La Chronique Agora

Le Japon, miroir brisé de la finance mondiale

Avec une dette équivalente à 2,5 fois son PIB et des rendements historiquement bas qui s’emballent, le Japon montre ce qui attend peut-être les Etats-Unis : une économie piégée entre dette, inflation… et le risque d’un effondrement systémique.

Pour changer de fréquence, nous allons aujourd’hui nous pencher sur les problèmes des autres. Hélas, comme nous allons le découvrir, ils ressemblent étrangement aux nôtres.

Voici ce que rapporte notre collègue Tom Dyson :

« Le marché des obligations d’État japonaises est en pleine débâcle. L’obligation à 40 ans a perdu près de 25 % depuis août, atteignant aujourd’hui un nouveau plus bas. Son rendement est désormais de 3,14 %. »

Bloomberg titre :

« Chute des obligations japonaises : les marchés redoutent un retrait de la BoJ

La déroute a propulsé le rendement des obligations à 20 ans d’environ 15 points de base, atteignant son plus haut niveau depuis 2000. Le rendement des titres à 30 ans a, lui aussi, grimpé à un sommet inédit depuis leur première émission en 1999. Quant aux obligations à 40 ans, leurs rendements ont atteint un niveau record. »

Cette semaine, le Premier ministre japonais a lui-même comparé la situation budgétaire de son pays à celle de la Grèce, soulignant ainsi l’ampleur de la dette publique nippone.

Bloomberg cite un gérant de fonds local :

« Je ne touche pas aux obligations à très long terme. Le seul moyen d’améliorer le sentiment de marché serait une intervention des autorités. »

Mais que peuvent-elles faire ? Les dirigeants japonais pourraient-ils accomplir ce que les Américains n’osent pas faire : réduire les dépenses ? Ne sont-ils pas, eux aussi, enfermés dans cette prison politique de « l’inflation ou la mort » ?

Si l’on coupe dans les dépenses, toute l’économie – artificiellement gonflée au crédit – s’effondre. Mais si l’on continue d’injecter de la monnaie, on ne fait qu’aggraver la situation. Jusqu’à ce que les taux finissent par remonter et que tout s’écroule.

Voici comment David Stockman résume le problème immédiat :

« Après des années de création monétaire effrénée et de taux proches de zéro imposés par la banque centrale, la Banque du Japon s’est vue contrainte d’inverser la vapeur.

Elle a donc entamé une politique de resserrement (QT), sous la pression d’une inflation inattendue : 3,6 % en glissement annuel (et 3,2 % pour l’indice de base) – un niveau supérieur à celui observé aux États-Unis – et surtout une rupture totale avec les décennies d’inflation quasi nulle qu’a connues le Japon. »

Le Japon nous donne un avant-goût de ce qui pourrait bien attendre les Etats-Unis. Le pays doit désormais financer une dette publique équivalente à 2,5 fois son PIB, alors que l’inflation et les taux repartent à la hausse. A un taux moyen de 2,5 %, le simple paiement des intérêts de la dette représenterait environ la moitié des recettes fiscales du pays.

L’énigme japonaise réside dans cette capacité étonnante à s’endetter massivement tout en continuant à bénéficier des taux d’intérêt les plus bas du monde. Il y a cinq ans, l’emprunt à 10 ans offrait un rendement de 0,00 %. Aujourd’hui encore, il ne dépasse pas 1,58 %, alors même que le Japon détient le ratio dette/PIB le plus élevé des pays développés.

En 1990, la dette publique japonaise équivalait à 30 % du PIB, soit un niveau inférieur à celui des Etats-Unis à l’époque. Depuis, les deux pays ont vu leur dette exploser. Le ratio américain dépasse désormais 120 %, celui du Japon atteint les 240 %.

Et pourtant, jusqu’à maintenant, les prêteurs étaient restés silencieux et n’ont montré aucun signe de mécontentement. Qui donc accepterait d’acheter une obligation à 1 % émise par un pays dont la dette représente plus du double de son PIB ? Comment espérer être remboursé ? Cela tenait de l’anomalie financière : un risque énorme… sans la moindre compensation. Un affront aux lois de la finance.

Certains économistes et politiciens y ont vu la preuve que « les déficits ne comptent pas ». Nombre « d’experts » continuent d’ailleurs à brandir l’exemple japonais pour justifier les hausses massives de dettes et de déficits, comme celles promises dans le « grand et beau projet de loi » républicain, sans craindre que cela ne pénalise l’investissement privé ni ne freine la croissance.

Ils rappellent qu’entre 2000 et 2023, les taux américains ont baissé alors même que la dette fédérale explosait. Pour eux, l’emprunt s’est même facilité à mesure que l’endettement grimpait.

Mais la réalité est plus triviale : les autorités fédérales n’ont pas seulement emprunté davantage – elles ont littéralement créé l’argent nécessaire pour se le prêter à elles-mêmes à des taux de plus en plus faibles. Ce capital artificiel a faussé l’économie toute entière, piégeant les Etats-Unis et le Japon dans la même impasse : une crise de la dette désormais inévitable.

Les lois de la finance peuvent sembler souples, capricieuses, voire imprévisibles. Mais cela ne signifie pas qu’elles vous épargneront si vous commettez une erreur grossière.

Cette semaine, les taux montent partout dans le monde… même au Japon.

Tom Dyson lance une mise en garde :

« Dans le pire des scénarios, les obligations d’Etat – censées être la base la plus sûre du système financier mondial – pourraient bien se révéler être une bombe à retardement, cachée dans d’innombrables bilans. »

Un dernier mot aux détenteurs d’obligations : ce collier que l’on vous passe autour du cou, ce n’est pas du Christian Dior.

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