La Fed fait du QE sans le dire – mais cela semble parfaitement contre-intuitif par rapport à la situation actuelle. Pourquoi agir ainsi, alors ?
Nous avons vu hier que le mythe de l’omniscience des banques centrales ne devrait pas tarder à tomber. Aujourd’hui, revenons à la situation actuelle et à ses mystères.
Jerome Powell, président de la Fed, ne veut pas que l’on dise que les achats de titres auxquels il procède sont des assouplissements quantitatifs (ou QE, quantitative easing).
Pourquoi pas…
Ils augmentent la taille du bilan de la Fed, ils font baisser les taux, ils augmentent les réserves des banques, tout comme les QE… mais chut, ce ne sont pas des QE !
Powell ne se rend pas compte qu’il contredit mot pour mot ce que disait l’un de ses prédécesseurs, Ben Bernanke, il y a huit ans ; je n’ai plus la référence exacte, mais j’ai bonne mémoire.
Bernanke disait que du moment que cela augmente les réserves des banques, c’est un QE. Affirmation normale pour quelqu’un qui croit ringardement que les banques prêtent à partir des réserves.
Peu importe la motivation de celui qui décide le non-QE ou le QE. La motivation, c’est dans sa tête, c’est son problème. Le résultat, lui, ne change pas : cela augmente les liquidités qui ne rapportent rien… cela fait baisser les taux par l’effet de portefeuille… cela réduit les primes de risque par biais de la quête de rendement… c’est donc comme un QE !
Bienvenue au non-QE !
Pour faire plaisir à Powell, appelons cela comme le font les humoristes : un non-QE.
Le QE est un plan d’achat d’actifs à grande échelle destiné à stimuler le système financier et donc l’économie.
Le non-QE, de son côté, est un plan d’achat d’actifs à petite échelle dont le but est uniquement d’augmenter le niveau des réserves bancaires.
En bref, comme le dit le gestionnaire de fonds Jeffrey Snider – l’un des rares à comprendre ce qui se passe –, il s’agit de prendre, de retirer des bons du Trésor du système et de les échanger contre des réserves bancaires.
N’oublions pas que tout cela s’est manifesté en septembre dernier, sur le marché du refinancement de court terme, celui qui finance et refinance le levier (leverage) du long avec le court – n’oublions pas qu’il s’agit d’améliorer la liquidité.
Eh bien, il est apparu – le choc de septembre, la révélation – que sur ce marché, malgré 1 700 Mds$ de réserves oisives… on manquait de liquidités !
Les événements crient, hurlent une chose : les réserves ne sont pas les liquidités que l’on croit ou les liquidités que l’on espère.
Et que font nos zozos professionnels ?… Ils augmentent les réserves !
Ah, les braves gens.
De deux choses l’une : ou ils nous prennent pour des buses ou bien ce sont des buses.
Pénurie de collatéraux
Ces gens ignorent ce dont ils parlent ; derrière les mots, les équations, les régressions, il n’y a rien que la profondeur du vide.
Ils ne comprennent pas que ce dont les gens, les organisations too big to fail, ne veulent pas, c’est lâcher, se défaire de leurs collatéraux, de leurs précieux collatéraux. Les banques trop grosses pour faire faillite savent bien que la liquidité, c’est ce contre quoi on les échange ; c’est ce que l’on donne pour les mettre en pension. La liquidité est le collatéral de premier rang.
Ainsi, si on manque de liquidités, c’est parce qu’il y a une pénurie… de collatéraux.
Etant donné que les bons du Trésor US sont les meilleurs collatéraux, cela signifie donc qu’il y a pénurie de T-Bonds US. Or que font nos Pavlov spécialistes de la mathématico-régression ? Ils retirent du marché, ils rendent plus rare ce dont on manque, ils achètent des bons du Trésor US.
Je ne suis pas seul à penser qu’ils sont tombés sur la tête. Ecoutons Snider :
« L’ensemble du marché pointe une pénurie systémique de sûretés et ces gens-là pensent qu’il faut régler le problème en… retirant les meilleures des garanties de la circulation.
Comment peut-on vraiment être aussi obtus ? Ce doit être fait exprès, non ? »
Pour résoudre un problème de liquidité et de refinancement, on va augmenter les réserves des banques – ce qui ne sert à rien –, et retirer du bassin des collatéraux des bons du Trésor en circulation qui, eux, servent à quelque chose.
Il suffit de regarder le graphique ci-dessous pour constater l’absurdité des actions de la Fed et de Powell. Jusqu’en 2008, il n’y avait pratiquement pas de réserves excédentaires dans le système… et le marché du refinancement court, le marché des repos-prises en pension, fonctionnait ! Donc le problème, ce ne sont pas les réserves.
Le problème c’est 1) la politique de la Fed 2) le manque de confiance 3) la masse énorme de spéculation en levier qu’il faut refinancer alors que la volatilité augmente.