Les dernières mesures protectionnistes développées par les Américains s’accompagnent d’incitations visant des entreprises européennes qui pourraient s’installer outre-Atlantique.
Emmanuel Macron effectue sa seconde visite d’Etat aux Etats-Unis en quatre ans et tous les services de communication de l’Elysée, les ministres, le ban et l’arrière-ban de la macronie nous pressent de nous extasier sur cet insigne honneur dont seul notre président peut se vanter parmi tous les dirigeants européens depuis une décennie.
La raison en est simple : les visites d’Etat sont réservées aux seuls chefs d’Etat. Or la plupart des dirigeants européens sont simplement chef de gouvernement, et effectuent à ce titre des « visites officielles ».
Tout est donc question de vocabulaire protocolaire.
Emmanuel Macron avait prévenu Washington qu’il jugeait très inamicales les mesures protectionnistes affectant les industriels européens, fallacieusement présentées comme une riposte contre l’inflation, sous l’appellation d’« Inflation Reduction Act » (IRA), entrée en vigueur en août dernier.
Des subventions à trois conditions
Sous prétexte d’atténuer la facture de la flambée des prix et d’agir parallèlement en faveur du climat, Washington alloue de généreuses subventions (jusqu’à 7 500 $ de crédit d’impôt) pour inciter les Américains à s’acheter un véhicule électrique. A la condition qu’il soit fabriqué sur le sol américain, par une main d’œuvre américaine, protégée par des syndicats américains.
Or il existe très peu d’usines automobiles aux Etats-Unis accueillant des syndicats : il s’agit d’un héritage historique datant des années 1920 dont on ne retrouve la trace que dans la région des Grands Lacs, à Detroit, Milwaukee, Cleveland…
Les automobiles produites dans l’UE, en Corée, au Japon ou au Mexique sont exclues de facto du système de crédit d’impôt US.
Le patron de Tesla, Elon Musk, n’a qu’à faire l’effort de tolérer une représentation syndicale de pure forme et le tour sera joué. Il s’apprête par ailleurs à jouer un autre mauvais tour à l’Allemagne en renonçant à construire une usine géante de batteries dans l’est du pays, laquelle ne sera jamais rentable sur la base des coûts énergétiques actuels, ou même si le tarif du gigawatt baissait encore de moitié d’ici 2024.
Les constructeurs allemands, japonais ou coréens auront beau adopter la présence de syndicats, un grand nombre de pièces étant produits loin du sol américain, notamment les batteries assemblées majoritairement en Chine, les véhicules qu’ils produisent resteront inéligibles au coup de pouce fiscal.
Les 370 Mds$ injectés pour décarboner l’économie américaine obéissent également au principe du « made in America », ce qui met hors-jeu les industries européennes.
Mais les Etats-Unis ne se contentent pas de mesures protectionnistes et de subventions discriminatoires. Ils tentent en plus de siphonner notre tissu industriel en proposant aux entreprises européennes qui s’établiraient sur leur sol de bénéficier de prix de l’énergie attractifs aux Etats-Unis, quatre fois moins cher que le GNL issu du gaz de schiste américain livré en Europe.
C’est d’ailleurs fin novembre que les quantités de GNL importées des Etats-Unis à prix d’or ont dépassé celles importées à bas coût de Russie.
Affaiblir l’Europe
Il aura fallu attendre le 8 novembre pour qu’Emmanuel Macron s’alarme publiquement de l’adoption de l’IRA par le Congrès américain, une législation qui n’est pas conforme aux règles de l’Organisation mondiale du commerce et qui instaure de fortes distorsions de concurrence.
Déposer une plainte à l’OMC enclencherait cependant une procédure arbitrale de plusieurs années (toujours ça de gagné pour les Etats-Unis) qui instaurerait une ère de non coopération durable entre les deux blocs économiques.
La Maison-Blanche sait très bien ce qu’elle fait : affaiblir l’Europe, la vider de sa substance, au risque de s’engager dans un cycle de contre-mesures protectionnistes initiées par Bruxelles… Mais l’Amérique exporte assez peu vers l’Europe, alors que les Etats-Unis sont un client d’importance vitale pour notre industrie automobile, et du luxe.
Une guerre commerciale est perdue d’avance… et, de toute façon, elle ne ferait que des perdants.
Avant que l’Europe ne se retrouve exsangue, elle peut tout de même causer un peu de tort à l’industrie américaine, ce qui ne changera pas grand-chose. Le Congrès, avec une Chambre des représentants à majorité républicaine, ne renoncera pas à l’IRA – ni au Chip Act – qui est également un outil conçu pour bloquer les exportations de semiconducteurs chinois.
Macron peut au mieux négocier des aménagements de l’IRA (le Chip Act nous affecte peu), sur le modèle de ce que Washington consent déjà pour le Mexique ou pour le Canada… mais ces pays font partie d’un traité de libre-échange nord-américain très ancien.
De façon très cynique, Washington sait bien que les Européens ne sont pas en position de force pour entamer un bras de fer commercial avec leur « allié » américain alors qu’une guerre à ses frontières peut à tout moment déborder de son cadre, le territoire ukrainien.
L’Europe se saigne par ailleurs financièrement pour soutenir Kiev, ce qui lui laisse d’autant moins de marges de manœuvre pour soutenir ses propres entreprises, à moins de recourir massivement à « l’argent magique » (planche à billet), ce qui plomberait l’euro et relancerait la mécanique infernale de la spirale inflationniste.
Emmanuel Macron, qui a, dans un premier temps, obéi à tous les désidératas des Etats-Unis en matière de sanctions-boomerang contre la Russie, semble sous-entendre désormais que, quand on a un « allié commercial » comme les Etats-Unis, on n’a pas besoin d’ennemis.