La Chronique Agora

Le tournant de la dette

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Comment l’inflation déchire le tissu social et écrase la classe moyenne américaine.

« Aux Etats-Unis, toute la retenue, l’inhibition et la modestie de l’ancienne république ont été balayées par les vents dominants du nouvel empire. Elle a été remplacée un système vaniteux de tromperie, d’endettement et d’illusion. »
~ L’Empire de la dette, Bill Bonner et Addison Wiggin

Nous sommes clairement arrivés à un tournant. Le problème, c’est que les autorités risquent de ne pas faire demi-tour. Elles doivent renoncer à la planche à billets, aux déficits et aux ingérences coûteuses à l’étranger. En général, la classe dirigeante en est incapable. Tout cela augmente leur richesse et leur pouvoir ; ils ne veulent pas y renoncer. Au lieu de cela, ils utilisent des astuces, des farces et la force brute pour maintenir le racket… jusqu’à ce que la fin désastreuse se produise.

Cette fois-ci sera-t-elle différente ? Nous verrons bien…

Le tissu est déchiré

Au cours de la période de prospérité 2009-2022, tout semblait possible. L’argent poussait sur les arbres. Et tous ces arbres profitaient de la poudre miraculeuse de la Fed. Cet argent pouvait être utilisé pour financer des guerres inutiles, des « investissements » non rentables, des déficits, des zombies et bien d’autres choses encore.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’inflation change tout. Elle fait monter les prix. Et des prix plus élevés font que les consommateurs sont mécontents… et les électeurs agités. Le « tissu social » se froisse… puis se déchire.

Voici les dernières nouvelles de Bloomberg :

« Davantage de jeunes adultes vivent au jour le jour aux Etats-Unis.

Selon un rapport, la proportion de jeunes qui ont du mal à payer leurs factures quotidiennes a augmenté par rapport à l’année dernière, tandis que celle des personnes âgées vivant d’un salaire à l’autre s’est stabilisée.

Près des deux tiers des adultes de la génération Z – les personnes âgées de 26 ans et moins – vivaient au jour le jour en mars, soit une augmentation de 8 points de pourcentage par rapport à l’année précédente. »

Nous avons déjà vu comment l’inflation nuit à la classe moyenne. Les pauvres bénéficient d’aides ajustées à l’inflation. Les riches voient leurs actifs financiers dopés par l’inflation. La classe moyenne n’a ni l’un ni l’autre. Tout ce qu’elle possède, c’est du temps, et elle le vend à l’heure.

L’inflation déprécie la valeur du temps. Les investissements à long terme ne sont pas fructueux. Les obligations à long terme sont dépréciées. Et les salaires réels par heure baissent, comme cela a été le cas au cours des deux dernières années.

Les dépenses des autres

Pendant ce temps, l’inflation fait monter les prix des logements. Mais un logement n’est pas un actif financier. Les familles ne peuvent pas « l’encaisser » ; elles doivent vivre quelque part. Tout ce qu’elles peuvent faire, c’est emprunter sur leurs « fonds propres », utiliser le logement comme collatéral. Elles sont alors prises au piège : elles auront besoin de taux d’intérêt bas pour se refinancer – ou elles perdront leur logement.

Dans les pays où l’inflation est forte, la classe moyenne est tellement comprimée qu’elle disparaît au fur et à mesure. Venezuela… Argentine… Zimbabwe – à mesure que les taux d’inflation augmentent, la classe moyenne sombre dans la pauvreté. C’est pourquoi la démocratie est incompatible avec l’inflation. Les pauvres, qui sont nombreux, dépendent de l’aide du gouvernement ; ils sont facilement trompés et soudoyés. Et l’élite est douée pour cela. Elle devient « extractive », c’est-à-dire qu’elle utilise ses compétences et son pouvoir pour s’enrichir aux dépens des autres.

Une démocratie honnête a besoin d’une classe moyenne libre et informée. Elle a besoin d’une classe d’hommes – des gens qui possèdent leur propre ferme et leur propre maison… qui paient les impôts… qui sont prêts à protéger la patrie… et qui votent de manière indépendante.

Alors, voyons ce qui se passe. Statistica rapporte :

« La classe moyenne américaine se rétrécit. »

Si les Américains de la classe moyenne restent le groupe le plus important en termes de revenus, on ne peut pas en dire autant du revenu global qu’ils empochent à la fin du mois. Entre 1970 et 2021, la part du revenu global des Etats-Unis gagnée par la classe moyenne s’est considérablement réduite, passant de 62% à 42%. Au cours de la même période, les revenus globaux des Américains à hauts revenus sont passés de 29 % à 50%…

La disparition de la classe moyenne correspond à une chose que nous ne pouvons plus nous permettre : l’existence d’un empire. Nous avons écrit un livre à ce sujet il y a près de vingt ans. Nous l’avions intitulé L’Empire de la dette.

Ce livre, écrit avec Addison Wiggin, a été un best-seller. Nous avions raison sur un certain nombre de points. L’éditeur, John Wiley & Sons, nous a donc demandé de faire une mise à jour de l’ouvrage.

Notre livre a été écrit en 2005. À l’époque, la dette américaine s’élevait à 13 000 Mds$, soit 60 % du PIB. Aujourd’hui, elle s’élève à 32 000 Mds$, soit 120% du PIB.

Le piétinement et l’écrasement

L’une des caractéristiques de l’Empire romain est qu’il a détruit la classe moyenne, c’est-à-dire les personnes dont le sang, la sueur et les impôts avaient permis de construire cet empire. Ce sont ces gens qui ont ramassé les épées de leurs pères et défendu Rome lorsqu’elle semblait prête à tomber aux mains d’Hannibal, par exemple. Ce sont eux qui ont rempli les rangs après la désastreuse bataille de Cannes, en 216 avant J.-C., au cours de laquelle Rome a perdu entre 50 000 et 70 000 soldats… et encore après le massacre de trois légions entières dans la forêt de Teutobourg, en l’an 9 de notre ère.

Et comment l’empire les a-t-il récompensés ? Il a fait venir des milliers, puis millions, d’esclaves. Bientôt, les petits propriétaires ne purent plus rivaliser avec les immenses latifundia cultivés par les esclaves. Puis le gouvernement a gonflé sa richesse et augmenté les impôts. Les citoyens ont vendu leurs filles pour tenir le coup. Puis, ils se sont vendus eux-mêmes comme esclaves.

Mais, au moins, l’empire était rentable !

L’idée essentielle de notre livre est que, bien que les Etats-Unis soient engagés dans un racket depuis plus d’un siècle, ils n’ont jamais réussi à s’en sortir. Ils étendent leur pouvoir… ils offrent leur protection aux nations qui leur obéissent, la guerre et les sanctions à celles qui ne le font pas. Le problème, c’est qu’elle perd les guerres… et qu’elle perd de l’argent dans toute cette entreprise.

Un empire est sensé conquérir, voler et exiger un tribut. Il doit être au moins autofinancé… et généralement rentable. Mais les Etats-Unis trébuchent encore et encore. Ils doivent payer les frais de leurs conquêtes… puis les frais du gouvernement… et le coût supplémentaire de la « construction d’une démocratie ». Mais où sont les bénéfices ? Où sont les esclaves ? Le butin ? Le tribut ?

Que se passe-t-il ? Et qu’est-ce que cela signifie pour la classe moyenne américaine ?

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