La Chronique Agora

Le MACF, ou le protectionnisme de Donald Trump en version européenne

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L’Union européenne est tout aussi protectionniste que les Etats-Unis. Elle utilise juste des moyens et des justifications différents pour arriver à ses fins.

Avez-vous déjà entendu parler de « l’ajustement à l’objectif 55 » ? Probablement pas, car pendant que l’Union européenne invente de nouvelles façons de détruire votre pouvoir d’achat, vous êtes probablement plus préoccupé par d’autres questions : comment vous allez parvenir à remplir votre réservoir d’essence dans les mois à venir, ou comment faire face au retour de l’hiver, étant donné les prix exorbitants du gaz naturel.

L’« objectif 55 », contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’est pas un plan de retraite, ni un cours d’aérobic (son nom anglais est « Fit for 55 »). Cette stratégie est la feuille de route de l’UE pour la législation à venir sur le climat, et son objectif est clair : réduire les émissions de dioxyde de carbone de 55 % d’ici à 2030.

Concurrence déloyale ?

Pour atteindre cet objectif, l’UE souhaite que les Etats membres prennent des mesures. Ce que ces actions signifient concrètement, je l’ai déjà souligné dans de précédents articles de La Chronique Agora : rendre l’avion moins abordable, la fin du moteur à combustion, l’augmentation des taxes sur l’essence et une refonte de tout notre système alimentaire.

Dans un article à venir, je m’intéresserai sûrement au brevets d’émissions SEQE-UE, mais, dans cet article, j’aimerais vous parler du « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières », ou MACF.

L’objectif principal de cet ajustement « à la frontière » est d’empêcher la délocalisation de la production à forte intensité de carbone vers des pays non membres de l’UE, un problème connu sous le nom de « fuite de carbone ». Lorsque les entreprises externalisent leur production pour éviter les coûts du carbone, elles déplacent en effet leurs émissions à l’étranger. Cela réduit l’efficacité des objectifs de la politique climatique de l’UE.

Ce problème préoccupe particulièrement Bruxelles, car des pays non membres de l’UE, comme ceux des Balkans, ainsi que la Moldavie, le Belarus et l’Ukraine, pourraient en venir à rivaliser avec les producteurs de l’UE. La logique est très européenne : d’abord, nous freinons l’efficacité de nos propres entreprises par la réglementation, puis nous traitons les autres pays de concurrents déloyaux.

Par exemple, une usine qui est située en Pologne et soumise aux règles environnementales de l’UE peut choisir de produire en Moldavie, qui ne fait pas partie de l’UE, et de ramener les marchandises en Pologne. Il s’agit, en substance, d’une version environnementale de l’effet des impôts élevés sur les sociétés, ou du coût élevé de la main-d’œuvre. Comme les pays en Europe de l’Ouest exigent des salaires plus élevés en raison des lois sur le salaire minimum, les entreprises choisissent de produire en Europe de l’Est et de ramener les marchandises à l’Ouest une fois la production terminée.

Priorité climatique

En fait, l’argument avancé par l’Union européenne dans cette affaire n’est pas fondamentalement différent de l’argument avancé par Donald Trump… lorsqu’il a commencé à imposer des tarifs punitifs sur les importations étrangères.

Trump a décidé que pour « faire passer l’Amérique en premier » et protéger les industries nationales, il avait besoin d’exemptions aux règles existantes de l’OMC. Bruxelles donne aujourd’hui à l’argument de Trump une touche verte : au lieu de « faire passer l’Amérique en premier », ce sera « le climat en premier », bien que cela ait exactement le même résultat sur notre politique commerciale.

Cette mesure en dit long sur le double standard de l’Europe en la matière. Comme le dit Arvind P. Ravikumar dans un article pour le MIT : « Il est hypocrite pour les pays développés de punir les pays en développement pour leurs émissions de carbone tout en investissant dans l’extraction de combustibles fossiles dans ces pays. »

Ce modus operandi est incroyablement emblématique de la manière dont nous semblons faire les choses dans l’UE : nous prétendons d’abord que les nations en développement doivent développer leurs économies par le biais du commerce avec le monde extérieur (et surtout avec nous). Ensuite, lorsque leurs produits s’avèrent être meilleurs et moins chers que notre production nationale, souvent parce que nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour restreindre nos propres producteurs, nous imposons des droits de douane à ces nations. Puis, lorsque les pays continuent à avoir du mal à se développer, nous les aidons par le biais de dons d’aide étrangère, qui atterrissent trop souvent sur les comptes bancaires suisses de leurs dictateurs respectifs.

Taxes et quotas

Revenons au MACF. Une telle « taxe » (la Commission insiste qu’il ne s’agit pas de taxe ni de droit de douane) n’a jamais été mise en œuvre dans le monde, et l’on peut se demander si elle est réellement légale au regard des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’OMC peut d’ailleurs annuler des mesures commerciales si elle estime qu’elles sont contraires aux accords commerciaux existants ou qu’elles profitent injustement à un pays au détriment des autres.

Pour cela, l’UE semble avoir déjà réfléchi à une solution, à travers son système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE). Ce cadre fait payer aux industries le CO₂ qu’elles émettent, en quantifiant le coût environnemental d’une tonne de dioxyde de carbone.

La directive établissant le SCEQE affirme que les mesures de soutien aux industries à forte intensité énergétique doivent être réexaminées à la lumière des évolutions internationales, et que ce réexamen « pourrait » inclure l’examen de « l’opportunité de remplacer, d’adapter ou de compléter toute mesure existante visant à prévenir les fuites de carbone par des ajustements aux frontières du carbone ».

En clair : en affirmant que les importateurs doivent respecter les lois européennes sur le climat, l’UE contourne les règles du commerce international fixées par l’OMC. Par exemple, l’UE pourrait exempter les importations d’acier et d’aluminium (dont les émissions de dioxyde de carbone sont importantes) des quotas gratuits, ce qui affecterait considérablement les importations étrangères.

Quelle est la différence avec Trump ?

Trump a également imposé des droits de douane sur l’acier et l’aluminium en provenance d’Europe, dans le but de « protéger les emplois américains ». En réalité, ce sont les entreprises et les consommateurs américains qui ont fini par payer la facture de ces droits de douane. Les Etats-Unis devraient plutôt pratiquer le libre-échange, qui est une politique économiquement raisonnable d’échanges mutuels. C’est également ce que l’Union européenne avait dit à Trump, lorsqu’elle s’était opposée à ces mesures.

En réalité, l’Union européenne est tout aussi protectionniste que les Etats-Unis. La différence notable est que l’Europe a trouvé des moyens plus élaborés de mettre en œuvre les mêmes politiques et, trop souvent, de s’en tirer à bon compte.

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