L’acceptation de nouveaux membres au sein de l’UE pourrait être complètement contre-productive. Une alternative existe toutefois…
Lors d’un récent discours à Prague, le chancelier allemand Olaf Scholz a suggéré ce qui revient à un élargissement considérable de l’Union européenne. Il propose d’ouvrir la voie à l’adhésion aux pays des Balkans occidentaux (Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie, Albanie, Bosnie-Herzégovine et Kosovo), ainsi qu’à l’Ukraine et à la Géorgie. En outre, Scholz plaide également en faveur de l’inclusion de la Croatie, de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’espace Schengen.
L’extension de l’espace Schengen est une proposition sensée, puisque, à toutes fins utiles, les trois pays ont attendu suffisamment longtemps avant de devenir membres, et que les contrôles aux frontières sont de toute façon lourds et inefficaces par rapport aux problèmes qu’ils sont censés résoudre. Les Croates, les Roumains et les Bulgares bénéficient déjà de la liberté de circulation au sein de l’Union européenne ; l’extension de Schengen est donc la conclusion logique.
Promouvoir le « bon » exemple
Cependant, l’extension de l’UE à des fins purement politiques est controversée. Lorsque j’étais correspondant sur la politique européenne pour un grand radiodiffuseur, j’ai souvent entendu des membres du Parlement européen se plaindre du fait que l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie était de nature politique et déficitaire, tant sur le plan économique que sur celui des libertés individuelles.
Certains ont excusé l’adhésion de ces deux pays, et légitimé l’adhésion d’autres pays comme eux, par l’argument selon lequel l’adhésion à l’UE améliore intrinsèquement l’économie et le leadership d’un pays.
Lorsque l’on voit comment la Roumanie a légalisé la corruption de bas niveau, et comment le Parlement européen a adopté des textes officiels déplorant le manque de liberté des médias et de normes suffisantes en matière d’État de droit en Bulgarie, choses qui se sont produites depuis l’adhésion des deux pays à l’UE, il est difficile de prouver la véracité de cette affirmation.
De plus, l’assassinat de journalistes ayant critiqué le gouvernement en Slovaquie et à Malte, l’ancien premier ministre tchèque ayant utilisé une partie des fonds de l’UE à des fins personnelles, l’érosion de l’État de droit en Pologne et la répression de la liberté d’expression en Hongrie montrent que l’UE ne fait pas grand-chose pour surveiller ses règles fondamentales.
Membre ou partenaire ?
L’adhésion à une union économique profiterait-elle aux pays des Balkans occidentaux, à l’Ukraine et à la Géorgie ? Très certainement, car elle éliminerait les barrières commerciales existantes. La Turquie a conclu un accord d’union douanière avec l’UE depuis 1995, ce qui a profité aux deux parties et constitue sans doute un des points positifs de la relation entre Bruxelles et Ankara ces derniers temps.
Permettre à ces pays d’accéder à un arrangement économique similaire à l’Espace économique européen (EEE), qui, outre les Etats membres de l’UE, comprend également l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège, pourrait être une solution qui répondrait aux besoins de cette décennie, sans entraîner les contributeurs nets actuels de l’UE dans un autre trou de déficit pour améliorer les infrastructures ou payer les obligations de la dette non financées.
Il serait en fait contre-productif pour un pays comme le Monténégro de devenir un membre à part entière de l’UE. Le gouvernement de Podgorica a pris de mauvaises décisions en autorisant des entrepreneurs chinois à construire des infrastructures, et son bilan en matière de bonne gouvernance est peu reluisant. Nous pourrions tout à fait faire comprendre à ces nations qu’elles sont les bienvenues et que leur population est européenne au même titre que nous, sans pour autant jeter de l’argent par les fenêtres de leurs gouvernements.
L’UE a-t-elle une raison d’envoyer un signal à Moscou pour lui faire comprendre qu’elle ne peut pas librement faire le tour des allégeances en Europe ? Oui, absolument. Cela dit, nous devons présenter nos arguments en faveur des réformes économiques structurelles, de la lutte contre la corruption et de la bonne gouvernance, plutôt que de simplement promettre de rénover des routes et des tunnels grâce au fonds de développement régional de l’UE, ou des subsides Erasmus pour les étudiants.
Une Europe à plusieurs vitesses
Si les valeurs fondamentales de l’UE sont censées signifier quelque chose, elles doivent être respectées. Sinon, qu’essayons-nous exactement d’atteindre par cette union ?
Sous la commission Juncker, la Commission européenne proposait « l’Europe à plusieurs vitesses », consciente du fait que tous les pays membres n’ont pas la capacité d’une production économique comparable à celle de l’Allemagne. Cela dit, l’UE a rarement reconnu la nécessité de niveaux de vitesse différents : elle organise toujours d’importants paiements de transfert des contributeurs nets vers les bénéficiaires nets de l’union. Ce que nous ne pouvons pas nous permettre, surtout dans le contexte actuel.
Lors de la crise de la dette souveraine en 2012, Bruxelles a appris à ses dépens que l’envoi de fonctionnaires allemands à Athènes, dans le but d’améliorer les habitudes de dépenses publiques, n’a fait qu’accroître les hostilités. La Grèce ne doit pas s’attendre à obtenir d’aussi bons résultats que certains pays de l’UE, mais elle ne doit pas non plus s’attendre à être renflouée au cas où ses propres erreurs de gestion viendraient à la hanter.
Tant que ce principe n’est pas gravé dans la pierre, l’acceptation de nouveaux membres au sein de l’UE est contre-productive. Ceci dit, cela ne doit pas empêcher une coopération économique plus approfondie avec ces pays, qui est indispensable.