Le jour fuit ; de l’airain les lugubres accents
Rappellent au bercail les troupeaux mugissants ;
Le laboureur lassé regagne sa chaumière ;
Du soleil expirant la tremblante lumière
Délaisse par degrés les monts silencieux ;
Un calme solennel enveloppe les cieux ;
Et sur un vieux donjon que le lierre environne,
Les sinistres oiseaux, par un cri monotone,
Grondent le voyageur dans sa route égaré,
Qui vient troubler l’empire à la nuit consacré.
— Le Cimetière de campagne – Elégie anglaise
(Thomas Gray ; Trad. M.-J. Chénier)
▪ A part la décision surprise de la Chine, il ne s’est pas passé grand’chose ces deux dernières semaines — y compris sur le marché de l’or.
Nous en profitons pour vous rappeler, cher lecteur, que nous ne faisons pas de prédictions sur la direction que prendra l’or, ni quand. Il peut grimper. Il peut baisser. Nous en avons uniquement parce que nous sommes à peu près certain qu’il ne va pas disparaître.
En attendant, nous luttons encore avec les complexités des nouvelles technologies — internet en tête. Pas les technologies elles-mêmes, mais leurs effets sur l’économie et sur nous-même.
De nombreux lecteurs nous écrivent pour nous dire que nous sommes simplement idiot. Ils ont probablement raison. Nous pourrions simplement éteindre notre iPhone (mais que manquerions-nous alors ?). Nous pourrions passer quelques minutes à tenter de comprendre comment fonctionne notre autoradio… au lieu de nous contenter de mettre le volume à zéro (mais qui a quelques minutes à disposition ?). Et nous pourrions utiliser l’ancienne technologie, plutôt que les nouveaux thermostats électroniques pour notre tuyauterie. Nous pourrions alors descendre à la cave à tout moment, tourner quelques robinets, taper sur quelques tuyaux et hop — l’eau courante !
Nous sommes victime de la technologie moderne comme tout le monde, mais nous ne sommes pas sans défense |
Oui, nous exagérons nos difficultés. Nous sommes victime de la technologie moderne comme tout le monde, mais nous ne sommes pas sans défense.
Bien entendu, nous profitons de la technologie comme tout le monde aussi. Sinon, comment entendrions-nous le bruit de marché ? Comment nous tiendrions-nous au courant de tant de sottises et d’absurdité ? Comment aurions-nous accès à tant d’intox et de désinformation ?
▪ Les joies du voyage
Nous sommes à Tivoli, dans l’état de New York. Nous sommes venu en voiture depuis l’aéroport de Newark, dans le New Jersey. La limite était à 90 km/h, mais tout le monde allait à 110. Nous avons donc fait de même — roulant dans une petite voiture de location, aidé par toutes sortes d’appareils électroniques cachés.
Nous venions de passer huit heures dans un gigantesque oiseau d’aluminium — un incroyable engin, lui aussi bourré d’électronique.
Et l’horloge ! N’a-t-elle pas donné la possibilité aux trains d’être à l’heure ? Aux avions d’atterrir de même ? Avant l’invention de l’horloge mécanique, il n’y avait pas d’heure juste. Uniquement le jour et la nuit, le matin et le soir… midi et minuit. Les brumes fraîches de l’aurore… les calmes souvenirs du crépuscule.
Tandis que nous filions sur l’autoroute, nous nous sommes demandé quelles riches expériences nous avions manquées. De l’aéroport aux portes de Paris jusqu’aux vieilles banlieues du New Jersey en passant par le piémont sauvage des Catskills et les douces rives de l’Hudson… combien d’arbres, buissons, rivières, oiseaux, vagues, plages, navires, nuages, enfants et vaches n’avons-nous pas vu ?
Dans notre précipitation à nous ruer d’un endroit à un autre le plus vite possible — l’horloge digitale moderne fournissant ses minutes comme de l’oxygène à un plongeur — combien de temps a passé sans qu’on s’en rende compte ? Sans un seul moment durant lequel quoi que ce soit d’important se soit passé ?
Combien de poésie perdue pour l’efficacité digitale ? |
Combien de poésie perdue pour l’efficacité digitale ? Imaginez le troupeau meuglant à 5h43 et se frayant un chemin jusqu’au pré à 6h14. Mettez le laboureur dans un Ford F-150 flambant neuf ; au lieu de se traîner, il fonce sur l’autoroute à 120km/h.
Hier soir, nous avons dîné sur la terrasse d’un restaurant à Rhinebeck. Juste devant nous, un vieux camion s’est garé. Dans un état impeccable, il devait dater du début des années 50. Un Studebaker.
