▪ Après les quatre demandes présentées par Londres pour se maintenir dans l’Union européenne (UE), le Royaume-Uni et Bruxelles sont entrés dans une phase de discussion dans laquelle chaque petite phrase compte.
Londres espère une Europe plus libérale, moins fédérale et officiellement multi-devises. Des demandes plus ou moins bien reçues du côté de Bruxelles mais aussi auprès des différents Etats composants l’UE. L’Allemagne s’est déclarée plutôt favorable à ces demandes tandis que Paris est moins enthousiaste.
Malgré la plutôt bonne volonté affichée de part et d’autre, les récents sondages donnent une majorité au "out". Pour quelles conséquences ?
Comme je vous le disais, je vais me concentrer sur le coeur de notre sujet, à savoir les questions financières et économiques. Plusieurs instituts de recherche ont tenté de chiffrer le coût économique d’un Brexit, aussi bien pour le Royaume-Uni que pour l’Europe. Les résultats sont contrastés pour ne pas dire complètement contradictoires, les rendant dans l’ensemble peu crédibles voire même complètement ridicules.
Selon certains, il pourrait coûter une chute de 14% du PIB à la Grande-Bretagne. D’autres envisagent une chute de quelques points. D’autres encore une hausse de quelques points. C’est à y perdre son latin (ou son anglais)… Pour y voir plus clair, je vous propose de nous intéresser aux différents secteurs qui seront les principaux bouleversés par un Brexit.
▪ Une nouvelle ère commerciale ?
Sur le papier, une sortie du Royaume-Uni de l’Europe signifierait le rétablissement des droits de douane — ce qui aurait des conséquences aussi bien pour les exportateurs britanniques vers l’UE que pour les (beaucoup) plus nombreux exportateurs européens vers le marché outre-Manche.
Les partisans du "out" soulignent en outre que les accords commerciaux instaurés par l’UE privilégient les biens aux dépens des services. Et ce alors que l’économie britannique exporte de plus en plus… de services. Le Royaume-Uni aurait à gagner à une renégociation de ces traités, en sa faveur.
Le mauvais scénario d’un rétablissement pur et simple des droits de douane ne devrait cependant jamais devenir réalité. Il est bien plus probable que le Royaume-Uni reçoive un statut particulier en tant que partenaire commercial de l’UE. Des précédents existent, même s’ils ne font pas tous rêver.
Le Royaume-Uni pourrait demeurer dans l’Espace économique européen auquel appartiennent les membres de l’UE mais aussi des pays comme la Norvège, l’Islande et le Lichtenstein (ces trois pays formant l’Association européenne de libre-échange, AELE). Bon… soyons clair, je ne suis pas sûre que les Britanniques aient beaucoup à gagner avec cette option qui leur imposerait de suivre les règles commerciales de l’UE sans pouvoir contribuer à leur création.
En outre, l’accès à l’EEE n’est pas gratuit : entre 2009 et 2014 la Norvège a dû verser environ 1,6 milliard d’euros à l’UE pour avoir accès à son marché commun. Une somme qui reste modeste en comparaison avec le budget de l’Etat norvégien (123 milliards d’euros) mais qui fait tout de même grincer quelques dents.
Autre choix possible, faire comme la Suisse et négocier un partenariat commercial à la carte avec l’UE, sans faire partie de l’EEE. Un scénario bien plus favorable au Royaume-Uni et que celui-ci pourrait imposer à ses partenaires européens. Les exportateurs espèrent en outre profiter d’un désamarrage des îles britanniques du continent européen pour négocier de nouveaux accords commerciaux avec les grands marchés que sont l’ASEAN, la Chine ou les Etats-Unis.
Effectivement, sur le papier, le Royaume-Uni débarrassé de l’UE aurait plus de latitude dans ces négociations. Mais quel poids peut avoir un pays seul face à de tels partenaires économiques ? Par l’importance de son marché, par son poids économique, l’UE peut peser dans les négociations. Mais Londres seul ? Le Royaume-Uni a beau se targuer d’être la cinquième économie mondiale, la redistribution en cours des cartes — en direction, par exemple, de l’ASEAN et d’autres marchés émergents — pourrait rapidement pénaliser l’économie britannique.
▪ Plus de productivité, plus de croissance, moins de chômage ?
Les partisans du Brexit mettent en avant le gain de productivité et de croissance qui découlerait de l’extraction des entreprises britanniques des réglementations imposées par l’Union européenne, ainsi que ses effets positifs sur le marché de l’emploi.
