Des monnaies marchandises qu’étaient l’or et l’argent à une monnaie dont la valeur tient seulement à la confiance qu’on accorde à la valeur d’un gouvernement, le chemin est long
Hier soir, en rangeant quelques papiers avant l’arrivée des peintres qui m’expulsent la semaine prochaine de mon bureau, j’ai remis la main sur la documentation que j’avais récoltée à la World Money Fair de Berlin en février dernier (à relire ici). L’occasion de la feuilleter une nouvelle fois, même si une grosse moitié est écrite dans la langue de Goethe que je ne maîtrise absolument pas. Heureusement il y a beaucoup d’images !
Mon regard s’est arrêté sur une image tout à fait surprenante accompagnée d’un chiffre tout aussi surprenant. Il s’agit du prix auquel a été adjugé un billet américain de 10 000 $ de 1934, soit 141 000 $ sous le marteau.
Billet de 10 000 $ émis par la Federal Reserve en 1934
Source : Heritage Capital Corporation
Ma première réaction a été de me dire : « mazette ! Quelle drôle d’idée d’aller mettre une telle somme dans un bout de papier de 187 × 79 mm ». En outre, 10 000 $ de 1934 c’était une somme à l’époque. Mais aujourd’hui qu’en est-il ? Ce rectangle de papier a-t-il toujours cours légal ? Est-il bien raisonnable de payer aussi cher pour l’obtenir ?
Le papier-monnaie a été introduit dans la jeune république américaine en 1861
Au début de la guerre de Sécession, le gouvernement américain affrontant les Etats confédérés émettait des Demand Notes pour satisfaire ses besoins en monnaie. Ces billets pouvaient être utilisés dans la vie courante quand bien même ils n’avaient pas cours légal. Ils seront remplacés l’année suivante par des United States Notes émis par le Trésor fédéral qui auront ainsi le privilège d’être les premiers billets à recevoir le statut de moyen de paiement légal.
Seront ensuite émis des certificats or de 1865 à 1935 (gold certificates), des certificats argent (silver certificates) de 1878 à 1964 puis des National Bank Notes en 1863 et des Treasury Coin Notes à partir de 1890, et enfin des Federal Reserve Notesà partir de 1914, obligations émises par les banques du système de la Réserve fédérale (créé en 1913). Les billets tels que nous les connaissons aujourd’hui sont des Federal Reserve Notes.
Tous ces différents billets étaient émis pour des valeurs faciales diverses de 1 à 10 000 $.
Les grosses coupures, de 500 à 10 000 $, étaient principalement employées pour les règlements interbancaires. De nos jours, le billet de 100 $ Federal Reserve Notes reste la plus grosse coupure encore émise depuis que le Trésor et la Réserve fédérale ont annoncé conjointement l’arrêt des mises en circulation des coupures de 500 à 10 000 $ en 1969, et la destruction des coupures qui seraient présentées aux guichets des banques ou du Trésor.
Néanmoins, les grosses coupures de Federal Reserve Notes encore en circulation conservent leur cours légal à la valeur faciale d’émission.
10 000 $ de 1934 équivalent à 180 000 $ de 2017
J’en reviens à ce billet de 10 000 $ qui a attiré mon attention. Celui-ci est précisément un Federal Reserve Notes qui n’a pas été présenté et qui donc est toujours un moyen de paiement officiel pour une valeur de 10 000 $. Cependant, s’il était présenté à l’encaissement, le caissier offrirait au porteur de ce billet une liasse de 100 billets de 100 $ de 2017.
Or, depuis 1934, le malheureux dollar a subi bien des vicissitudes en matière de pouvoir d’achat. En effet, une actualisation par l’indice des prix à la consommation (CPI) du pouvoir d’achat de ces 10 000 $ de 1934 aboutit à un montant beaucoup plus élevé, soit 180 000 $ de 2017*. Si le propriétaire initial de ce billet avait ainsi trouvé un placement avec intérêt au taux de l’inflation pour ses 10 000 $, ce sont ces 180 000 $ qu’il aurait empochés en 2017.
Source : Fed de St Louis
Et les certificats or ?
Ces certificats or ou argent permettaient à un particulier ou à une banque de réaliser des paiements par simple échange du certificat (payable au porteur) sans la contrainte du convoyage du précieux métal sur les routes plus ou moins bien sécurisées d’un vaste pays.
