Il est inutile de lutter contre la marée, la nature… et les marchés. Quand la Fed apprendra-t-elle sa leçon ?
« On ne lutte pas contre la Fed » : l’un des dictons les plus sacrés de l’industrie financière – et généralement l’un des plus profitables. Si la Fed fait grimper les actions, comment un investisseur boursier pourrait-il perdre ?
Nous nous demandons aujourd’hui en quoi la politique de la Fed est liée au monde du temps, de l’argent, du travail, des profits, de l’innovation, de la persévérance et de toutes les autres choses qui produisent de la richesse réelle.
Il y a quelques jours, nous avons souligné l’exemple du roi Knut. Le souverain médiéval était entré dans la mer du Nord et avait ordonné à la marée de baisser ; cette dernière l’avait (royalement) ignoré. « Vous voyez », avait-il dit en substance à ses chevaliers, « même le plus puissant des hommes ne peut enrayer les cycles du monde naturel ».
Les gouvernements peuvent décréter des lois. Ils peuvent forcer leurs citoyens à payer des impôts. Ils peuvent même dire au soleil de se lever le matin – mais pas le soir.
Cependant, si les autorités ordonnaient soudain l’obligation pour tout le monde de vaquer à ses occupations avec une citrouille sur la tête, il serait sans doute difficile de s’y conformer.
De la même manière, la Fed peut influencer les prix et altérer le rythme naturel du marché, mais pas entièrement. Si elle avait le plein contrôle en permanence, nous n’aurions pas de récessions, de marchés baissiers, de krachs, d’hyperinflation ou toute autre chose dont nous ne voulons pas.
Si les autorités pouvaient vraiment commander à l’économie, les habitants du Venezuela ne mourraient pas de faim. L’Argentine n’aurait pas 40% (ou 100%, si l’on en croit certaines sources) d’inflation. Et le malheureux travailleur américain aurait quant à lui obtenu une augmentation substantielle à un moment ou à un autre de ces 45 dernières années.
« Dépendance aux données »… ben voyons !
Cette histoire de « dépendance aux données » n’est qu’un exemple supplémentaires d’idiotie. On peut utiliser les données qui arrivent (la lumière) pour déterminer à quel moment le soleil se lève ; cela ne signifie pas pour autant qu’on peut lui ordonner de se coucher avant qu’il soit prêt à le faire. La nature n’aime pas qu’on lui manque de respect.
Manquer de respect à M. le Marché n’est pas une bonne idée non plus. Il en supporte beaucoup… mais jusqu’à un certain point seulement. La vraie question est de savoir jusqu’où les autorités pourront aller avant que M. le Marché en ait ras-le-bol.
M. Powell affirme qu’il « soutiendra l’expansion ». « Ah ouais ? », dit M. le Marché.
Durant le retournement de l’an 2000, la Fed de Greenspan a réduit les taux directeurs de 500 points de base. Malgré cela, en termes d’or, le Dow a chuté de 82%. En 2008/2009, la Fed de Bernanke a à nouveau réduit les taux de 500 points de base. Là encore, les actions ont malgré tout perdu 68%.
A présent, l’expansion semble toucher à sa fin (car il faut bien qu’elle se termine !)… et la Fed n’a plus que 240 points de base comme marge de manoeuvre.
Par ailleurs, une banque centrale ne peut pas vraiment accroître la valeur des entreprises. Elle ne peut pas augmenter leurs ventes, et elle ne peut pas réellement augmenter leurs profits. Elle ne peut pas améliorer leurs produits ou renforcer leur marketing. Elle ne peut pas créer plus de temps. Ou plus d’argent réel. Elle ne peut pas non plus rendre les gens plus intelligents ou plus inventifs.
Tout ce qu’elle peut faire, c’est vous induire en erreur et faire en sorte que les ressources soient mal allouées grâce à de la fausse monnaie et des signaux de prix factices.
