▪ La plupart des gens, dans le secteur de la finance, sont victimes d’illusions grandes comme des maisons. Ils pensent que les futures tendances économiques sont bien plus prévisibles qu’elles ne le sont en réalité.
L’économie ressemble à un écosystème complexe. On ne peut en altérer une partie sans causer des effets ailleurs dans le système. Les investisseurs qui comprennent cette réalité peuvent également comprendre (et éviter) les dangers d’une trop grande confiance en soi lorsqu’on investit.
▪ Notre discussion d’aujourd’hui commence dans le Parc national de Yellowstone, aux Etats-Unis. A la fin des années 1800, le gibier de Yellowstone — élans, bisons, antilopes et daims — commença à disparaître. En 1886, la cavalerie américaine reprit donc la gestion du parc. Et sa première mission fut de contribuer à restaurer le gibier local.
Après quelques années de protection et d’alimentation spéciale, le gibier recommença à se multiplier. Mais le gouvernement ne comprenait pas qu’il influait sur un écosystème complexe. On ne peut simplement modifier un élément et penser que cela ne mènera pas à une cascade de changements ailleurs.
Les élans et les daims mangeaient beaucoup plus. Cela causa une réduction de la flore. Les trembles, par exemple, commencèrent à disparaître, broutés par les nombreux élans. Cela porta préjudice à la population de castors, pour qui les trembles étaient essentiels. Les castors construisirent donc moins de barrages. Lesdits barrages étaient importants pour empêcher l’érosion du sol, parce qu’ils ralentissaient les flots provenant de la fonte des neiges. Les truites furent ensuite atteintes, parce qu’elles ne frayaient plus dans l’eau de plus en plus boueuse. Et ainsi de suite…
L’écosystème tout entier commença à se disloquer à cause du désir humain d’augmenter la population des élans. Les choses empirèrent. A l’été 1919-1920, plus de la moitié des élans disparurent — la plupart moururent de faim. Mais les services des Parc nationaux attribuèrent cela aux prédateurs. Il fut donc décidé de tuer des loups, des pumas et des coyotes — ce qui ne fit qu’aggraver la situation.
▪ Cette anecdote sur Yellowstone provient du livre de Michael Mauboussin, Think Twice ["Pensez-y à deux fois", NDLR]. Il écrit : "la population de gibier commença à subir des booms et des krachs erratiques. Cela ne fit qu’encourager les dirigeants [du parc] à redoubler d’efforts, déclenchant un cercle vicieux morbide".
Au milieu des années 1900, le service du parc était parvenu à éliminer quasiment tous les prédateurs. En 1926, le dernier loup fut abattu.
Ce qui s’est produit à Yellowstone est assez similaire à ce qui est en train de se produire dans notre économie aujourd’hui. Le Congrès américain et la Réserve fédérale sont si occupés à "secourir" des secteurs spécifiques de l’économie qu’ils ne parviennent pas à réaliser que ces efforts menacent d’autres secteurs.
Le gouvernement américain a renfloué les constructeurs automobiles. Il a renfloué de nombreuses banques, des prêteurs hypothécaires, ainsi que le plus grand assureur au monde, AIG. Mais le reste de l’économie continue de défaillir.
En fait, une bonne partie des efforts du gouvernement contribue aux difficultés de l’économie. Parce que la Fed fournit aux grandes entreprises financières une telle quantité de crédit, et à des taux d’intérêt si bas, qu’elles peuvent gagner beaucoup d’argent simplement en achetant des bons du Trésor US, plutôt que de les prêter à des entreprises. Résultat, la plupart des PME américaines ne peuvent obtenir de prêts. Si la Fed ne fournissait pas du crédit à si bas prix, les banques seraient forcées de prêter aux entreprises.
Des effets non voulus comme celui-ci produisent des effets non voulus ailleurs — et rapidement, les causes et les effets sont difficiles à discerner… ou à expliquer avec exactitude. "Cependant, nos esprits ne se refusent pas forcément à élaborer une cause qui permettrait de soulager la démangeaison d’un effet inexpliqué", écrit Mauboussin. "Lorsqu’un esprit cherchant des liens entre la cause et l’effet rencontre un système qui les dissimule, des accidents se produisent."
Voilà pourquoi tant de soi-disant experts se trompent souvent du tout au tout. Ils pensent savoir ce qui cause quoi. Mais ce n’est pas le cas.