Les erreurs et les excès du capitalisme, ce sont les salariés qui les paient – et la politique monétaire des banques centrales ne fait qu’aggraver la situation.
Le capitalisme est désormais faussé, dévoyé, menteur et voleur, comme nous l’avons vu hier. A présent, faute de se régénérer, de se couper les membres pourris et inefficaces, le capital fait payer son inefficacité ou le progrès technique aux salariés.
Faute d’accepter les destructions régénératrices, la sélection des plus forts et la disparition des plus faibles, le capital surexploite les salariés. Il reporte sur eux les conséquences de sa suraccumulation – et de sa pourriture sur le facteur travail.
Le capital augmente sa part du gâteau au-dessus des normes historiques, qui sont de l’ordre de 6% aux USA et nettement moins en France… mais en faisant cela, il baisse la part des salariés, il réduit la part du facteur travail, il surexploite.
C’est la tâche que le capital a assigné à Emmanuel Macron : faire monter le taux de profit du capital français au niveau des taux de profit mondiaux. C’est ce qu’il fait depuis trois ans.
Cela va mal se passer
Que nous dit Warren Buffett, dans la déclaration rapportée hier (et reprise ci-dessous) ?
Il nous dit cela va mal se passer. Il va y avoir des problèmes politiques, des problèmes de politique publique :
« Vous devez être extrêmement optimiste pour croire que les bénéfices des entreprises en pourcentage du PIB peuvent, pendant une période prolongée, se maintenir bien au-dessus de 6%.
Ce qui maintiendra le pourcentage bas sera la compétition, qui est bien vivante.
De plus, il y a un point de politique publique dont il faut tenir compte : si les détenteurs du capital des entreprises dans leur ensemble s’octroient une part toujours croissante du gâteau économique américain, cela signifie qu’un autre groupe devra se contenter d’une portion plus petite.
Cela soulèverait à juste titre des problèmes politiques – et, à mon avis, un redécoupage majeur du gâteau ne se produira pas. »
Vingt ans ont passé depuis que cela a été écrit. Warren Buffett s’est trompé : sa foi dans le retour à la moyenne s’est révélée fausse. Les bénéfices des entreprises en pourcentage du PIB ont grimpé nettement au-dessus de 6% et sont restés au-dessus de cette barre élevée depuis près de deux décennies maintenant.
Capitalisme de copinage
La part du capital dans le PIB, dans les valeurs ajoutées, est restée très au-dessus des normes. Pas étonnant que les Bourses aient flambé et que les inégalités se soient scandaleusement creusées.
Pourquoi n’y a-t-il pas eu retour aux normes historiques du partage entre capital et travail ? Parce que la capture des gouvernements et des politiciens a produit un nouveau système de capitalisme de copinage. Un système biaisé, favorables aux riches et surtout aux ultra-riches, s’est imposé.
La concurrence s’est réduite, les monopoles et oligopoles se sont développés, les politiques anti-sociales se sont généralisées. Les firmes ont racheté leurs concurrents, la globalisation et la délocalisation ont joué en leur faveur.
Les banques centrales soutiennent le capital
Ce n’est que la moitié des explications, cependant – la moitié visible : l’essentiel de l’action en faveur du capital a été mené par les banques centrales.
Au cours des deux dernières décennies, la politique monétaire s’est également orientée vers le soutien agressif, direct, cynique du capital.
Pour compenser les salaires insuffisants et permettre aux sociétés de vendre leurs produits malgré des pouvoirs d’achat insuffisants chez les consommateurs, les banques centrales ont distribué du crédit aux salariés, elles ont baissé le coût du crédit et dégradé les critères d’attribution.
Elles ont fait chuter le coût de l’endettement pour les entreprises et ainsi permis la montée considérable du levier qui bonifie les profits du capital.
Elles ont prêté aux gouvernements afin qu’ils ne prélèvent pas les impôts qu’ils auraient dû prélever, bonifiant ainsi les cash-flows des entreprises exonérées.
Elles ont produit un crédit considérable qui s’est dirigé vers les marchés financiers, vers les Bourses, ce qui les a fait monter, enfler, « buller »… et a créé un effet de richesse qui a compensé l’insuffisance des revenus gagnés et des cash-flows.
Un système qui se bloque de toutes parts
Pendant ce temps, la part du travail dans les revenus et les patrimoines est tombée à son plus bas niveau de l’Histoire. Les inégalités de richesse sont très probablement encore plus importantes qu’elles ne l’étaient il y a un siècle.
Le système se bloque de toutes parts : il croule sous les dettes, il s‘asphyxie sous l’excès de capital qui réclame son profit, il réclame en continu des béquilles pour tenir.
Les banques centrales n’ont pas vraiment les outils pour soutenir directement la main-d’œuvre et les salariés. Par conséquent, en ce moment, en pleine crise, elles soutiennent encore délibérément et exagérément le capital… ce qui ne peut qu’augmenter les problèmes.
Elles le font par le biais des marchés financiers, en abaissant les taux d’intérêt et en achetant des titres. Elles le font en gavant le capital de crédit gratuit et d’assurances… en espérant peut-être, pour la énième fois, le fameux ruissellement – lequel était, est et sera toujours un mythe.
Les ultra-riches ont bénéficié de manière démesurée des politiques du passé. C’est au point que, les inégalités étant devenues criantes, nos sociétés sont disloquées, éclatées, fracassées ; les bases mêmes, les soutiens du capitalisme, sont en train de s’effondrer.
Et en ce moment on fait encore beaucoup plus, et pire.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]