Par Ingrid Labuzan (*)
Depuis les années 90, le développement des entreprises par voie de fusions et d’acquisitions est en pleine expansion.
Le montant total annuel des transactions concernées volait de record en record. Jusqu’au coup d’arrêt de 2008. 2007 s’était pourtant achevée sur des résultats exceptionnels : le marché des fusions-acquisitions avait représenté 4 170 milliards de dollars. En 2008, ce chiffre a plongé de 30%, à 2 918 milliards de dollars, selon Thomson Reuters.
En Europe, la chute est supérieure de 2% à la moyenne mondiale, d’après Mergermarket, un service de recherche sur les fusions-acquisitions. En Amérique du Nord, il estime que les opérations conclues ont perdu 44% en termes de valeur. Les mégadeals sont morts. Seule l’Asie — principalement grâce à la Chine — tire son épingle du jeu, avec une chute du montant total des transactions de seulement 5,2%.
Les raisons d’un échec
Le ralentissement du nombre de fusions-acquisitions provient d’un problème de financement. Aucune de ces opérations ne se finance entièrement avec des liquidités.
Les entreprises disposent de deux moyens pour régler leurs notes : la dette ou la levée de fonds sur les marchés. Entre le credit crunch et le massacre de la Bourse, les possibilités sont en ce moment presque aussi nulles sur un secteur que sur l’autre.
Autre problème de taille : la valorisation des entreprises. Déterminer le prix de la société convoitée était l’un des principaux enjeux des fusions-acquisitions avant la crise. Aujourd’hui, cela relève presque d’un jeu de hasard. En temps normal, les artisans de ces opérations disposent de deux méthodes pour évaluer la valeur d’une entreprise :
– la méthode dite DCF, c’est-à-dire à partir du discounted cash flow. Traduction : il s’agit d’un mode de calcul basé sur les revenus futurs de l’entreprise afin d’estimer, aujourd’hui, son prix, selon ce qu’elle rapportera plus tard ;
– la méthode des multiples : elle établit des comparaisons par rapport aux autres transactions faites dans le même secteur ou à la valeur boursière d’entreprises similaires à celle visée.
Pas besoin d’être un financier pour comprendre aujourd’hui les limites de ces deux méthodes : impossible d’envisager la croissance future d’une entreprise, périlleux de procéder à des comparaisons entre entreprises alors que la valeur boursière de la plupart d’entre elles est complètement déconnectée de leur valeur réelle. "Quand l’environnement est incertain pour une entreprise, il lui est encore plus difficile d’envisager l’avenir d’un concurrent qu’elle pourrait racheter et elle préfère alors passer son tour", explique Séverin Brizay, directeur du département fusions-acquisitions chez JP Morgan France, dans l’Agefi Hebdo.
Qui profite des fusions-acquisitions ?
La reprise de ces transactions est guettée avec impatience par le monde financier. Doit-il en être de même pour vous ?
Il n’existe quasiment qu’une situation dans laquelle un investisseur particulier peut bénéficier d’une fusion-acquisition : s’il possède déjà des actions des entreprises concernées. Enfin, de préférence de la proie, dont le cours a souvent tendance à monter après l’annonce d’une OPA (offre publique d’achat) ou d’une OPE (offre publique d’échange).
Les plus malins imaginent déjà flairer les fusions-acquisitions avec un coup d’avance pour profiter de ces hausses. A moins de travailler dans le domaine des fusions-acquisitions (et sans doute de flirter avec le délit d’initié) ou d’être un trader, c’est mission impossible.
D’ici à ce que le public soit au courant de quelques fuites, le cours de l’action aura déjà réagi. Posséder des actions du prédateur peut en revanche s’avérer une mauvaise nouvelle. Dans la plupart des situations, les fusions-acquisitions s’avèrent destructrices de valeur. Une étude de McKinsey (1997) a conclu que sur un échantillon d’acquisitions, plus de 60% ont été un échec sur le critère de la rentabilité de l’achat de l’entreprise. Une estimation qui a depuis été confirmée par nombre d’études similaires. En général, le cours du prédateur chute après l’annonce d’une OPA ou d’une OPE, car ces opérations sont coûteuses.
Si vous choisissez d’acheter à ce moment-là l’action, que vous jugez bradée, considérez cela comme un investissement risqué et à long terme, avant que l’opération ne porte ses fruits.
Meilleures salutations,
Ingrid Labuzan
Pour la Chronique Agora
(*) Journaliste, Ingrid Labuzan est titulaire d’une maîtrise d’histoire, d’un master d’European Studies du King’s College London et d’un mastère médias de l’ECSP-EAP. Spécialisée sur le traitement de l’information et des médias étrangers, elle a vécu et travaillé pendant six mois à Shanghai. Elle a contribué à de nombreuses publications, dont le Nouvel Observateur Hors-série. Elle rédige désormais chaque jour la Quotidienne de MoneyWeek, un éclairage lucide et concis sur tous les domaines de la finance.