Des profits en chocolat
Nous avons observé une entreprise récemment pour voir comment cela fonctionne. Un ami s’est moqué de notre stratégie d’allocation Dow/or, qui nous tient à l’écart des actions pendant de longues périodes insoutenables.
« Tu assistes à une orgie depuis 10 ans et tu restes là les bras croisés. On n’obtient guère de satisfaction de la sorte », semblait-il dire.
Il a continué en expliquant qu’il avait fait de jolis profits en investissant dans l’une des entreprises les plus anciennes et les plus fiables des Etats-Unis – le fabricant de chocolat et confiseries Hershey’s.
L’entreprise fournit des biens et des services réels – et fait des profits, a-t-il signalé. Avec une marge de 15% environ, Hershey’s est une bonne société, avec un flux de revenus fiable.
Ces gains ne proviennent pas de la vente de douceurs, cependant. En 2010, l’entreprise a vendu pour 5,6 Mds$ de chocolat. En 2018, ce chiffre était passé à 7,8 Mds$. Une coquette augmentation de 40%.
L’action, de son côté, est passée de 27 $ à 133 $. Une augmentation de 390%… soit près de dix fois supérieure. A quoi est-ce dû ?
Généralement, posséder une entreprise générant des profits est le meilleur moyen de gagner de l’argent. Parce que cela fait partie du monde gagnant-gagnant – un investisseur mérite d’être rémunéré pour avoir augmenté le bonheur et la satisfaction (et probablement aussi le tour de taille et les caries !) des autres. Il mérite une part des revenus.
C’est ce qu’ont fait les investisseurs de Hershey’s. L’entreprise a versé un dividende annuel d’environ 2,2% ces 10 dernières années – quasiment la même chose qu’un bon du Trésor à 10 ans.
Alors d’où provenait le reste des gains ? Selon la théorie classique, un investisseur mérite le taux des T-Bonds… plus un petit quelque chose pour compenser le risque supplémentaire. 350% de plus, en revanche… comment est-ce possible ?
Arnaque et capitaux mythiques
La réponse, bien entendu, est que cela n’a rien à voir avec le chocolat ou la satisfaction client. Les investisseurs ont plutôt été les complices involontaires d’une fraude sophistiquée… d’une escroquerie majeure… et d’une arnaque en pyramide.
Telle est la tendance à la « financiarisation » dont nous parlons dans ces colonnes. Le monde gagnant-gagnant consistant à produire des biens pour les consommateurs a cédé le pas au monde gagnant-perdant de la prestidigitation financière et des taux d’intérêts réels négatifs.
Selon nos calculs sommaires, les Etats-Unis possèdent désormais quelque 50 000 Mds$ de cette richesse « Ponzi » vide de toute substance – en actions, obligations et propriétés immobilières dont les valorisations ont toutes été gonflées. Des capitaux mythiques.
Une arnaque en pyramide, ou arnaque de Ponzi, consiste à prendre des capitaux frais en prétendant qu’il s’agit de revenus. Le problème, c’est que lorsque l’information se répand, les nouveaux capitaux disparaissent. Idem pour les anciens. Tout l’édifice s’effondre.
De même, entre 2009 et 2019, le marché boursier a absorbé des capitaux factices… et prétendu qu’il s’agissait d’argent réel.
L’industrie financière a trafiqué les « revenus », vanté les résultats « meilleurs que prévus », salué les rachats d’achats, les fusions et les acquisitions, et récompensé des IPO insensées avec des valorisations à plusieurs milliards de dollars.
Dans ce nouveau monde, même les bonnes entreprises avec de vrais profits – comme Hershey’s – ont été soulevées par la marée d’argent facile.
Dans ce nouvel âge de taux ultra-bas, ont expliqué les experts, un rendement à 2% n’était plutôt pas mal. Surtout lorsqu’on engrange aussi une plus-value de 390%.
Mais comme dans toute arnaque en pyramide, les « profits » peuvent repartir aussi facilement qu’ils sont venus. La marée finit par se retirer. Et ni le roi Knut ni le président Powell ne peuvent l’empêcher.