** "Emmenez-moi en enfer !"
* C’est le titre du premier film d’horreur ayant le credit crunch pour thème. Sérieusement. Nous en avons entendu parler dans le Financial Times.
* L’intrigue est assez simple. Une jeune femme est courtier en prêts hypothécaires dans une banque de Los Angeles. Elle veut une promotion… mais pour l’obtenir, elle doit prouver qu’elle a assez de cran pour dire "non". Si bien que lorsqu’une étrange cliente vient la voir et demande le prolongement de son prêt, la jeune femme rejette sa demande… peut-être un peu trop froidement.
* C’est alors que l’horreur commence.
** Mais regardez autour de vous. Il y a déjà assez de scènes effrayantes et anormales.
* Nous assistons à une guerre sans merci entre l’inflation et la déflation. Cependant, il se produit de nombreuses attaques, embuscades, contre-attaques, feintes et hécatombes.
* En général, après une chute majeure des marchés boursiers, il se produit un "rebond réflexe" qui dure plusieurs mois. Nous estimons que l’actuel se poursuivra jusqu’à cet été. La plupart des analystes pensent qu’il s’épuisera avant. Qui sait ?
* Quoi qu’il en soit, le rally lui-même fait partie d’une plus grande bataille entre deux organes contradictoires — le coeur et le cerveau. Le coeur veut croire que le pire est passé. Il réagit sentimentalement, se rappelant les jours de gloire de la grande époque de bulle, souhaitant qu’ils reviennent. Les chiffres de la confiance des consommateurs américains ont fait grimper les marchés mardi — le coeur régnait.
* Mercredi, ça a été le tour du cerveau. Il a examiné les faits : l’immobilier et l’emploi baissent encore. Les gens dépenseront moins d’argent. Les entreprises gagneront moins d’argent. Par conséquent, il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que les actions grimpent. Elles vont plus probablement baisser. Le Dow Jones a donc reculé.
* Le cerveau a également remarqué ce qui se produit sur le marché obligataire américain.
* "Les rendements des Treasuries causent des inquiétudes", disait le Financial Times.
* "La hausse des rendements des bons du Trésor américain menace d’étouffer la reprise économique", continue un autre article dans le même journal.
* Mais le plus haut du marché obligataire est-il vraiment passé ? Le cycle du crédit bat-il pleinement en retraite ? Les propriétaires et les chefs d’entreprises seront-ils torturés avec des taux d’intérêt en hausse ?
* Telles sont les questions que le cerveau se posait. Et il n’a pas apprécié les réponses. Si la reprise pointait le bout de son nez, a-t-il raisonné, des taux d’intérêts plus hauts pourraient l’écraser.
** Et quelques cerveaux au moins ont commencé à réfléchir sur ce que ça signifiait pour les grands axes stratégiques… et la suite du film.
* A la fin de l’année dernière, le meilleure pote des Etats-Unis, la Chine, a changé de politique. Au lieu d’acheter de la dette américaine à longue échéance, la Chine s’est mise à préférer les échéances courtes. Le chef d’Etat chinois s’est ouvertement demandé si les Etats-Unis pourraient protéger la valeur du dollar et tenir ses promesses vis-à-vis des prêteurs étrangers.
* "Nous avons une gigantesque quantité d’argent aux Etats-Unis", a déclaré le Premier ministre chinois. Il a rappelé aux Etats-Unis que la Chine avait placé une bonne partie de sa richesse dans le papier américain, et leur a demandé qu’ils respectent leurs engagements envers les acheteurs obligataires. De toute évidence, les Chinois doivent se demander si les Etats-Unis sont capables de protéger leur devise tout en finançant leur guerre contre la déflation.
* "Yes we can !", a promptement répondu Tim Geithner. Mais les Chinois ont médité sur la question… et ont commencé à se dire que non, ce n’était pas possible. Ils sont donc passés à l’achat de dette américaine de court terme, laissant les obligations de plus long terme à d’autres acheteurs. Dans la mesure où les Chinois étaient les plus grands acheteurs lors des mises aux enchères obligataires américaines, ce changement de politique a eu un effet rapide et visible. Le rendement des bills est passé sous le zéro, tandis que le rendement du bon du Trésor américain à 30 ans a grimpé.
* Si les lignes de crédit bon marché des Etats-Unis ont été coupées, le pays se trouve dans une position stratégique précaire. Ou plutôt, sa position stratégique précaire préexistante devient plus apparente : il dépend des étrangers juste pour maintenir le niveau de vie auquel il s’est habitué. Comme l’a reconnu cette semaine le président des Etats-Unis :
* "Nous n’avons plus d’argent, en ce moment".
* Mais comment est-ce que cela affecte la guerre entre l’inflation et la déflation ?
* Les Etats-Unis sont du côté de l’inflation, bien entendu. Ils ont mis toute leur économie sur le pied de guerre et ont consacré plus de ressources, en termes réels, à ce combat qu’à la Première Guerre mondiale.
* Dans un plus large sens, les Etats-Unis sont en guerre contre le capitalisme… et contre la nature elle-même. Les marchés ont des rythmes naturels. Ils vont naturellement du boom au krach… de l’inflation à la déflation… de l’expansion à la contraction. Tenter d’empêcher le krach est futile. C’est une lutte contre le destin… une proposition perdante. Et c’est diaboliquement anormal. Il faut prendre le bon comme le mauvais, dans la vie. On ne peut aller au paradis sans mourir d’abord. Et on ne peut reconstruire une maison sans détruire l’ancienne. Les erreurs doivent être corrigées. Les vieilles entreprises usées doivent faire faillite pour que de nouvelles puissent les remplacer. Les mauvais investissements doivent être éliminés… liquidés. Bulle delenda est.
* Les autorités ne peuvent pas vaincre la nature. La bulle ne peut pas être regonflée. Elles ne peuvent rendre la situation meilleure que ce qu’elle serait si on laissait les choses suivre leur cours. Mais elles peuvent l’aggraver considérablement.
* Elles ont encore l’option nucléaire. Et là, on irait tous en enfer…