La Chronique Agora

Les Etats-Unis, de retour dans les années 30

Grande dépression

Les déclarations et menaces de Trump évoquent la fameuse loi Smoot-Hawley et les « guerres commerciales » qui ont accompagné la Grande dépression des années 1930.

La loi Smoot-Hawley, promulguée le 17 juin 1930, s’appliquait à des centaines de produits et faisait passer les taxes douanières moyennes des Etats-Unis de 38% à 45%.

L’économie mondiale a sombré dans une crise sans précédent et des guerres commerciales ont éclaté. Cependant, la relation entre ces événements n’est pas aussi simple qu’elle est généralement décrite.

Voici ce que vous devez savoir sur les tarifs Smoot-Hawley, les retombées dans les années 1930 et les conséquences pour aujourd’hui.

Les économistes datent la Grande dépression à août 1929, un tournant décisif lorsque l’économie a commencé à se contracter. Le marché boursier américain a commencé son glissement épique en octobre 1929, perdant presque la moitié de sa valeur à la mi-novembre.

Smoot-Hawley n’était pas une réponse à la récession. Elle a été conçue pour la première fois en 1928, alors que l’économie américaine était encore en croissance et en plein emploi. La Chambre des représentants a adopté sa version du projet de loi en mai 1929.

La loi Smoot-Hawley n’a pas non plus provoqué la Grande dépression. Le président Hoover ne l’a pas ratifiée avant juin 1930. Les taxes douanières sont entrées en vigueur près d’un an après le début du ralentissement économique. La plupart des économistes pensent que la récession est devenue la Grande dépression lorsque le système bancaire américain a commencé à s’effondrer au début des années 1930.

Comment cela se compare-t-il à la proposition de Trump concernant les taxes douanières aujourd’hui ?

Il n’y a pas de crise macroéconomique justifiant les tarifs de Trump : le taux de chômage aux Etats-Unis est de 4,1% et l’économie est en croissance depuis près de neuf ans. Il est peu probable que l’économie américaine entre en récession, même si l’OCDE a averti que le protectionnisme commercial constituait un risque pour la croissance mondiale.

À l’époque des tarifs Smoot-Hawley, le gouvernement des Etats-Unis appliquait des droits à l’importation à environ deux tiers des importations sous forme unitaire. Cela peut représenter par exemple 100 $ par tonne d’acier ou 1 $ par livre de fromage.

Cela avait beaucoup d’importance à cause de la forte déflation des prix à l’époque. Quand les prix baissent, en proportion, les droits de douane deviennent plus importants.

Avec la déflation, un tarif qui augmente le coût d’une importation de 10% – une taxe de 100 $ sur une tonne d’acier au prix de 1 000 $ à l’origine – semble soudain atteindre les 20% lorsque les prix de l’acier tombent à 500 $ par tonne.

Même si le gouvernement n’a imposé qu’une seule augmentation tarifaire, la baisse des prix a rendu les droits de plus en plus restrictifs au fil du temps.

Aujourd’hui, il ne reste qu’environ 8% des droits de douane américains sous forme unitaire – et la déflation des prix n’est pas une préoccupation imminente.

L’imposition de tarifs par Trump pourrait poser d’autres problèmes

Par exemple, les nouveaux tarifs peuvent entraîner des pertes d’emploi dans les industries utilisatrices d’acier. American Keg Co. – le dernier fabricant américain de fûts de bière en acier inoxydable – a déjà annoncé des licenciements et déclaré que ses propres demandes de droits de douane pourraient être imminentes en raison de la hausse attendue des prix de l’acier.

Parce que l’acier et l’aluminium sont des produits de base importants, leurs coûts plus élevés pourraient conduire à un protectionnisme en cascade.
Au début des années 1930, plusieurs pays ont immédiatement réagi à Smoot-Hawley en manipulant leurs propres tarifs. Le Canada, à l’époque comme aujourd’hui, était fortement dépendant du marché américain ; il fut indigné par l’action des Etats-Unis. En rétorsion, il imposa des droits à deux reprises en 1930.

Tandis que d’autres pays ripostaient également aux Etats-Unis, une guerre commerciale mondiale s’est déclenchée en 1931.

Les partenaires commerciaux actuels peuvent également réagir en imposant des droits plus élevés aux exportations américaines. A la suite des actions de Trump, l’Union européenne a annoncé un plan de « rééquilibrage » de ses relations commerciales. La question des droits sur l’industrie automobile sera particulièrement importante, mais Trump a décidé de la différer.

D’autres pays peuvent agir de la même manière. La Chine a annoncé qu’elle examinait la possibilité d’imposer de nouveaux droits de douane sur des importations de sorgho de plus d’un milliard de dollars peu après que Trump a imposé une série de droits de douane sur les panneaux solaires et les machines à laver en janvier.

Smoot-Hawley a également laissé les Etats-Unis en dehors des accords commerciaux préférentiels. Lors d’une conférence à Ottawa en 1932, la Grande-Bretagne a établi son système de « préférences impériales », accordant des droits de douane plus bas aux anciennes colonies comme le Canada. Avant Smoot-Hawley, environ le quart des exportations américaines était destiné à la Grande-Bretagne et au Canada.

Cela signifiait que les producteurs de blé américains étaient soumis à des droits de douane sur le marché britannique, tandis que les agriculteurs canadiens bénéficiaient de préférences impériales. L’industrie textile américaine a également été confrontée à des droits de douane sur les exportations vers le Canada tandis que les fabricants britanniques les ont évités.

Un schéma similaire semble se dégager aujourd’hui

L’Union européenne a récemment signé des accords avec le Canada et le Japon. Onze pays riverains du Pacifique sont également sur le point de mettre en œuvre une version modifiée du partenariat transpacifique que Trump a rejeté.

En conséquence, l’industrie du homard du Maine craint de perdre l’accès à l’Europe, car les concurrents canadiens ne sont maintenant soumis à aucun droit de douane. Dans l’ouest des Etats-Unis, les éleveurs de bétail américains sont confrontés à des conditions plus difficiles sur le marché japonais, car le boeuf australien est soumis à des droits de douane moins élevés.

En partie pour remédier aux problèmes créés par Smoot-Hawley, le Congrès a adopté la loi de 1934 sur les accords commerciaux réciproques. Au cours des sept décennies suivantes, les présidents américains ont utilisé cette autorité légale pour négocier des réductions de droits de douane avec leurs partenaires et libéraliser les échanges.

Le Congrès a également délégué au président un pouvoir considérable pour augmenter les tarifs au cours de cette période. Jusqu’à l’administration Trump, toutefois, cela conduisait rarement à une nouvelle protection des importations.

Les tarifs de Trump sur l’acier et l’aluminium découlent des dispositions relatives à la sécurité nationale de la section 232 de la loi d’expansion du commerce de 1962. Les taxes douanières imposées sur les importations en provenance de Chine, comprises entre 30 et 60 milliards de dollars, seraient imposées à la suite d’une enquête menée en vertu de la section 301 d’une loi de 1974, une loi distincte qui donne au président une telle autorité.

Certains républicains du Congrès ont déposé un projet de loi visant à mettre un terme aux prérogatives de Trump en matière de droits de douane. La grande question qui se pose à présent est de savoir si le Congrès tentera de reprendre le contrôle de la politique commerciale qu’il a cédé au président en 1934.

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