Londres a beaucoup changé… et cela va continuer. Comme le démontre l’Histoire, la prospérité est mouvante – surtout lorsqu’elle dépend d’argent factice.
Il y a trois décisions importantes dans la vie : ce que vous faites… avec qui… et où. Quoi. Qui. Où. Faisons simple.
On n’a qu’une quantité limitée de temps, par ailleurs : autant s’assurer que ces éléments de base sont les bons. Sinon, on finit comme l’une de ces générations mourantes… chantant une bien triste chanson.
Aujourd’hui, nous flânons… et nous nous intéressons à « où ». Un petit avant-goût : « les bons endroits ne le restent pas forcément ».
Les temps changent
Lorsque nous sommes arrivé à Londres la semaine dernière, la reine a eu la gentillesse de nous accueillir avec un défilé. Une charmante attention.
Nous avons vécu à Londres à deux reprises. D’abord lorsque les enfants étaient petits, au début des années 90 – puis une nouvelle fois 10 ans plus tard. Nous avons apprécié les deux fois. Il y avait tant à découvrir.
Venant du bas de l’échelle sociale, nous avions hâte d’en explorer le sommet. Nous avons fréquenté les beaux restaurants… le Royal Ascot… le Connaught et le Ritz. Nous avons aussi dîné dans des clubs privés comme Whites et Garrick. Ce dernier était si fermé qu’il y avait une liste d’attente de 20 ans, disait-on.
Mais les temps changent. Les endroits aussi.
Aujourd’hui, Londres est presque trop chic… trop élégant… trop agité et cher. Les foules de touristes sont envahissantes. Comme aurait pu le dire Yogi Berra : plus personne ne vient, il y a trop de monde.
Le style change aussi. Notre veston, acheté à Savile Row il y a 25 ans, à l’élégance désuète, très « vieille fortune », est désormais terriblement démodé. Nous pourrions aussi bien porter des guêtres.
La mode est désormais aux vestes courtes et étriquées – comme si vous l’aviez achetée pour vos 16 ans mais que vous continuez à la porter maintenant que vous en avez 36. Et on ne ferme que les deux premiers boutons, de sorte qu’on ressemble un peu à Chico Marx dans les années 1920.
Une autre caractéristique rébarbative de Londres : les gens ont beaucoup rajeuni ! Lorsque nous y étions pour la première fois, il y a 50 ans, tout le monde ou presque était plus vieux que nous.
Nous ignorons totalement pourquoi la population a tant reculé en âge. En tout cas, aujourd’hui, ils sont tous plus jeunes. Les tatouages et les piercings sont omniprésents.
Au moins les Anglais ont-ils encore un vrai sens de la famille. Un soir, nous sommes allé dîner au Mandarin Oriental, à Knightsbridge.
En plus de divers dîners d’affaires et couples installés, on trouvait plusieurs hommes mûrs en tête-à-tête avec leur fille. L’un d’entre eux devait même être avec sa petite-fille. Il y avait vraiment de quoi réchauffer le cœur.
La prospérité n’est pas garantie
Londres est aussi très cher. A Youghal, où nous sommes retourné récemment, la chambre la plus chère de la ville est à 150$ la nuit. A Londres, nous payons plus de 500$ pour un établissement similaire.
Mais les prix grimpent et baissent. La richesse et la prospérité ne sont ni garanties ni permanentes – ni pour les gens, ni pour les endroits.
En Irlande, pendant des siècles, le pays a été dominé par les grandes familles anglo-irlandaises. Pendant des générations, les catholiques du coin ont labouré leurs champs et versé leur thé. Ensuite, le vent a tourné. Les taxes, le terrorisme, l’imprudence et l’intempérance ont fini par avoir des séquelles.
Aujourd’hui, la plupart des grandes demeures sont en ruines. Bon nombre de celles qui restent font un peu pitié. Le maître et la maîtresse du manoir accueillent des touristes et luttent pour entretenir leur tas de vieilles pierres en servant le thé à la nouvelle classe moyenne.
Aux Etats-Unis, la richesse était débridée dès l’origine.
Baltimore était la ville la plus riche d’Amérique au début du XIXème siècle. C’est ensuite Pittsburgh qui lui a ravi le titre. Ensuite, au milieu du XXème siècle, ce fut au tour de Detroit.
Différentes tendances économiques produisent différents gagnants et perdants. Avec la baie de Chesapeake, Baltimore était un port idéalement positionné pour la nouvelle république.
Pittsburgh avait ses trois rivières… et ses deux familles – Carnegie et Mellon – qui ont mené la Révolution industrielle américaine.
Detroit fabriquait des voitures, des camions et des chars d’assaut – les produits les plus demandés des années 1940-1970.
Aujourd’hui, ces villes ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Pourquoi ? Comme nous le disons souvent, la « financiarisation » s’est installée.
Durant la dernière partie du XXème siècle, la financiarisation a été la tendance économique principale. L’économie gagnant-gagnant consistant à fabriquer des produits pour des clients a été remplacée par des tours de magie financière, alimentés par des taux parmi les plus bas de l’Histoire.
Londres et New York en ont été les principaux bénéficiaires. Les Etats-Unis ont introduit une nouvelle monnaie factice en 1971. Cinq ans plus tard, le « Big bang » londonien – une tendance à la dérégulation sur les marchés financiers dans les années 80 – a libéré le secteur financier britannique et marqué le début d’un gigantesque boom.
Les Etats-Unis ont créé de « l’argent » à partir de rien. Ils l’ont dépensé en tomates mexicaines, en BMW allemandes, en parfum français, en électronique japonaise et en gadgets chinois…
Qu’est-il arrivé à l’argent ensuite ? Une bonne partie est allée vers les centres financiers, où des gens très serviables en costumes trois pièces ont acheté des actions, des obligations et de l’immobilier… contribuant aux fusions-acquisitions… ainsi qu’aux rachats de titres.
Ensuite, l’argent s’est frayé un chemin vers le marché immobilier local… dans des appartements et immeubles… et des maisons à Chelsea ou Long Island.
… puis dans des écoles privées et des restaurants de prestige.
Un simple creux ?
Cette tendance – la financiarisation – est loin d’être terminée. Mais elle perd peut-être de sa vigueur. Voici un récent titre de Bloomberg :
« Le déclin de l’immobilier londonien empire, avec la plus grosse chute depuis une décennie.
Londres est en tête, dans l’affaiblissement du marché immobilier britannique de début 2019 ; les prix subissent leur baisse la plus importante depuis la crise financière il y a une décennie ».
A New York aussi, l’immobilier de prestige perd du terrain. CNBC :
« L’immobilier de Manhattan a connu son pire premier trimestre depuis la crise financière, couronnant la plus longue série de baisse des ventes depuis plus de 30 ans, selon de nouvelles statistiques.
Les ventes totales ont chuté de 3% au premier trimestre, selon un rapport de Douglas Elliman et Miller Samuel. Cela marquait le sixième trimestre consécutif de déclin, la baisse la plus longue sur les trois décennies durant lesquelles cette société d’estimation et de recherches a suivi les données.
La chute provient d’une surabondance d’appartements de prestige, d’un manque d’acheteurs étrangers et de la nouvelle loi fiscale fédérale qui a nui à l’immobilier dans les Etats fortement imposés. »
Un simple creux ? Ou bien le sommet de la prospérité a déjà été dépassé ?
Nous ne le saurons pas avec certitude avant des années.