La Banque Postale a annoncé le rachat intégral du groupe KissKissBankBank. Un tournant dans le secteur français du crowdfunding dont KKBB (pour les intimes) était pionnier.
Le crowdfunding (ou financement participatif) désigne tous les types de financement par le grand public, c’est-à-dire vous et moi.
Comme la plupart des pratiques numériques, il nous vient des Etats-Unis. La plate-forme américaine KickStarter a démocratisé le concept qui a ensuite été repris par de nombreux acteurs locaux comme KissKissBankBank en France.
Les artistes ont été les premiers à lancer des campagnes participatives pour lever des fonds. D’un côté se trouvaient des artistes (souvent des musiciens) ayant du mal à financer leurs premières oeuvres au-dehors du poids écrasant des majors. De l’autre, M. Tout-le-monde qui se sentait une âme de mécène.
La magie d’Internet (sa capacité à toucher instantanément des millions de personnes), la convivialité des plates-formes de crowdfunding et les efforts de communication faits par les musiciens ont permis aux projets d’être rapidement bouclés.
Pour les participants, verser quelques dollars est financièrement indolore et peu cher payé pour se sentir mécène. Les artistes, de leur côté, disposent de fonds souvent sans contrepartie.
Le concept s’est rapidement décliné aux gadgets technologiques (public geek oblige). Les montants levés sont passés de quelques milliers de dollars à des centaines de milliers, et ont fini par dépasser le million.
Il est devenu clair que les enveloppes pouvaient atteindre des ordres de grandeur dignes du financement bancaire. Le crowdfunding artistique est devenu secondaire alors que naissaient le crowdlending (prêts aux professionnels) et le crowdequity (souscription au capital de sociétés).
Voici, en quelques mots, l’historique du crowdfunding. Aujourd’hui, il existe d’innombrables sites dédiés à telle ou telle facette du financement participatif, et KissKissBankBank était l’un d’entre eux.
Avant d’aller plus loin dans notre réflexion, reprenons au niveau macroscopique le fonctionnement économique de ces sites Internet. La mise en commun de l’épargne de particuliers pour prêter (sous forme de dette ou d’apport en capital) à des entreprises, tout en touchant une commission au passage ne vous rappelle rien ?
L’inévitable mariage de la carpe et du lapin
Les sites de financement participatif font, in fine, le métier de la banque, dit d’intermédiation. Nous pouvons même dire qu’ils font le métier originel de financement de l’économie que les banques n’auraient jamais dû quitter. Il y a bien longtemps que les banques n’utilisent plus l’épargne des déposants pour financer l’économie réelle.
Il était par conséquent logique que les grands réseaux bancaires finissent par voir dans ces plateformes des concurrents qui empiètent sur leur activité et… les absorber.
La difficulté pour les banques ne sera pas de justifier financièrement l’acquisition de ces microstructures. Même si le montant du rachat de KKBB n’est pas public, les rumeurs font état d’une enveloppe à huit chiffres – une goutte d’eau pour un grand groupe bancaire.
Tout le problème viendra du tiraillement entre le retour aux sources du capitalisme prôné par les sites de crowdfunding et les pratiques actuelles du secteur bancaire. Difficile de se présenter comme un pirate de la finance qui n’utilise que l’épargne pour les prêts lorsque l’on est dans le giron de La Banque Postale.
Le fait est que les plateformes de financement participatif avaient déjà amorcé un rapprochement en faisant participer, de plus en plus fréquemment, les banques aux campagnes de financement participatif. Bien souvent, ces institutionnels se réservent une part confortable (voire majoritaire) des enveloppes levées.
Cette fusion entre les réseaux bancaires et le monde du crowdfunding, qui n’était plus qu’une question de temps vu les montants atteints par les campagnes de financement, marque donc la fin du Far West dans lequel se trouvaient les site et le début d’une ère de concentration et de convergence des pratiques.
Que nous apprend l’union de KissKissBankBank et de la Banque Postale
Le rachat de KissKissBankBank par La Banque Postale n’est pas un acte isolé. Il y a quelques semaines, c’est Compte Nickel qui s’est fait absorber par BNP Paribas.
Le constat est sans appel : les banques considèrent que ces pratiques de finance alternatives sont suffisamment importantes pour justifier des prises de contrôle.
Nous ne faisons que rarement des suggestions d’investissement sur les valeurs bancaires. Je ne commenterai donc pas les conséquences de ces rachats pour les éventuels actionnaires du secteur bancaire.
En revanche, le monde du crowdfunding est face à un paradoxe. KKBB s’est adossé à La Banque Postale pour donner un coup de fouet à sa croissance.
Malgré ses multiples sites dédiés à différents types de crowdfunding, et une image de leader sur le marché français, le groupe KissKissBankBank n’a pas réussi à croître, en toute indépendance, à la hauteur des ambitions de sa direction.
Pourtant, les projets proposés en crowdfunding sont régulièrement sur-souscrits. Le marché de l’investissement participatif est loin d’être saturé à une époque où l’épargne bancaire est rémunérée à des taux punitifs.
Les sites de crowdfunding ne sont en fait pas limités par un manque de clientèle mais plutôt par une pénurie de matière première : les dossiers de qualités sont trop rares.
Comment va évoluer le crowdfunding ?
L’arrivée dans le giron de La Banque Postale ne va pas faire apparaître comme par magie des dossiers de financement participatif solides.
C’est à l’économie réelle et aux entrepreneurs qu’il revient de monter des dossiers crédibles et rentables. Les plates-formes, qu’elles soient indépendantes ou rattachées à un réseau bancaire, ne peuvent que les présenter à de potentiels clients.
Je suis circonspect sur la valeur ajoutée que ce rapprochement apportera aux investisseurs particuliers. Si KissKissBankBank conserve sa présence sur Internet (et il serait incompréhensible d’y renoncer vu la fréquentation du site), les internautes ne gagneront rien à l’intégration dans le réseau bancaire.
La seule différence sera que, désormais, les conseillers financiers de La Banque Postale proposeront, lors des rendez-vous clientèle, d’investir sur les dossiers de financement participatif.
Seuls la frange non-technophile de la population sera concernée : un afflux d’investisseurs non avertis se déversera sur le marché du financement participatif. Il y a fort à parier que de nombreux clients se laisseront tenter, en agence, par un joli discours teinté de « financement de l’économie réelle » et de « soutien aux entrepreneurs ».
Or, je vous le disais plus haut, ce ne sont pas les fonds qui manquent mais les dossiers de qualité.
Les plates-formes auront, mécaniquement, tendance à sélectionner des dossiers de moins en moins bons tant que les levées de fonds sont bouclées avec succès. La crise des subprime nous a montré que les banques regorgent d’ingéniosité pour monter des produits financiers non-viables destinés à capter l’épargne populaire.
Le tri entre les bonnes et les mauvaises levées de fond participatives est crucial… Une chose est certaine : celles qui vous seront proposées par votre conseiller bancaire ne seront pas les meilleures !
[NDLR : Du rendement ET de bons dossiers de crowdfunding ? Pas besoin de passer par votre conseiller bancaire pour cela. Simone Wapler et son équipe épluchent pour vous tous les sites de financement participatif, repèrent les meilleurs dossiers, les dissèquent, font leurs recherches et vous proposent la crème de la crème dans Profits Réels.]
Première parution dans La Quotidienne de la Croissance le 4 juillet 2017
1 commentaire
La crise des subprimes n’était nullement la responsabilité des banques. Elle a résulté de l’intervention du gouvernement dans le marché des prêts hypothécaires via fannie mae et freddie mac, combiné à la politique de la FED.