La Chronique Agora

Les Etats-Unis jouent à la roulette russe

Nous jouons avec le feu… espérons que nous ne finissions pas tous brûlés.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, je vous mets en garde contre les dangers de l’escalade entre les Etats-Unis et la Russie. Nous sommes peut-être sur le point de monter d’un cran sur l’échelle de l’escalade.

Dimanche dernier, l’Ukraine a lancé une attaque contre la Crimée avec un système de missiles tactiques de l’armée (ATACMS) fournis par les Etats-Unis. La cible était probablement une installation militaire, voire une base aérienne russe.

Il semblerait que cinq ATACMS aient été utilisés dans l’attaque. Quatre des missiles ont été abattus par les Russes et le cinquième a été endommagé et dévié de sa trajectoire. Il était équipé d’une ogive en grappe, qui libère plusieurs bombes sur sa cible. Ce type d’ogive est spécialement conçu pour détruire des vies, plutôt que des cibles solides.

Ce missile a explosé au-dessus d’une plage publique bondée de Sébastopol, siège de la flotte russe dans la mer Noire. Quatre personnes ont été tuées, et au moins 150 personnes blessées.

« Des mesures de rétorsion vont certainement être prises »

Cet incident a suscité l’indignation en Russie et le gouvernement russe l’a condamné en termes très clairs. Le ministère russe de la Défense a publié la déclaration suivante :

« La responsabilité d’une frappe délibérée de missiles sur des résidents pacifiques de Sébastopol repose essentiellement sur Washington, qui a fourni les armes à l’Ukraine. »

Pendant ce temps, le ministre russe des Affaires étrangères a averti que cette attaque « ne resterait pas impunie » et que « des mesures de rétorsion vont certainement être prises ».

Lorsque la Russie accuse les Etats-Unis d’être directement responsable de l’attaque, ils ont raison.

Les Etats-Unis ne se contentent pas de remettre à l’Ukraine des missiles ATACMS pour qu’elle les utilise à sa guise, et de s’en essuyer les mains. Les données de ciblage de ces missiles sont fournies par les moyens de reconnaissance américains et les informations sont programmées dans les missiles par le personnel. L’Ukraine n’a pas accès à ces données, seuls les Etats-Unis y ont accès.

C’est comme si les Etats-Unis chargeaient une arme et ordonnaient à l’Ukraine de la pointer en Russie. L’Ukraine appuie sur la détente, certes, mais ce sont les Etats-Unis qui sont aux commandes. La Russie le sait, ce qui explique la réponse musclée.

Ce n’était qu’un accident, voyons

Certains diront que personne n’a délibérément visé une plage bondée en Crimée, que les défenses aériennes russes ont détourné le missile de sa cible et qu’il a malheureusement explosé au-dessus de la plage. La Russie ne peut donc pas faire porter le chapeau aux Etats-Unis pour l’incident.

L’attaque s’est déroulée de jour et le missile était programmé pour suivre une trajectoire qui l’emmènerait près de cette plage bondée, augmentant considérablement les chances qu’un incident de ce type se produise. Peut-être que cet itinéraire avait été choisi parce que les défenses aériennes russes étaient plus légères dans cette zone… je n’en suis pas certain.

L’argument selon lequel les Etats-Unis n’assument pas une responsabilité importante dans cet incident ne tient pas la route, aux yeux des Russes.

L’ambassadeur des Etats-Unis en Russie a été convoqué au ministère des Affaires étrangères à la suite de cette attaque. Si l’on ne sait pas exactement ce qu’il s’y est dit, on peut imaginer que la rencontre n’a pas été cordiale.

La question est maintenant de savoir quelle forme de représailles choisira la Russie.

Une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la mer Noire

Poutine est sous pression pour faire de l’espace aérien au-dessus de la mer Noire une zone d’exclusion aérienne : les données de ciblage pour les attaques de missiles sur la Crimée sont souvent fournies par des drones et des aéronefs pilotés au-dessus de la mer Noire.

Cela représenterait une escalade majeure. Les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN ne toléreraient pas cette zone d’exclusion aérienne au-dessus de la mer Noire, ils la contesteraient sûrement.

Pour rester crédible, la Russie devrait abattre chaque drone qui survolerait la mer Noire.

Une question demeure : abattraient-ils des avions de reconnaissance avec équipage ?

Abattre un drone est une chose. Abattre un avion de reconnaissance en est une autre. Ces avions ont au moins 15 membres d’équipage à bord, parfois plus de 30 personnes selon la mission. Contrairement aux avions de chasse, il n’y a pas de sièges éjectables dans ces avions. Ils pourraient y avoir une glissière de sauvetage à l’arrière de l’avion, mais si l’avion est touché par un missile, l’équipage entier mourrait.

Poutine cédera-t-il à la pression intérieure croissante pour déclarer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la mer Noire ?

La Russie ripostera à sa manière

Malgré tout ce que vous pouvez entendre dans les médias, Poutine est un dirigeant prudent et mesuré. Il comprend les risques que représente une zone d’exclusion aérienne.

Il sait que les Etats-Unis la contesteraient et que la Russie serait forcée d’abattre des drones et des avions américains pour rester crédible. La dernière chose à faire est de proférer des menaces vides. Elles doivent être soutenues par des actions, sinon elles n’ont pas de sens. Poutine ne profère pas de menaces en l’air.

Si la Russie n’imposera probablement pas de zone d’exclusion aérienne au-dessus de la mer Noire ou ne prendra aucune mesure directe contre les Etats-Unis, cela ne signifie pas qu’elle ne prendra pas de mesures du tout. Elle le fera. Il s’agira simplement d’une forme indirecte de rétorsions.

Comme je l’expliquais récemment, les Etats-Unis utilisent l’Ukraine comme intermédiaire pour attaquer la Russie, mais la Russie pourrait très bien utiliser ses propres intermédiaires pour frapper les intérêts américains autour du globe.

Elle pourrait :

Les Houthis utilisent des drones et des missiles obsolètes basés sur la technologie des années 1960. Les navires de guerre américains les ont en grande partie interceptés (et à grand frais, si je puis me permettre).

Mais, si la Russie leur procure des missiles anti-navires haute technologie, cela changerait la donne. Ces missiles représentent une menace légitime pour la Marine américaine.

Jouer avec le feu

L’une ou l’autre de ces mesures constituerait-elle une escalade ? Oui, mais il ne s’agirait pas d’attaques directes contre les forces ou les intérêts américains. Il s’agirait d’attaques indirectes par procuration, tout comme les Etats-Unis mènent une guerre indirecte, par procuration, contre la Russie.

Je pense que Poutine choisira ce type de représailles. Il ne veut pas risquer une guerre directe avec les Etats-Unis, même s’il subit des pressions internes pour imposer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la mer Noire.

Si un autre incident de ce type se produit, Poutine pourrait se sentir obligé de prendre des mesures plus décisives. Il s’agit là d’un danger important, car la guerre est imprévisible, et plus elle s’éternise, plus il est probable qu’un autre incident similaire se produise.

Nous jouons avec le feu… espérons que nous ne finissions pas tous brûlés.

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