La Chine et l’Occident défendent des mondes où les interactions entre pays ne portent pas les mêmes fruits.
La question centrale au sujet des rapports entre la Chine et les Etats-Unis est celle de l’ordre mondial futur.
Sur la question de l’ordre du monde dans le futur, il y a une divergence radicale entre les conceptions américaines (ou, plus largement, occidentales) et les conceptions chinoises (ou des BRICS).
Qui gagne, qui perd ?
Les Chinois défendent l’idée d’un ordre du monde où l’interaction des participants produit un jeu gagnant-gagnant, et le bloc occidental défend implicitement l’idée d’un monde où les interactions produisent un jeu à somme nulle.
D’un côté, un ordre du monde pacifique, tolérant, fondé sur la coopération, et sans ingérence interne produit un résultat positif pour tous, disent les Chinois.
De l’autre côté, les Occidentaux ne s’expriment pas clairement, mais ils mettent en pratique une philosophie radicalement opposée, qui implique qu’ils ne croient pas à la possibilité de la cohabitation, de la coopération, du co-développement et de la coexistence pacifique.
Ils sont persuadés que le jeu est à somme nulle. Ils sont persuadés que ce que les uns gagnent, les autres le perdent. Ils croient qu’il ne peut y avoir qu’un seul alligator dans le même marigot. Il n’y a pas de la place pour deux !
Les Occidentaux ont été échaudés par leur erreur de la phase de coopération avec la Chine ; ils se sont aperçus que les Chinois en profitaient pour progresser, investir, s’éduquer, monter dans la valeur ajoutée, s’armer. Ils ont donc considéré que le jeu du co-développement leur était défavorable et, à partir de là, ils ont basculé vers la conception du jeu à somme nulle.
Les Occidentaux ont cru en développant l’échange inégal avec la Chine qu’ils allaient en fait reproduire la situation coloniale à la faveur de cet échange inégal ; le développement et le décollage des colonies avait été paralysé !
Mais la Chine a été plus clairvoyante : elle a contourné la situation coloniale et l’a retournée à son avantage grâce au contrôle des changes, au contrôle des investissements étrangers, et grâce au partage obligatoire des savoir-faire, grâce à la gestion du yuan, grâce au maintien d’un système financier fermé et, bien sûr, grâce à la neutralisation politique de la classe des riches compradores.
Peur de la fin
Beaucoup de choses attestent de la validité de mon analyse.
Si on suit les tribulations occidentales, on y voit se développer le malthusianisme, la peur de l’avenir généralisée, l’angoisse de rareté, la psychose climatique, la volonté de freiner le développement des masses, la marche vers un monde de plus en plus fermé et élitiste, etc.
Ce qui me frappe, c’est que le soi-disant libéralisme que l’Occident prétend défendre s’est inversé ; il s’est inversé en un farouche conservatisme d’accaparement. L’Occident veut que le temps s’arrête, il veut retenir la prospérité qui file entre ses doigts, il refuse la destruction de ce qui est mort, périmé. Cet Occident ne croit plus – comme les vrais libéraux le croient –que la marche en avant produit, à chaque fois qu’une rareté se manifeste, des substitutions.
L’Occident croit à l’épuisement des ressources et donc il est devenu viscéralement malthusien et il est persuadé « qu’il n’y en a plus pour tout le monde ».
Le vrai libéralisme est positif, progressiste, le faux libéralisme des élites actuel est un recroquevillement de vieillard à la Jacques Brel accrochés à leurs fauteuils roulants.
Le capitalisme est un moment de l’histoire, mais ce n’est pas la fin de l’histoire ; il a ses limites et il sera dépassé. Voilà ce que les classes supérieures occidentales refusent de reconnaître. Elles sont obsédées par l’arrêt du temps et elles ont une volonté d’éternité, une volonté d’immuable. C’est le fameux « ô temps suspend ton vol » de la bourgeoisie et des conservateurs acharnés. Ceux-là ont récupéré l’idéologie du progressisme pour l’inverser.
Privilèges modernes
Les modernistes occidentaux sont de très profonds conservateurs, mécanistes, positivistes et incapables de supporter rien que l’évocation d’une pensée dialectique. L’Occident est arc-bouté sur ses privilèges. C’est un comble qui illustre bien sa prise dans le syndrome orwellien : les libéraux sont les nouveaux fascistes, les libéraux sont archi-conservateurs.
En fait, ce n’est pas tout à fait vrai : les libéraux à la sauce financière moderne sont ultra conservateurs ; pour eux, ils veulent que leurs privilèges soient éternels mais ils sont férocement « progressistes » pour vous, pour le peuple, pour les manants, ils veulent que vous acceptiez tout, tous les changements, tous les reculs, toutes les privations, toutes les infamies comme la guerre en Ukraine pour que eux puissent rester en place.
Note importante : je n’aborde pas la question de savoir à ce stade si les Chinois sont honnêtes dans leur proclamation philosophique et dans leur croyance que l’histoire peut produire un ordre gagnant-gagnant.
Une piste : j’ai des doutes ! L’angélisme n’est pas ma tasse de thé.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]