La Chronique Agora

L’Europe effacée de la carte géopolitique : le plan de Trump dévoilé

The flags of the United States of America and the European Union waving in the wind on a clear day. 3D illustration render. Rippled fabric. Selective focus. International politics, alliance

La vision de Donald Trump pour l’ordre mondial est limpide : une Europe reléguée au second plan, sommée de s’aligner sur les priorités américaines.

La récente publication de la National Security Strategy 2025 par Donald Trump a eu le mérite de libérer la parole. Alors que certains y ont vu la brutalité d’un tournant dans la politique américaine, elle n’a fait que révéler une réalité : l’Europe tente de conserver des règles dans un monde qui n’en veut plus.

Anciennement sous la loi de l’économie de marché, le monde occidental a choisi, il y a huit siècles, le capitalisme. Mais contrairement à l’économie de marché, le capitalisme n’a pas de règles – ou plutôt une seule, qui est la sienne. Elle est simple : tout ce qui déroge à l’expansion du capital devient une contrainte.

Autrement dit, tout ce qui ne va pas dans le sens de la création de profit, et à moindre coût, doit être écarté à tout prix. Or, l’Union européenne – institution supranationale fondée sur des règles – se retrouve aujourd’hui confrontée à ces limites. Peu à peu, elle comprend que ses structures présentent des incompatibilités avec la compétition mondiale, en plus d’être éloignées des revendications des peuples européens. En prétendant satisfaire les deux, elle ne parvient finalement à convaincre aucun.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sous l’effet du plan Marshall et de l’aide militaire américaine, l’Europe s’est développée dans le sillage du modèle américain, lui-même imprégné de l’héritage britannique. L’idéologie portée par les Etats-Unis – et avant eux par d’autres puissances – à une échelle planétaire a été reproduite par l’Union européenne à l’échelle continentale. Le modèle libéral américain s’est matérialisé par la naissance du marché commun, et les institutions mondiales fondées par les Etats-Unis, comme le FMI, la Banque mondiale, l’OCDE ou l’OMC, ont servi de modèles à la création d’institutions supranationales européennes telles que le Conseil de l’Europe, la Banque européenne d’investissement ou encore la Banque centrale européenne.

Les protagonistes de la mondialisation financière étaient d’abord américains et britanniques, avant d’être européens. Ce n’est qu’après les politiques de libéralisation menées par Reagan et Thatcher dans les années 1980 que l’Europe a pris ce virage, et non l’inverse. Pour assurer sa pérennité, l’hégémonie américaine a toujours cherché à garder une influence déterminante sur l’évolution de l’Union européenne. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis maintiennent le continent dans une dépendance systémique à tous les niveaux afin de le fragiliser et d’en conserver le contrôle, sans jamais qu’il ne puisse leur échapper.

L’Union européenne a toutefois développé ses propres caractéristiques. L’intégration progressive de nouveaux pays et de nouvelles cultures l’a obligée à établir des règles et des principes de coexistence. Elle a également mis en place des mesures de protection et de régulation, comme le droit de la concurrence, la politique de cohésion ou la politique commerciale commune. Mais, aux yeux de Washington, ces mesures constituent des freins, faisant de l’Europe un continent trop régulé, fragmenté et vieillissant. Ce n’est qu’en levant ces freins que l’Union peut être « validée » par les Etats-Unis, car ainsi seulement elle peut soutenir leur idéologie, et, par extension, leur hégémonie.

Les orientations décrites dans cette nouvelle publication ne servent donc qu’un objectif : maintenir l’Europe dans un état de dépendance afin qu’elle reste alignée sur le modèle américain. Comme l’a laissé entendre le président américain, cette feuille de route vise à garantir que les Etats-Unis demeurent « la nation la plus grande et la plus prospère de l’histoire humaine ».

Au fond, Trump ne fait que poursuivre la politique de ses prédécesseurs, mais sans en masquer les intentions. Pour maintenir ce statut, il n’entend pas s’éloigner de l’Europe : il veut la corriger, dans le sens de la protection des intérêts américains. C’est désormais au nom d’un prétendu « sauvetage civilisationnel » de l’Europe que les Etats-Unis cherchent à légitimer leur ingérence. Sous couvert d’une alliance historique – alliance qui, rappelons-le, s’est toujours faite au profit de la montée en puissance américaine, notamment lors des deux guerres mondiales – l’empire américain se présente aujourd’hui comme le sauveur du Vieux Continent. C’est dire.

Si l’administration américaine décrit, à raison, un continent en déclin, menacé par l’immigration, l’effondrement démographique et la perte d’identité, il n’est pas inutile de rappeler que ces problématiques sont également celles que traversent les Etats-Unis depuis plusieurs décennies.

Donald Trump prétend dès lors vouloir « rendre l’Europe européenne ». Mais uniquement selon la définition qu’en donnent les Etats-Unis eux-mêmes : une Europe dépendante de leur économie, alignée géopolitiquement et appuyée sur des partis politiques compatibles avec Washington.

Cette logique se retrouve dans d’autres domaines, notamment dans le positionnement américain à propos des relations entre l’Europe et la Russie. Hier, il fallait empêcher l’Europe de tomber sous l’influence soviétique, dont l’incompatibilité avec l’idéologie américaine n’est plus à démontrer. Aujourd’hui, il s’agit de l’empêcher de dialoguer avec la Russie et de l’en éloigner le plus possible. Dans les deux cas, les Etats-Unis maintiennent la main sur la politique européenne, désormais portée par une diplomatie libérée de tout vernis.

Alors même que Washington n’a eu de cesse de rompre les liens russo-européens depuis la Guerre froide, l’administration Trump se rapproche aujourd’hui de Moscou, jusqu’à envisager la fin de son soutien à l’Ukraine…

Dans ces conditions nouvelles, l’Europe n’est plus seulement à l’heure des choix, mais face à une menace historique. Elle restera un continent vassal tant que les pays européens n’affirmeront pas leur identité et n’adopteront pas une stratégie pour contrer un modèle fondé sur la loi du plus fort.

Un tel changement ne peut intervenir qu’à la condition, d’abord, de comprendre l’ampleur de la dépendance continentale vis-à-vis des Etats-Unis, persistante depuis 1945. Cette prise de conscience permettrait ensuite aux pays européens de s’émanciper, à condition d’avoir pensé un contre-modèle au service des peuples européens. Car comment prétendre incarner le continent de la démocratie lorsque le Parlement européen, seule institution dont les membres sont élus, ne possède même pas l’initiative législative ? Les contradictions sont inhérentes à la construction européenne. Or, pour rester dans l’Histoire, il faut savoir dépasser ses contradictions.

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