Source : Wikipédia
Jusqu’en 1933, les dépôts d’or détenus par les banques du système de la Réserve Fédérale devaient a minima représenter 40% des émissions monétaires réalisées.
La Grande Guerre laisse en 1918 les belligérants européens totalement épuisés. Attribuer à la seule politique économique de Roosevelt la relance américaine après la crise de 1929 ne donne pas une image complète de la réalité. Dans les faits, les Etats-Unis sont sortis de la crise grâce à l’immense effort industriel que le pays a produit, d’abord pour répondre aux commandes des Britanniques et des Russes, puis pour répondre à leurs propres besoins dès 1942.
Pourtant, en 1933, la situation des Etats-Unis était plutôt morose. La confiance des marchés s’étiolait. Craignant une dévaluation du dollar, les détenteurs de papier-monnaie se faisaient de plus en plus nombreux aux guichets des banques pour échanger leurs billets contre des monnaies sonnantes et trébuchantes, voire des lingots d’or. De ce fait, la frontière des 40% de couverture des liquidités en circulation par l’or du Trésor américain approchait à grands pas.
Mise à mort de l’or mais pas des certificats or…
La décision prise par Roosevelt le 5 avril 1933 d’interdire la détention d’or sonna la fin de l’étalon-or aux Etats-Unis. Non seulement la détention d’or, sous la forme de lingots et de monnaies, fut alors interdite, mais la détention des certificats or aussi. Cette interdiction s’imposait à tous, y compris les banques commerciales et les banques du Système de la Réserve fédérale.
Etonnamment, ces certificats ont conservé leur statut de moyen de paiement légal. En outre, depuis le 24 avril 1964 posséder un tel certificat sur le territoire américain est de nouveau autorisé.
[NDLR : Des questions très précises sur l’or et l’argent physique ? Yannick Colleu est le rédacteur spécialisé dans ce domaine de la lettre Crise, Or & Opportunités. Il répond à toutes les questions de ses abonnés sur ces sujets et les conseille tous les mois sur les meilleures façons de vendre ou d’acquérir de l’or physique. Pour vous abonner à Crise, Or & Opportunités, c’est ici.]
Aussi, un certificat or est encore aujourd’hui un moyen de paiement accepté, mais néanmoins uniquement remboursable, à la valeur faciale du certificat, en Federal Reserve Notes.
Et la crédibilité des banques dans tout ça ?
Ayant remis au Trésor fédéral leur or, de quels actifs disposaient désormais les banques pour assurer leur crédibilité ?
La réponse sera apportée par le Congrès en janvier 1934, dans une modification à la loi régissant le fonctionnement du système de la Réserve fédérale, le Federal Reserve Act de 1913.
Désormais les Federal Reserve Notes deviennent des obligations du gouvernement des Etats-Unis, et non pas des obligations de la Réserve fédérale.
En échange des stocks d’or des banques du Système de la Réserve fédérale, le Trésor américain émet de nouveaux certificats or spécifiquement destinés à ces banques. Ces nouveaux certificats sont de très grosses valeurs faciales allant jusqu’à 100 000 $ destinés uniquement aux échanges interbancaires et non remboursables en or.
Source : Wikipédia
Leur valeur est non pas adossée à la valeur faciale du certificat mais à la quantité d’or réquisitionnée et valorisée au prix officiel du moment de l’once. Ainsi la Réserve fédérale fait-elle apparaître dans son bilan publié sur son site Internet la valorisation des certificats or au dernier prix officiel connu soit 42,22 $ l’once.
La Réserve fédérale valorise ainsi les certificats or, qui assurent la caution de ses émissions de monnaie, à 11 041 M $.
Avec le développement des télécommunications, et la mise en place des échanges électroniques interbancaires, ces certificats or ont été retirés progressivement.
Les Etats-Unis précurseurs
Les Etats-Unis sont d’abord passés d’une monnaie ou l’or et l’argent s’échangeaient, à une monnaie où l’or et l’argent existaient mais restaient confinés dans des coffres privés, des certificats s’y substituant.
Puis ils sont ensuite passés à une monnaie adossée à toutes les richesses monétaires tangibles réquisitionnées par le gouvernement,
Pour finir aujourd’hui avec une monnaie dont la valeur tient dans la seule confiance que le public place dans la parole du gouvernement, ce dernier cautionnant la solidité du dollar par ses propres émissions de dette.
Quel chemin parcouru !
*Valeurs du CPI : 13,39 en 1934 et 240,01 en 2016.