▪ Frank Holmes est le P-DG et le directeur des investissements de US Global Investors, un fonds commun de placement dont plusieurs fonds ont été primés. C’est aussi un investisseur qui a beaucoup bourlingué et nous avons échangé nos expériences de voyage. Il m’a raconté un récent séjour au Sri Lanka, où sa compagnie s’intéressait à des plantations d’huile de palme.
Nous avons discuté, entre autres, des courbes en S, une sorte de « spécialité maison » chez US Global. Holmes m’a expliqué ce qu’est ce scénario macro et pourquoi sa société le recherche sans cesse. Le graphique ci-dessous montre une courbe générique. La principale astuce consiste à investir au milieu de la courbe, lorsque la croissance s’accélère.
L’idée est simple, ce qui explique en partie son côté attractif. Il existe bon nombre d’exemples historiques — la croissance de la population, la consommation de pétrole et la demande de voitures, entre autres. La méthode s’inspire d’une idée trouvée par l’économiste Simon Kuznets, qui a remarqué de longs cycles (d’environ vingt ans) de boom autour d’une augmentation des dépenses en infrastructures.
Un exemple historique est le réseau autoroutier américain inter-états des années 1950. Il a favorisé une société beaucoup plus mobile et a profondément affecté l’économie. L’impact pour les camionneurs, les commerçants et les gestionnaires de stocks a été énorme. Par exemple, le temps de voyage entre Cleveland et New York a été réduit d’un tiers. Mais les autoroutes ont également présenté de toutes nouvelles opportunités qui n’existaient pas auparavant. De nouveaux motels, des stations-service et des restaurants ont été créés à travers tout le pays.
« Nous tentons d’étudier ce modèle dans les pays émergents. A partir de données historiques nous essayons d’identifier où ils en sont sur cette courbe en S », explique Frank.
▪ Quelles est l’origine des grandes courbes en S de l’économie aujourd’hui ? La croissance de la population en est une. Il a fallu plus d’un siècle pour que la population mondiale passe d’un milliard à deux milliards (à peu près de 1805 à 1927), mais seulement 40 ans pour passer de trois à six milliards (de 1960 à 2000).
« Il est intéressant de noter que dans les années 1970, la population mondiale était moitié moins nombreuse que ce qu’elle est aujourd’hui », souligne Frank. « La Chine et l’Inde n’étaient pas des acteurs déterminants au niveau mondial ». La Russie était derrière le Rideau de Fer. Désormais, tous ces pays se sont lancés dans la construction d’infrastructures et cela aura un effet aussi important que le réseau autoroutier aux Etats-Unis.
Aujourd’hui, nous nous trouvons au milieu de courbes semblables de la demande dans le secteur automobile, l’électricité, l’acier, le pétrole, etc…
Un moyen de se représenter un modèle de courbe en S est de penser à l’eau. En effet, l’eau peut être à l’état solide, liquide ou gazeux. A une certaine température, de grands bouleversements ont lieu et l’eau change d’état. « Même chose avec la démographie, la consommation ou le PIB par habitant », poursuit Frank. A un certain point, des changements essentiels ont lieu et on se retrouve sur la partie fortement pentue de la courbe en S.
La politique gouvernementale joue un rôle essentiel dans cette analyse et Frank y fait souvent référence. L’Etat est un précurseur du changement. « La Chine est passée d’un pays communiste à un pays socialiste qui se dirige doucement vers le capitalisme », observe-t-il. La courbe en S en Chine a commencé avec Deng Xiaoping et l’ouverture du pays. Le plus grand transfert immobilier au monde a eu lieu lorsque la Chine a donné à ses citoyens des terrains.
« Cela a été très important », observe Frank, « même si ces baux sont pour 40-60 ans. Parce que c’est un transfert de richesse en contrepartie duquel les Chinois ont pu emprunter, vendre et faire du commerce ».
Des libertés plus grandes ont conduit à la création d’une nouvelle classe moyenne. Aujourd’hui, la Chine possède le deuxième plus grand nombre de milliardaires au monde. « Ce ne sont pas des oligarques, comme en Russie », souligne Frank. « Ce sont des gens qui montent en fait des Pizza Hut ». Ce sont des entrepreneurs, qui lancent des entreprises et les font prospérer. « Qu’arrive-t-il lorsque 60 millions de personnes gagnent 100 000 $ par an ? Qu’est-ce que cela change ? »
Cela change beaucoup de choses. Cela signifie que beaucoup de gens veulent des climatiseurs, des voitures et des maisons. Cela signifie beaucoup plus de charbon, d’acier et de métaux. Le pouvoir de la télévision et de l’Internet aide à alimenter ce désir. « Tout le monde sur terre veut ce que nous possédons. Ils peuvent le voir. Et ils veulent ce rêve. Ils sont prêts à travailler 60 ou 70 heures par semaine pour y parvenir », explique Frank. « Ils ne tiennent pas de piquet de grève devant Wall Street, eux ».