La japonisation avec des taux éternellement bas ou la faillite : ce sont les deux perspectives à l’horizon pour l’Eurozone
Le 13 décembre dernier, Mario Draghi a annoncé la fin du QE pour le 31 décembre 2018 et une première remontée des taux directeurs pour l’été 2019. Comme nous l’avons vu précédemment, les marchés sont loin d’être persuadés que l’Italien sera en mesure de tenir ses promesses. Certains tirent mêmes des conclusions assez sombres pour l’économie de la Zone euro.
C’est la question que posait Natixis au lendemain de l’annonce de Mario Draghi.
Comme l’équipe de recherche de Patrick Artus s’est efforcée de produire un résumé de la question dans un langage accessible au commun des mortels, je vous le livre in extenso :
« La Banque du Japon est condamnée à maintenir des taux d’intérêt nuls à long terme en raison de la taille de la dette publique et de la détention d’obligations par les banques et les investisseurs institutionnels au Japon. Une remontée des taux d’intérêt à long terme aurait des effets catastrophiques sur la solvabilité de l’Etat et des intermédiaires financiers au Japon.
Mais le même piège est en train de se refermer sur la BCE : après de nombreuses années de taux d’intérêt très bas, la remontée des taux d’intérêt à long terme ferait apparaître une crise de solvabilité budgétaire dans plusieurs pays (France, Italie, Espagne, Finlande, Belgique) ainsi que des pertes très importantes sur les portefeuilles obligataires des banques et des investisseurs.
Comme au Japon, le maintien dans la Zone euro de taux d’intérêt très bas pendant une longue période de temps interdit de remonter les taux d’intérêt, d’autant plus que la situation cyclique de la Zone euro se dégrade, ce qui a deux effets : rendre plus difficile à court terme la remontée des taux d’intérêt ; allonger encore la période de taux d’intérêt très bas, donc renforcer encore l’irréversibilité de cette situation de taux d’intérêt très bas. »
Il est cependant une différence de taille entre la Zone euro et le Japon, laquelle ne va pas faciliter la tâche de Mario Draghi. Comme le relevait mi-décembre le britannique Ambrose Evans-Pritchard, journaliste du Daily Telegraph :
« Le problème est que la Zone euro n’est pas une nation comme le Japon, pays dont les politiques fiscales et monétaires sont coordonnées. Les constituants européens sont bien plus vulnérables à une crise de la dette ».
Pour ce qui est des « portefeuilles obligataires des banques », il y a donc du souci à se faire. Comme le résume le blogueur Bruno Bertez :
« Si la valeur de la dette souveraine européenne est bidon, fausse, artificielle, cela signifie que les actifs des bilans des banques européennes sont faux, inflatés, surévalués, ce qui signifie qu’elles sont fragiles, vulnérables. Si la valeur des actifs des banques est fausse et inflatée, cela signifie que la valeur des actifs des caisses de retraites, des compagnies d’assurances etc. est fausse, surévaluée. »
Avec la fin du QE, « les valeurs réelles d’inventaire vont chuter et les comptabilités vont devenir de plus en plus fausses… et tout le monde le saura ! »
Que faire lors de la prochaine crise ?
Pritchard évoque un nouveau round de QE :
« En bout de course, la BCE pourrait être contrainte de redémarrer son QE, mais uniquement lorsque la situation sera désespérée. »
Au final, le poste de patron de la BCE, c’est un peu celui de Sisyphe, condamné à recommencer la même chose chaque jour que Zeus fait.
Comme l’expliquait mi-décembre Ashoka Mody, ancien responsable des programmes de renflouement interne du FMI pour l’Europe, le problème ne peut de toute façon pas être résolu pas la BCE qui ne peut donc faire que dans le palliatif :
« Au mieux, il y aura des reports et des demi-mesures. La vérité est que la BCE ne peut pas mettre en place des politiques monétaires qui conviennent à 19 pays divers et variés. C’est du ‘une taille unique qui ne va à personne’ ».
D’où la question suivante…
La dette souveraine française est-elle « sans risque » ?
Avant d’y répondre, il est important de savoir comment les investisseurs perçoivent la Zone euro dans son ensemble. Natixis s’est penché sur la question début décembre, et l’équipe de recherche de Patrick Artus n’est pas revenue avec des nouvelles très réjouissantes…
La banque indique en effet que depuis le deuxième trimestre 2018, les flux de capitaux, les cours boursiers et les spreads de crédit et le taux de change de l’euro attestent du fait que « la Zone euro devient une région à risque pour les investisseurs. […] Ceci implique aussi qu’il apparaît aujourd’hui une substituabilité entre la Zone euro et les pays émergents, qui sont maintenant deux régions à risque : quand le pessimisme augmente dans la Zone euro et que les capitaux sortent de la Zone euro, ils se dirigent vers les pays émergents et y redressent les taux de change. »
Hum hum, la Zone euro au même niveau de risque que les émergents… Vous avez bien lu.
Bon, et la France, dans tout ça ? Natixis expliquait qu’au 16 novembre, en dépit de toutes ses faiblesses (son « déficit public, sa dette publique élevée, son chômage structurel important, son déficit extérieur croissant, sa désindustrialisation, la dégradation de sa compétitivité »), la France est toujours perçue comme un pays suffisamment sûr pour financer son déficit extérieur et son déficit public à des taux d’intérêt très faibles.
Mais pour ce qui est de demain, le risque est le suivant :
La banque établit le diagnostic suivant : « la correction des handicaps de la France par les réformes est donc cruciale. » Re-hum hum…
Mais peut-être vous dites-vous que la dette de la France reste sûre car les énarques qui nous gouvernent sauront bien trouver un moyen de l’honorer ?
Si c’est le cas, eh bien… j’ai encore une mauvaise nouvelle pour vous.
Fin novembre, Natixis jugeait que le moment était venu de faire un brin de pédagogie sur la notion d’« actif sans risque ».
Je vous la fais courte :
« Pour savoir si la dette publique d’un pays est un actif sans risque, il faut se poser trois questions :
– ce pays peut-il encore accroître sa pression fiscale ?
– ce pays peut-il baisser ses dépenses publiques ?
– ce pays a-t-il une banque centrale nationale qui peut monétiser sa dette ? »
Conclusion de Natixis :
« Cette situation où un défaut sur la dette publique est en théorie possible apparaît peut-être dans certains pays de la Zone euro comme la France et l’Italie. »
Visiblement, nos ministres des Finances prennent l’hypothèse de Natixis au sérieux et s’y préparent.
Retenez le nom et le visage de ce monsieur : vous pourriez un de ces jours être à nouveau amené à entendre parler de lui.
[NDLR : Une restructuration des dettes souveraines anéantirait une partie de votre épargne. Découvrez ici comment vous protéger.]