Derrière chaque grande fortune se cache un crime, disait Honoré de Balzac. Même notre modeste bas de laine doit beaucoup à un crime — bien que ce ne soit pas le nôtre. Mais qu’y a-t-il derrière des milliards de Wilbur Ross ?
Ces jours-ci, nous décrivons le fonctionnement du capitalisme de copinage.
Les compères n’enfreignent pas la loi : ils la font. C’est-à-dire qu’ils travaillent avec leurs représentants élus mais aussi avec les fonctionnaires, les régulateurs et les lobbyistes pour sculpter le terrain sur lequel ils livrent bataille. Naturellement et inévitablement, ils s’attribuent la meilleure position.
Cap sur la finance
Nous nous sommes trouvé en bordure du champ de bataille par accident, lorsque nous avons commencé à travailler avec Mark Hulbert en 1980 ; nous voulions déterminer quels conseillers d’investissement enregistraient vraiment de meilleures performances que le marché. A l’époque, on pensait que personne ne pouvait y arriver ; c’est en tout cas ce que suggérait l’hypothèse des marchés efficients. Nous avons décidé de vérifier.
Ce premier pas flageolant dans le monde financier a décidé de notre cap pour les 36 années suivantes. Cela nous a également rendu débiteur de criminels. M. Wilbur Ross devrait être encore plus reconnaissant.
Ce n’est pas grâce à notre propre génie ou perspicacité qu’une quantité croissante de gens voulaient recevoir nos conseils d’investissement : c’était grâce à l’argent contrefait des autorités.
Cet argent factice post-1971 a lancé le processus connu désormais sous le nom de « financiarisation ». Ce qui était autrefois des entreprises de l’économie réelle, fournissant des biens et des services… satisfaisant des clients… et construisant de la richesse réelle, est devenu quelque chose de tout différent : des actifs cotés. Des entreprises sont entrées en bourse pour que leurs propriétaires puissent réaliser des « événements de liquidités »… et leurs dirigeants pouvaient gagner de gros bonus en « maximisant la valeur des actionnaires ».
Suite à quoi les magouilleurs — utilisant l’épargne factice et l’argent factice mentionné ci-dessus, qui leur étaient proposés à des taux d’intérêt factices — ont pu se mettre au travail. Ils ont pu arranger et réarranger, transformer en produits dérivés, privatiser… et faire jouer l’effet de levier.
M. et Mme Tout-le-Monde voulurent se joindre à la partie eux aussi. On leur affirma qu’ils devaient traiter leur propre domicile comme un « investissement », qu’ils devaient « en exploiter la valeur » et « la mettre au travail » sur les marchés boursiers.
Après tout, le gouvernement s’assurait que les conditions étaient les mêmes pour tous ; avec la SEC en ange gardien, ils pensaient pouvoir se mesurer même aux rusés filous de Goldman, Rothschild et JP Morgan.
Poussés par la crainte et l’avidité
Avant les années 70 et 80, peu d’Américains ordinaires se sentaient assez qualifiés pour investir dans les actions. Ils n’avaient ni l’expérience ni le temps nécessaires pour mener l’enquête sur les finances des entreprises.
Au lieu de ça, ils vaquaient à leurs affaires, gagnant de l’argent, le dépensant, l’épargnant et s’enrichissant. Puis le message s’est répandu : « pas besoin de tout ça… il suffit d’acheter un fonds d’investissement. Laissez les experts faire le travail pour vous ».
Bientôt, il y eut plus de fonds d’investissement que d’actions… et une bonne partie de la classe moyenne — ou ce qu’il en restait — avait un crédit hypothécaire et un portefeuille boursier.
Ces investisseurs particuliers étaient poussés par l’avidité et la crainte — tous deux émanant des autorités.
L’argent factice, l’épargne factice et les taux d’intérêt factices créèrent un boom factice sur les marchés. Les actions passèrent de moins de 1 000 points pour le Dow Jones en 1980 à plus de 19 000 aujourd’hui… une multiplication par 19 — bien plus rapide que les prix à la consommation ou le PIB. Et après 1987, la Fed elle-même s’est assurée que s’il y avait des pertes, elles seraient rapidement épongées par une hausse des marchés. Qui voulait rater ça ?
Quant à la crainte, les gens avaient aussi vu ce que les autorités pouvaient faire à leur épargne. Depuis l’abandon d’une devise honnête en 1971, le dollar avait rapidement perdu de la valeur. En 1980, le taux d’inflation US dépassait les 10%.
Après ça, cependant, la route fut plus ou moins dégagée. Les taux d’intérêt baissèrent. Les prix des actifs grimpèrent. Les riches devinrent plus riches… tandis que la classe moyenne et l’Amérique profonde découvrirent qu’ils étaient en concurrence avec trois milliards d’Asiatiques prêts à travailler pour moins de cinq dollars par jour.
Les règles du copinage
Le financement était facile et bon marché. Presque illimité. La fête battait son plein au casino. Et si l’on pouvait faire en sorte que les autorités truquent le jeu en votre faveur, les gains étaient quasiment garantis. C’est ce que pensait sans doute Wilbur Ross lorsqu’il a commencé à acheter des entreprises sidérurgiques au début des années 2000. Le secteur avait été laminé par le système d’argent factice américain. Les sidérurgies étrangères avaient déjà de la main-d’oeuvre bon marché.
Le système d’argent factice leur donna deux choses qui leur manquaient : une gigantesque demande provenant de consommateurs US riches de crédit… et une énorme offre de capitaux provenant de la même source. C’est cela — associé aux plans de retraites, syndicats et réglementations — qui mit à genoux le secteur sidérurgique américain. Wilbur Ross — désormais en bonne place pour devenir l’homme de Trump au département du Commerce US — acheta certaines des plus grandes aciéries américaines pour une bouchée de pain.
Et puis… comme s’il avait su ce qui allait arriver… à peine quelques semaines plus tard, les autorités imposèrent une taxe douanière de 30% sur l’acier importé. Bingo ! Ross fit fortune trois ans plus tard lorsqu’il revendit ses parts à un opérateur indien, ArcelorMittal, pour 4,5 milliards de dollars.
Une autre partie du partenariat public/privé que Ross avait négocié lui permit par ailleurs de se débarrasser de ses obligations envers ses employés, les transférant vers les contribuables. Entre cet accord et un autre qui fut décidé plus tard, il aurait éliminé de ses aciéries l’équivalent de 17 milliards de dollars de coûts de retraite et de soins de santé.
Nous n’avons pas plus de plaintes à faire contre M. Ross que contre nous-même. Il n’a pas plus fait les règles du copinage que nous… mais il serait tout de même assez agréable de l’entendre les critiquer.
1 commentaire
Bill,
Bonjour. Votre lecteur assidu apprécie vos propos. Et merci pour avoir la franchise de dire ce que vous dites sur les hommes de Trump, par exemple Wilbur Ross. Travailler dans le cadre des élus, d’un gouvernement ne requière pas seulement l’intelligence du monde, la capacité à faire, mais aussi la générosité: faire pour les autres sans en attendre de fortune. Voilà ce qui va terriblement manqué à toute cette nouvelle équipe.
Très respectueusement. Jacques Boudier