrait Angela Merkel à Berlin. Le président français était venu « réclamer plus de ‘solidarité financière’ en Zone euro à l’Allemagne », expliquait La Tribune. Les supplications de la cigale vis-à-vis de la fourmi ont eu un succès aussi mitigé que d’habitude.
Pour la chancelière allemande, seul l’achèvement de l’Union bancaire et des marchés de capitaux est légitime. Pour ce qui est d’une garantie européenne des dépôts, Angela Merkel a arrosé le sémillant Emmanuel Macron d’un « en même temps » d’anthologie :
« […] nous sommes également disposés à travailler à un système de garantie des dépôts. Mais nous voulons que la responsabilité et les risques soient bien tenus ensemble », a-t-elle déclaré.
En somme, pour la mutualisation de la gabegie, c’est toujours nein. Pour ceux qui auraient encore le moindre doute, Eckhardt Rehberg, « l’un des experts du dossier au sein de son parti, la CDU », explique La Tribune, a précisé qu' »il ne faut pas que l’épargnant allemand se retrouve garant des banques grecques et italiennes ». Est-ce que c’est plus clair comme ça ?
Le FMI veut lui aussi que la Zone euro dispose d’un fonds commun « pour les mauvais jours »
Le 26 mars, Christine Lagarde profitait de son discours à l’Institut économique DIW de… Berlin pour plaider en faveur d’un pot commun aux pays membres de la Zone.
Chacun « contribuerait au pot à hauteur de 0,35% de son PIB, et pourrait bénéficier à titre exceptionnel et sous condition de fonds déclenchés d’urgence en cas de coup dur ». Et la directrice générale du FMI de conclure : « pour un coût relativement modeste, une capacité budgétaire centralisée pourrait in fine réduire les effets négatifs de 50% ».
C’est plutôt bien vendu, vous ne trouvez pas ?
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je trouve que ça commence à en faire beaucoup, des projets de fonds communs pour se prémunir d’un coup dur dont on nous promet par ailleurs qu’il n’arrivera jamais…
La semaine passée, mon grand-père me racontait encore qu’à son époque, les membres des familles les plus pauvres mettaient quand ils le pouvaient une pièce dans un pot en espérant arriver à « faire un cochon » avant la fin de l’année.
Au vu de l’allure à laquelle les hauts représentants français veulent mettre en place des fonds anti-crise, cette anecdote me semble presque relever du problème de riche… Il est vrai qu’à l’époque, on ne finançait pas encore les dépenses courantes à crédit…
Face aux suggestions de la France et du FMI, la position allemande se comprend sans difficultés. Je vous propose tout de même d’en démonter les rouages.
L’Allemagne reverra-t-elle ses 900 Mds € de créances ?
Sur le plan technique, TARGET2 est la principale plate-forme pour les paiements réalisés en euros (90% de la valeur totale des règlements opérés en euros en 2016). Elle est gérée et utilisée par l’Eurosystème.
Le fonctionnement efficace de TARGET2 est le garant de la stabilité financière entre les banques centrales et les banques commerciales des Etats membres de l’UE ayant adopté l’euro. Les comptes TARGET2 sont les registres de comptes entre les différents pays de ce système de compensation : ils expriment qui doit combien à qui.
Sur le plan pratique, le jour où les divergences entre les pays seront considérées comme trop importantes, on assistera d’abord à une crise des balances des paiements puis sans doute à une crise de l’euro en tant que tel.
Le « taux de disponibilité technique du système » risque de ne plus être de 100%, c’est-à-dire que le système de paiements se grippera et la stabilité financière de la Zone euro sera une nouvelle fois remise en cause.
Le graphique ci-dessous illustre le montant de la créance ou de la dette détenue par chaque système bancaire national vis-à-vis du reste de l’Eurosystème en date du mois d’avril.
En 2017, alors que les rédacteurs de La Chronique Agora interviewaient Alan Greenspan, la Bundesbank avait prêté 780 Mds€ à la BCE pour qu’elle prête (j’allais écrire « redistribue ») principalement cet argent aux pays du sud de la Zone euro, notamment dans le cadre de son énorme excédent commercial.
A l’époque, l’ancien patron de la Fed s’inquiétait qu’un défaut de la Grèce ou de l’Italie ne déclenche in fine un run vis-à-vis de l’euro.
« Aux Etats-Unis, s’il y avait un défaut sur le dollar, le Trésor américain pourrait toujours intervenir. Par exemple, si la Réserve Fédérale faisait défaut, le Trésor le renflouerait. Mais en Europe, quels pays renfloueraient la BCE ? Il n’existe pas de moyen comparable pour aider le système. Je suis très inquiet. Mario Draghi, que je connais et qui est un type très bien, dit qu’ils feront tout ce qui est nécessaire. Eh bien, un jour quelqu’un dira ‘Je n’accepte plus d’euros' », faisait-il remarquer.
En avril 2018, l’excédent de l’Allemagne vis-à-vis du reste de la Zone euro se monte désormais à environ 900 Mds€.
On comprend donc sans peine qu’Angela Merkel ait quelques réticences à valider le principe d’une mutualisation des dépôts au sein de la Zone. « En cas de défaut de l’Europe du sud, c’est eux [les Allemands] qui se retrouveront les mains vides », explique Nick Hubble. Alors assumer ce risque et renflouer les dépositaires floués lors d’une éventuelle crise bancaire dans un pays cigale, n’y pensez même pas…
Surtout lorsqu’on a un tendon d’Achille de la taille de la Deutsche Bank. C’est ce que nous verrons très prochainement.