Ou l’art de détourner l’attention, en se prenant une volée de bois vert.
Notre président a « appelé à un sursaut » des Européens pour donner les moyens à Kiev de « vaincre la Russie » depuis le sommet franco-tchèque de Prague.
Il a remis sur la table l’option de l’engagement de troupes de l’OTAN en Ukraine, prenant le contrepied de ses propres déclarations la veille, où il démentait envisager d’envoyer des soldats européens affronter la Russie « car il n’est pas question d’alimenter une escalade », après s’être fait sèchement tacler par plusieurs chefs de gouvernement européens suite à ses déclarations du lundi 26 février, au sortir du fiasco du Salon de l’agriculture.
Ce nouveau revirement plonge les membres de l’OTAN dans un abîme de perplexité, et alimente le sentiment que notre chef de l’Etat semble chercher par tous les moyens à exister aux yeux de ses homologues.
Et il se prenait quelques heures plus tard un nouveau tacle de la part de l’administration Biden – par la voix de John Kirby – qui écarte toute intervention de soldats de l’OTAN sur le sol ukrainien (« Kiev n’a jamais rien demandé de tel »)… ce qui constitue le comble de l’hypocrisie, puisque la présence et le soutien de personnels de l’OTAN depuis deux ans (en fait depuis 2014 selon les révélations du New York Times) aux côtés des soldats ukrainiens (formation, gestion des systèmes d’armes) constitue un secret de Polichinelle.
Mais un double-tacle US en moins de 10 jours ne fait qu’accentuer le sentiment d’un discrédit des prises de positions françaises à l’international, à moins qu’il ne s’agisse d’un « jeu de rôles » où notre président se serait vu attribuer le rôle de « bad cop », tandis que les USA se réserveraient celui du « good cop » qui apaise les tensions et s’impose comme le décideur final.
Mais dans ce cas, l’allusion à la « lâcheté » de ceux qui refusent de se dresser face à Poutine (c’est-à-dire presque tout le monde, sauf LUI) est au mieux superflue, au pire insultante.
Et la presse allemande qui n’est pas tendre avec Olaf Scholz, confronté au scandale des conversations non protégées de son état-major interceptées par les Russes, se montre encore plus impitoyable avec l’attitude « arrogante et belliqueuse » de notre président, imposée de façon « unilatérale et irréfléchie » à ses alliés, dont l’Allemagne.
En réalité, depuis dix jours, Emmanuel Macron semble tester sa ligne politique pour les élections européennes et sa stigmatisation des « lâches » s’adresse peut-être davantage à ceux qui contestent – en interne – l’option d’une possible guerre totale avec la Russie, en jouant sur l’analogie avec la « capitulation diplomatique » des européens face à Hitler lors du sommet de fin septembre 1938 à Munich, lesquels lui avaient justement sacrifié… la Tchécoslovaquie, en espérant que cela sauverait la paix et étancherait la soif de conquêtes territoriales germanique.
Mais il faudrait, pour que l’analogie fonctionne, démontrer que Poutine a bien l’ambition de reconstituer l’URSS (thèse soutenue par BHL et Raphaël Glucksmann), alors qu’à part l’Ukraine – justement – tous les autres pays à reconquérir font partie de l’OTAN, et que toute agression initiée par Poutine déclencherait une riposte nucléaire et un anéantissement de la Russie.
Et en imaginant une improbable refonte à 180° de la doctrine de l’OTAN, qui exclurait une riposte nucléaire (on ne va pas s’atomiser pour si peu) au profit d’un endiguement conventionnel des « chars russes » (toujours ce même épouvantail datant de la guerre froide des années 70, justifiée à l’époque par la répression du printemps de Prague), il faudrait nous convaincre que l’armée russe, bloquée depuis deux ans à l’est du Dniepr, malgré l’engagement de moyens impressionnants, serait en revanche capable de parcourir triomphalement 2 000 km vers l’Ouest pour reprendre Prague, Budapest et Berlin.
Et Moscou échapperait par miracle à toutes menaces sur ses milliers de kilomètres de frontières par ses anciens pays satellites – les pays avec le suffixe « stan » – qui sont le plus souvent des dictatures plutôt favorables aux Occidentaux, animées d’un esprit de revanche sur l’ère soviétique.
Captiver les médias français et internationaux avec des gesticulations diplomatiques n’est-il pas le meilleur moyen de faire oublier une impopularité d’un niveau jamais observé depuis le début de la Ve République ? Et surtout, détourner l’attention du vote par le Sénat d’une disposition permettant d’affecter une partie de l’épargne stockée dans les Livrets A au soutien de nos entreprises de défense ?
Ou détourner l’attention des dernières déclarations de Bruno Le Maire, concernant un déficit budgétaire qui se situera hélas bien au-delà de 4,9% en 2024, la faute à des recettes fiscales inférieures aux prévisions (basées sur une hypothèse de croissance erronée – tout le monde le savait – de +1,4% cette année), ce qui obligera la France à trouver 20 Mds€ d’économies (comprenez plutôt 40 Mds€ : il faut toujours diviser par deux les prévisions de croissance, et multiplier par deux les déficits, c’est la norme avec Bercy) pour tenir les objectifs de 2025.
Oui, les européennes constituent un cache-misère bien commode, avec une propagande politique de type guerre d’Irak : vous êtes contre Saddam/Poutine, ou vous êtes contre nous (les champions du Camp du Bien), c’est-à-dire des complices d’infâmes dictateurs, des défaitistes, des vichystes, des traîtres et des lâches.
Dans le même esprit, ce serait le moment idéal de faire l’inventaire des pays démocratiques – qui n’agressent et ne bombardent jamais leur voisin, ne soutiennent aucun mouvement terroriste ou n’oppressent aucune minorité ethnico-religieuse en interne – et de cesser séance tenante tout commerce avec ces représentants du « Camp du mal » qui nous fournissent du gaz, du pétrole, du lithium, du titane ou du cobalt, etc.