Certaines études estiment en effet que l’application des règlements européens coûte environ 7,5 milliards de livres sterling par an (10,4 milliards d’euros) aux entreprises britanniques. D’où le plutôt grand succès du "oui" parmi les petites et moyennes entreprises qui aspirent à plus de libéralisme.
Autre secteur qui voit plutôt d’un bon oeil le divorce avec l’Europe, celui de l’énergie, tout particulièrement non-conventionnelle. L’exploitation des énormes réserves potentielles du Royaume se heurte non seulement à l’opposition d’une assez large part de la population mais aussi à la réglementation européenne. Un Brexit ouvrirait donc un peu la porte à l’exploitation du gaz de schiste. Le bassin de Bowland, situé dans le Nord de l’Angleterre, pourrait fournir à lui seul 40 ans de consommation de gaz du pays…
▪ Le budget au coeur des débats
Un des principaux arguments des partisans du "out" : en tant que membre de l’UE, le Royaume-Uni doit participer à son financement. Contribution financière qui a toujours posé problème et qui a été l’objet, à plusieurs reprises, d’âpres discussions entre le gouvernement britannique (par exemple sous l’ère Thatcher) et Bruxelles. Des discussions qui se sont en général conclues à l’avantage de Londres…
Aujourd’hui encore, donc, la question du budget pèse lourd. Selon les chiffres rassemblés par le Financial Times, un Brexit permettrait à Londres d’économiser 19,9 milliards de livres (27,6 milliards d’euros) d’ici 2019-2020, et ce même en prenant en compte l’arrêt du versement des subventions et aides européennes à l’agriculture ou l’économie britanniques.
▪ La question de l’immigration
Ce sujet est particulièrement sensible puisque Londres souhaiterait que les immigrés originaires de l’UE cotisent pendant quatre ans avant de pouvoir bénéficier des aides sociales. Un argument qui connait une certaine popularité outre-Manche. Les tensions se sont en outre exacerbées ces derniers mois face à l’arrivée de plus en plus importante de migrants en provenance de Syrie, Erythrée, Libye, Irak, etc. si bien que la perspective d’un meilleur contrôle des frontières et de l’immigration sourit à de nombreux Britanniques.
Pour en rester à l’aspect économique, selon le Financial Times, les immigrés européens contribuent plus aux finances de l’Etat britannique (en impôts en tous genres) qu’ils ne lui coûtent. Leur contribution fiscale nette s’élèverait à 20 milliards de livres (27,7 milliards d’euros).
Pour quel coût politique ?
Ajoutons le coût politique de ce Brexit. Là encore il est difficile à chiffrer mais on peut en dessiner certains contours. Et tout d’abord la question de l’Irlande du Nord et de l’Ecosse.
Si Londres décidait de quitter l’Europe, la question de l’indépendance de ces deux nations se poserait avec une nouvelle acuité, ni l’Irlande du Nord ni l’Ecosse n’ayant — du moins pour le moment — l’intention de faire leurs adieux à l’UE. Les indépendantistes y trouveraient de nouveaux arguments de bataille, et pas sûr que Londres ait une nouvelle fois envie de se confronter à ces questions.
Autre argument de poids des opposants du Brexit : le risque, à terme, de perte d’influence. Dans un monde de plus en plus polarisé autour de grandes entités politiques, commerciales et financières, le Royaume-Uni prend quelques risques en souhaitant s’affranchir.
▪ Brexit ou pas ?
Pour l’instant, le scénario d’une sortie de l’UE semble peu probable, ne serait-ce que parce qu’aussi bien du côté de Londres que de Bruxelles, l’heure est clairement aux négociations et aux arrangements.
Je vous le disais, aucun pays européen ne souhaite officiellement le départ du Royaume-Uni même si certains courants et partis fédéralistes y voient une excellente occasion d’aller plus loin dans la construction européenne une fois l’opposition britannique éliminée.
Du côté de Bruxelles, les négociations avec Londres — sans aller jusqu’au Brexit ou à un véritable fédéralisme — pourraient être l’occasion de revoir les traités européens pour les faire évoluer à la lumière des dernières difficultés et défis rencontrés par l’UE. Car tout le monde est d’accord sur un point : l’Europe, telle qu’elle est actuellement, ne fonctionne pas comme elle le devrait.
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Meilleures salutations,
Cécile Chevré
Pour la Chronique Agora