Une beauté. De la technologie datant d’il y a 65 ans. Ce qui nous a frappé, cependant, c’est combien peu de choses ont changé. Un homme conduisant un Studebaker en 1950 était dans un monde nouveau, par rapport à celui qui venait en ville un demi-siècle auparavant. En 1900, il aurait eu un cheval, pas un moteur à explosion. Cela aurait été tout à fait différent. Mais cet ancien Studebaker n’était pas si différent d’un F150 Ford. Deux phares. Une grille pour le radiateur. Des freins. Un accélérateur. Six cylindres en ligne. Certes, il n’avait pas la climatisation ou la transmission automatique. Mais au milieu du siècle dernier, la plupart des problèmes d’ingénierie pratique de la technologie automobile moderne avaient été résolus. Un homme conduisant un camion flambant neuf aujourd’hui reconnaîtrait les caractéristiques principales du vieux modèle et pourrait le conduire sans problème.
Tant de choses ont changé… mais rien n’a changé. Nous avons beaucoup plus de technologie ; et c’est en grande partie plus d’embêtements.
Conclusion du Cimetière de campagne — Elégie anglaise (un poème écrit sans ordinateur portable) :
"Et toi, qui pour venger la probité sans gloire,
Du pauvre dans tes vers chantas la simple histoire,
Si, visitant ces lieux, domaine de la mort,
Un coeur parent du tien veut apprendre ton sort,
Sans doute un villageois, à la tête blanchie,
Lui dira : Traversant la plaine rafraîchie,
Souvent sur la colline il devançait le jour :
Quand au sommet des cieux le midi de retour
Dévorait les coteaux de sa brûlante haleine,
Seul, et goûtant le frais à l’ombre d’un vieux chêne,
Couché nonchalamment, les yeux fixés sur l’eau,
Il aimait à rêver au doux bruit du ruisseau :
Le soir, dans la forêt, loin des routes tracées,
Il égarait ses pas et ses tristes pensées :
Quelquefois, en quittant ces bois religieux,
Des pleurs mal essuyés mouillaient encor ses yeux.
Un jour, près d’un ruisseau, sur le mont solitaire,
Sous l’arbre favori, le long de la bruyère,
Je cherchai, mais en vain, la trace de ses pas ;
Je vins le jour suivant, je ne le trouvai pas :
Le lendemain, vers l’heure où naissent les ténèbres,
J’aperçus un cercueil et des flambeaux funèbres ;
A pas lents vers l’église on portait ses débris :
Sa tombe est près de nous ; regarde, approche, et lis."
2 commentaires
une humeur de circonstance! ici il pleut depuis hier! apres la pluie vient le soleil un lecteur qui vous suit depuis des années a bientôt.
Dear Bill,
Your blog is an almost daily reading for me. Thank you. I enjoy your lucid comments on things economics. “Tant de choses ont changé… mais rien n’a changé”. Many more things “haven’t changed” in the last 50 years than in the previous 50 years. And this is valid going back in time until you reach the dark pre-medieval ages when indeed nothing changed at all for centuries following the fall of the empire. With your (Argentinean) bush background you will appreciate this Australian story written more than a century ago.
All the best, Bernard
CLANCY OF THE OVERFLOW
(Written by Banjo Paterson and published on December 21st, 1889)
I had written him a letter which I had, for want of better
Knowledge, sent to where I met him down the Lachlan, years ago,
He was shearing when I knew him, so I sent the letter to him,
Just ‘on spec’, addressed as follows, ‘Clancy, of The Overflow’.
And an answer came directed in a writing unexpected,
(And I think the same was written with a thumb-nail dipped in tar)
’Twas his shearing mate who wrote it, and verbatim I will quote it:
‘Clancy’s gone to Queensland droving, and we don’t know where he are.’
In my wild erratic fancy visions come to me of Clancy
Gone a-droving ‘down the Cooper’ where the Western drovers go;
As the stock are slowly stringing, Clancy rides behind them singing,
For the drover’s life has pleasures that the townsfolk never know.
And the bush hath friends to meet him, and their kindly voices greet him
In the murmur of the breezes and the river on its bars,
And he sees the vision splendid of the sunlit plains extended,
And at night the wond’rous glory of the everlasting stars.
I am sitting in my dingy little office, where a stingy
Ray of sunlight struggles feebly down between the houses tall,
And the foetid air and gritty of the dusty, dirty city
Through the open window floating, spreads its foulness over all
And in place of lowing cattle, I can hear the fiendish rattle
Of the tramways and the ‘buses making hurry down the street,
And the language uninviting of the gutter children fighting,
Comes fitfully and faintly through the ceaseless tramp of feet.
And the hurrying people daunt me, and their pallid faces haunt me
As they shoulder one another in their rush and nervous haste,
With their eager eyes and greedy, and their stunted forms and weedy,
For townsfolk have no time to grow, they have no time to waste.
And I somehow rather fancy that I’d like to change with Clancy,
Like to take a turn at droving where the seasons come and go,
While he faced the round eternal of the cash-book and the journal —
But I doubt he’d suit the office, Clancy, of ‘The Overflow’.