Les Etats-Unis sont désormais en conflit avec la majeure partie du monde… et se battent même entre eux. Les accords gagnant-gagnant auraient-ils perdu leur efficacité ?
Habiter non loin de l’aéroport de Cork, en Irlande, a de bons côtés : on peut facilement aller à Paris.
L’aéroport lui-même est très civilisé, calme et détendu. Pas de sbires de la sécurité pour vous hurler dessus. Pas de files interminables.
Nous sommes à Paris pour affaires, bien entendu. Mais même le businessman le plus impassible aurait du mal à ignorer les bourgeons et les fleurs pullulant dans tous les arrondissements. C’est le printemps, tout de même.
Les amoureux, main dans la main, accrochent des cadenas à leurs initiales partout où ils le peuvent. « Tant que durera Paris », se disent-ils, « notre amour durera aussi ».
Mais nous n’avons pas le temps de nous arrêter pour respirer l’odeur des fleurs. Il nous faut relier les points… et tenter de comprendre l’effondrement de la civilisation occidentale.
Fuyez !
Oui, cher lecteur, nous ne voyons que du noir à l’horizon. Si vous êtes malin, vous fuirez la zone de danger… si vous le pouvez.
Hélas, ce sera difficile, parce que la civilisation elle-même est en danger. C’est là que nous commençons à relier de gros points bien rebondis.
L’une des leçons les plus précieuses que les humains aient jamais appris, c’est que les guerres sont dangereuses, destructrices et rarement profitables. Les va-t-en guerre détruisent la richesse (et le bonheur) ; il faut les garder en laisse.
Telle était l’idée principale du conservatisme pendant des générations : les autorités font de bons serviteurs mais de mauvais maîtres. Elles ont la force brute nécessaire pour ôter la vie, la liberté et la propriété. Et elles n’hésiteront pas, si on les laisse faire.
Mais avant de commencer à relier les points, décrivons le tableau dans son ensemble…
Parfois, on n’obtient pas ce que l’on veut
Dans la vie publique (comme dans la vie privée), on n’obtient pas toujours ce qu’on veut. Parfois, on obtient ce que personne ne veut. Parce qu’il y a en jeu des forces qui dépassent notre contrôle… notre choix le jour des élections… nos fantasmes des pages éditoriales… et les frontières de notre propre esprit.
Nos amis Lord William Rees-Mogg (désormais décédé) et Jim Davidson (toujours bien vivant) appellent ces forces la « mégapolitique ».
Parfois, la mégapolitique mène à la paix et à la prospérité. Parfois non.
Aujourd’hui ? C’est la cote des va-t-en guerre qui grimpe. Les autorités s’enhardissent, deviennent plus agressives.
Les Etats-Unis sont tout à coup en guerre contre tout le monde ou presque. Ils comptent quelque 240 000 soldats stationnés dans 172 pays différents. Environ 40 000 Américains sont engagés dans des missions de combat, chargés d’armes et de munitions.
Les USA sont en guerre contre des Arabes au Moyen-Orient… contre les Perses en Iran… contre la Russie… contre l’Union européenne, menacée elle aussi de sanctions…
Ils se battent même entre eux. Les républicains sont en guerre contre les démocrates. Les progressistes contre les conservateurs. Et bien sûr, il y a la guerre commerciale avec la Chine.
Il ne s’agit pas de désaccords polis et de négociations entre gentilshommes, mais de véritables menaces… d’affrontements… et de brimades dignes d’une sortie de bar un samedi soir.
Et pour quelle raison ? Aucun procès n’a lieu. Aucun verdict n’est rendu. Pourtant, les punitions sont distribuées. Des sanctions pour les uns, des bombes pour les autres… et distribution quasi-générale de taxes douanières.
A présent, dans la guerre commerciale qui se prolonge, les Chinois déchaînent leurs propres chiens. Après le décret de Donald Trump cherchant à interdire Huawei sur le sol américain, ils menacent d’arrêter d’acheter de l’alimentation aux Etats-Unis, et prévoient même de vendre leurs réserves de bons du Trésor US. Eux aussi basculent dans la guerre totale !
Que se passe-t-il ? Notre sujet aujourd’hui n’est pas de savoir comment ces « guerres » vont se dérouler… mais comment elles ont été déclenchées à l’origine.
Gagnant-gagnant ou perdant tout court
Il y a quelques années, personne ou presque n’aurait eu l’idée de laisser les autorités contrôler le commerce. Si les Américains voulaient acheter des gadgets et du bric-à-brac auprès des Chinois, ma foi, c’était leur affaire.
Mais à présent, même ceux qui se disent « conservateurs » pensent que le gouvernement devrait décider qui fait affaire avec qui et selon quels termes. Politico :
« Les républicains au Sénat reconnaissent que les derniers prélèvements sur les importations chinoises nuisent à l’économie des Etats américains agricoles, à leurs propres administrés et à certains des électeurs les plus fiables de Trump. Mais aucun plan n’est en place pour stopper, ni même menacer, le régime de taxes douanières du président ; ce n’est là que le dernier exemple en date de Trump imposant sa volonté protectionniste à un parti qui glorifiait autrefois le libre-échange ».
Que se passe-t-il ? Pourquoi abandonner la liberté ? Pourquoi laisser les autorités nous dire quoi faire ?
Le fait est que le progrès matériel dépend d’accords gagnant-gagnant. Les accords gagnant-gagnant fournissent aussi un riche terreau dans lequel les autres éléments de la vie civilisée peuvent prendre racine.
Dans un accord gagnant-gagnant, les menaces, les bombes et les sanctions n’ont pas leur place. Il faut penser à l’autre : que peut-on offrir dont il ait besoin ? Que peut-on donner afin de recevoir en échange ? Comment peut-on être la personne avec laquelle il voudra faire affaire ?
Voudra-t-il échanger avec quelqu’un qui pourrait le poignarder dans le dos… roter en public… ou renier les termes de l’accord ? Non ? Alors il faut être honnête, propre et attentionné.
On prend des nouvelles de sa famille. On demande si son mal de dos va mieux. On l’invite à boire une bière… et on se demande comment l’aider. Bref, on le traite comme l’on voudrait être traité.
Ainsi – comme guidée par une main invisible – la civilisation avance.
Attendez. Et si accords gagnant-gagnant semblaient ne plus rapporter ? Normalement, ils produisent de la croissance économique. Mais les taux de croissance aux Etats-Unis (et dans une bonne partie du reste du monde) ont été divisés par deux ou plus ces quatre dernières décennies. La croissance des salaires réels a quant à elle disparu il y a des années pour la plupart des gens.
Et si nous vivions à nouveau dans un monde gagnant-perdant, où l’on ne peut avancer qu’en dépouillant les autres ? Est-il temps de déchaîner les autorités ?