Un bouleversement peut en cacher deux autres (et bientôt plus encore ?).
Ce fut la campagne présidentielle de tous les superlatifs, avec un total de 16 Mds$ dépensés par les deux candidats, mais également la plus déséquilibrée, avec 7 Mds$ de budget pour les républicains et un total jamais égalé de 9 Mds$ pour les démocrates. Le déséquilibre le plus spectaculaire se situe au niveau des dons des entreprises du S&P 500, avec un écart de 1 à 3 en faveur de Kamala Harris.
La candidate démocrate a également battu tous les records d’invitations par des « networks » pro-démocrates – en mode « tapis rouge », avec questions préparées à l’avance – et de présence à l’écran via les reportages sur ses meetings.
Mais paradoxalement, elle a passé le moins de temps sur scène devant ses supporters : souvent pas plus de 15 minutes de discours et un maximum de temps de parole accordé à ses supporters (le plus souvent issus du « tout Hollywood »), tandis que Donald Trump a tenu le micro parfois plus de 2 heures… mais ses prises de paroles ont été très peu relayées par des médias à 80% pro-démocrates.
Donald Trump a également battu – à son corps défendant – le record de reportages et de commentaires les plus négatifs de la part des médias de l’histoire des campagnes électorales, tous bords politiques confondus.
Cela n’a pas atteint le niveau de « propagande noire » qui lui a été infligée en Europe (pas de règle en matière de déontologie, d’équité ni de temps parole accordé aux deux candidats), mais les électeurs américains ont tout de même assisté au duel des arguments les plus outranciers jamais propagés par des médias s’assumant comme soutiens de l’un ou l’autre candidat… avec au bout du compte 80% de contenus favorables à Kamala et ce même quota de contenus négatifs infligés à Trump.
Au cours des 15 derniers jours de campagne, ce dernier a été comparé jusqu’à l’obsession à Hitler, à Staline, à Goebbels (pour les « fake news »), tandis que Kamala Harris était qualifiée d’incapable, de « foldingue », de coupable d’appels aux meurtre (qui ont été entendus, avec deux attentats à l’arme à feu, dont l’un déjoué à Mar-a-Lago).
Mais un peu à l’image de ce qui se produit avec le référendum pour ou contre la Constitution européenne, avec des médias unanimement favorables à un seul camp, cela s’est avéré contre-productif.
D’autant que les adversaires (et je m’en souviens très bien) furent qualifiés « d’arriérés », de « nostalgiques de l’époque où les pays se faisaient la guerre », d’incapables de comprendre les formidables avantages de ce qui était proposé :
- l’élargissement aux ex-républiques soviétiques ;
- la délégation de souveraineté aux instances bruxelloises dans plusieurs domaines, notamment les accords de libre-échange ;
- le rôle moteur qu’une BCE aux pouvoirs étendus jouerait pour la croissance et l’enrichissement de chaque membre de l’UE (il s’agissait surtout de renforcer ses capacités de contrôle de la gestion de la dette par les banques centrales nationales).
En d’autres termes, caricaturer jusqu’à un certain point, ça passe (c’est la règle du jeu que tout le monde accepte), calomnier en meute et de façon systématique pour « faire peur »… à un moment, cela finit par paraître suspect.
Et cela produit l’effet inverse de celui recherché : l’opinion finit par prendre fait et cause pour le « seul contre tous », surtout quand le favori des médias ne propose pas de programme qui améliore le quotidien des électeurs, au-delà de les conforter dans la conviction d’appartenir au « camp du Bien ».
La personnalité des principaux soutiens de Trump, Elon Musk (Twitter et Starship) et Robert Kennedy Junior (qui pourfend Anthony Fauci et la Big Pharma pour corruption) a probablement été sous-estimée, tandis que celle des stars d’Hollywood a été surcotée.
Et cette élection fut celle qui a le plus cruellement démenti le concept que la favorite des médias « ne pouvait pas perdre ».
Mais n’oublions pas que Wall Street avançait un argument imparable : depuis 1984, quand Wall Street était en hausse dans les trois mois précédant les élections (et cette fois, c’était du +15%), le parti au pouvoir n’a jamais perdu les élections. Démonstration avec McCain en 2008, qui fut défait face à Obama alors que Wall Street venait de perdre -20%.
Donc, effet de surprise maximum cette fois-ci… Et même double effet de surprise, puisque le camp démocrate n’est pas défait d’une courte tête en conservant l’une des deux « chambres » du Congrès : le triomphe des républicains est total, avec la prise de contrôle des deux chambres du Congrès pour au moins deux ans, jusqu’aux midterms.
Donald Trump semble donc avoir carte blanche et Kamala Harris concède sa défaite… mais l’une de ses homologues (avant qu’elle devienne vice-présidente), la procureure générale de New York, Letitia James, promet de poursuivre en justice le président Trump pendant encore 4 ans… sauf que pour les faits déjà connus, il bénéficiera d’une immunité.
En ce qui concerne le vote populaire, il ressemble à un raz de marée, avec 6 millions de suffrages d’avance en faveur du parti républicain (certains sénateurs républicains ont même été élus dans des Etats gagnés par les démocrates).
Donald Trump pourra donc dérouler ses mesures fiscales d’allégements d’impôts et de mesures de relance, sous protection de droits de douane accrus à l’encontre de la Chine, voire de l’Europe… sans oublier le Mexique et même le Canada.
Sur le front géopolitique, Donald Trump n’était pas encore élu que les choses ont commencé à bouger en Israël. Benyamin Netanyahou a limogé, mardi 5 novembre au soir, son ministre de la défense Yoav Gallant et le remplace par l’actuel chef de la diplomatie, Israël Katz. Quelles dissensions ont donc bien pu opposer Netanyahu et Yoav Gallant, à un moment crucial de l’intervention militaire au Liban ? Est-ce que le différend porte sur l’Iran ? Ou sur la fin des opérations à Gaza (zone détruite à plus 80%, avec 2 millions de réfugiés qui n’ont plus de toit, ni d’hôpitaux et nulle part où aller) et la question de la libération des otages (Donald Trump a exigé que le Hamas relâche tout le monde avant sa prise de fonction, sinon les conséquences seront terribles) ?
Quelques heures plus tard, on découvre que la coalition d’Olaf Scholz est sur le point d’exploser sur la question du budget : ça passe ou ça casse – et si ça casse, l’Allemagne est partie pour des élections anticipées, avec un chancelier au comble de son impopularité, à la tête d’un pays en récession et dans lequel le secteur automobile s’enfonce dans une crise sans précédent.
Il s’agit peut-être de deux coïncidences… mais on ne pourra pas dire que les 5 et 6 novembre n’ont pas constitué un tournant, que l’élection de Trump y soit ou non pour quelque chose.