La Chronique Agora

La Chine et le dollar

Chine, dollar, croissance, mondialisation

Statut de la relation : c’est compliqué.

Dans son « Dollar Report », notre collègue Dan Denning écrit :

« En août 1971, le président français Georges Pompidou envoya un contre-torpilleur à New Jersey pour récupérer l’or français détenu en dépôt par la Réserve fédérale. Cette offensive marqua la fin du système de Bretton Woods, né après la Seconde Guerre mondiale, qui avait fait du dollar la monnaie de réserve mondiale, convertible en or au taux fixe de 35 $ l’once. »

Nous nous intéressons en ce moment aux causes des turbulences financières actuelles. Des performances boursières déplorables, des marchés obligataires en berne, une inflation record, six mois horribles pour les portefeuilles 60/40 classiques (composés à 60% d’actions et à 40% d’obligations)… Comment en sommes-nous arrivés là ?

Cela s’apparente à une plongée archéologique qui nous fait descendre encore et encore à travers différentes strates d’erreurs, de délires et de vœux pieux.

Est-ce parce que le contre-torpilleur français est rentré bredouille ?

Est-ce parce que la Russie a envahi l’Ukraine ? Ou est-ce parce qu’Eve a goûté la pomme au commencement ?

Le problème, lorsque l’on commence à creuser, c’est de savoir où et quand s’arrêter. Si l’on continue à creuser, on se retrouve en Chine.

Et c’est précisément la Chine qui nous intéresse aujourd’hui.

Taux de change flottant

Les Etats-Unis ont adopté le dollar à taux de change flottant en 1971. Il s’agissait d’un dollar qui ressemblait à s’y méprendre au dollar de 1969. Mais il s’agissait d’un dollar différent. Il n’était plus convertible en or. Il s’agissait d’un dollar de technocrate, flexible, ajustable et source de tentation. Il s’agissait d’un dollar que les Français ne pouvaient plus convertir en or à taux fixe.

Les nouveaux dollars sont conçus sur le marché du crédit. Lorsque les banques prêtent de l’argent, elles ne puisent pas dans l’épargne de leurs clients. Elles se contentent de créer de l’argent à partir de rien. Il s’agit simplement d’une opération comptable. Peu importe si le client à qui elle prête possède une épargne ou non.

La conception est la partie la plus connue du cycle de la vie humaine. Il en va de même avec l’argent : tout le monde sourit quand un nouveau dollar voit le jour. Ainsi, en parallèle de la croissance du crédit observée entre 1971 et 2022, la masse monétaire a augmenté et a pris de l’âge. Comme nous l’avons vu, de 1971 à nos jours, la dette fédérale a augmenté trois fois plus vite que le PIB. Et rapidement, nous nous sommes retrouvés avec un tas de vieille dette à rembourser.

Tant que le dollar était arrimé à l’or, il y avait des limites à l’endettement. Les dollars étaient convertibles en or. Or, la quantité d’or était limitée. Mais, sans cette contrainte, les limites ont sauté.

En plus des prêts bancaires traditionnels, la Fed pouvait également « imprimer » des dollars et les utiliser pour acheter des obligations. Cet assouplissement quantitatif a eu pour conséquence d’injecter des quantités astronomiques de nouveaux dollars dans l’économie financiarisée. Cela a poussé les taux d’intérêt à la baisse et alimenté la demande de financements.

Ben Bernanke s’est vanté d’avoir eu le « courage d’agir » lorsqu’il a utilisé l’assouplissement quantitatif pour mettre fin au krach financier de 2009. Mais cela a engendré une augmentation de 30 000 Mds$ de la dette fédérale (montant total de la dette nouvelle créée entre 2009 et 2022).

Nous étions en présence d’imbéciles qui étaient convaincus que l’on pouvait s’enrichir en imprimant de la monnaie. Et ces imbéciles avaient raison.

Des élites peu glorieuses

Ce n’est pas un hasard si la majeure partie des actifs financiers sont détenus par l’élite, la tranche la plus riche de la population. Je parle ici des gens qui dirigent la Fed, les deux chambres du Congrès et la Maison-Blanche. Le nouveau programme monétaire leur convenait donc parfaitement et il n’y a là rien de surprenant. Entre 1971 et 2022, il leur a permis d’accroître leur patrimoine (immobilier, actions, obligations, entreprises) de 72 000 Mds$.

Mais comment expliquer que les prix à la consommation n’aient pas augmenté au même rythme que les cours des actifs financiers avec cette politique de la planche à billets ? Et quid des 80%-90% de la population qui ne détenaient ni actions ni obligations ?

C’est là qu’entrent en jeu les Chinois. L’une des doctrines dominantes de la fin du XXème siècle était l’idéal de mondialisation. L’éditorialiste du New York Times Tom Friedman a publié un livre vantant les mérites de la mondialisation : La Terre est plate.

En 1979, la Chine a décidé qu’il était temps pour elle de rejoindre l’économie mondiale. « Il est glorieux de s’enrichir », affirmait Deng Xiaoping. La Chine s’est rapidement couverte de gloire. Du jour au lendemain ou presque, les usines se sont multipliées comme des pousses de bambou et 300 millions de paysans ont migré vers les centres urbains pour y travailler.

Avec une main-d’œuvre chinoise aussi bon marché, il ne servait plus à rien de faire appel à des salariés américains plus coûteux. Ces derniers sont devenus inutiles. Et, étant donné que les usines chinoises fabriquaient des biens et des marchandises par millions, les prix n’augmentaient pas.

Bonhomme de chemin

C’est ainsi que les grands axes commerciaux transpacifique ont attiré de plus en plus de monde. Les navires en provenance de Chine ont commencé à parcourir les mers, chargés de télévisions, fours, grille-pain et réfrigérateurs pour les consommateurs américains. Les navires qui faisaient le chemin inverse étaient quasiment vides. Les Chinois fabriquaient des objets utiles. Les Américains imprimaient de l’argent pour les acheter. Si bien que le déficit commercial avec la Chine s’élevait à plus de 36 Mds$ pour le seul mois de décembre 2021.

Depuis, la tendance semble être à la baisse. Le déficit commercial avec la Chine s’est replié à 31 Mds$ en mai 2022. Pourquoi ? Il y a désormais d’autres paysans à exploiter. Les usines chinoises paient plus cher le cuivre, le zinc, le pétrole et les autres matières premières dont elles ont besoin.

Maintenant que le coût du travail et que les prix des matières premières augmentent, la Chine ne reste plus les bras ballants face à la politique monétaire expansionniste des Etats-Unis. Les prix à la consommation augmentent partout. Et l’inflation poursuit son petit bonhomme de chemin.

La suite au prochain épisode…

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile