Qu’elle soit prévisible n’aide pas par contre à déterminer quand elle surviendra… Et même si des experts occidentaux s’accordent sur ce point, cela ne veut pas dire que les Etats-Unis feront le moindre pas pour sauver leur monnaie.
L’invasion russe de l’Ukraine et les sanctions occidentales remettent la discussion au sujet de la domination du dollar sur le devant de la scène.
L’été dernier, lorsque les Etats-Unis ont fui l’Afghanistan, la question avait été une nouvelle fois abordée. Et c’est normal, puisque l’impérialisme américain s’est donné en spectacle : en débandade, illustrant son déclin relatif.
Un excès de pouvoir
L’invasion russe de l’Ukraine a remis cette discussion sur le devant de la scène parmi les économistes traditionnels et les stratèges du capital mondial. Cette fois c’est l’excès de pouvoir du dollar qui est critiquée et non pas le déclin de son impérialisme.
La militarisation du dollar est fondamentalement destructrice puisqu’elle sape ce sur quoi in fine toute monnaie repose : la confiance.
Mais l’analyse des élites américaines est différente. Elles savent que, sur la durée, la domination du dollar ne sera pas éternelle et que, finalement, comme elle ne sera pas éternelle, autant utiliser les avantages qu’elle confère tant qu’il en est encore temps.
Le reste du monde est endetté en dollars, donc vendeur à découvert de dollars, et il en a besoin en continu pour honorer ses dettes. Même les Chinois ont près de 500 milliards de dettes libellées en dollars !
D’autant que, et ceci est à l’échelle de l’Histoire, les structures, les superstructures et les infrastructures sur lesquelles reposent le pouvoir et la force du dollar, sont encore là pour un certain temps. Qu’il s’agisse des banques, des règles juridictionnelles, de la puissance du marché financier, de la capacité du système américain à générer le profit mondial le plus élevé ou encore de la stabilité politique et sociale.
Le dollar repose sur un socle large, sur une base systémique, diversifiée qui va de la capacité du système américain à produire, à menacer, à générer du profit de façon élevé, à surexploiter, à transacter ou à influencer les bourgeoisies/gouvernements compradores du monde entier.
Le dollar, éminent représentant du soft power
Les deux observations évoquées ci-dessus ne sont pas contradictoires, d’ailleurs. En effet, si le dollar commet des excès de pouvoir, c’est parce que les Etats-Unis s’affaiblissent. Ils ne savent plus combattre autrement que de façon « soft » ou vicieuse.
Ils sont obligés d’utiliser des armes de court terme qui, dans le long terme, sont destructrices… pour eux. Les Etats-Unis grillent, en quelques sorte, du stock de munitions. Ils gaspillent du pouvoir accumulé depuis 1945 par le biais de la domination monétaire, brûlent des cartouches qu’ils feraient bien de conserver. Mais ils parent au plus pressé, et mettent en gage des bijoux de famille.
Si vous voulez, considérez-le ainsi : le dollar est un actif, un stock de pouvoir qui a été accumulé et qui produit des rentes en continu, car il augmente le pouvoir de prélèvement des USA sur les richesses mondiales. Mais, en le militarisant, ils réduisent la durée de vie de la rente de seigneuriage.
Le discours dominant et des soi-disant spécialistes est que la domination du dollar américain va s’estomper et que l’économie mondiale est sur le point de se diviser en deux blocs : l’Ouest et l’Est.
L’Ouest étant les États-Unis, l’Europe et le Japon démocratiques ; l’Est étant constitué par les régimes « autocratiques » russe et chinois, ainsi que de l’Inde.
Cette sorte de vision morale, politique, idéologique propagée par les médias ne correspond bien entendu à rien de logique ou de dialectique.
Les régimes pseudo-démocratiques oligarchiques occidentaux détruisent certainement plus fondamentalement et plus rapidement les monnaies – dont le dollar – que ne le font les régimes autocratiques. Ne serait-ce que par l’obligation systémique de compenser la tendance à la baisse de la profitabilité, de produire des montagnes de dettes, d’octroyer des répartitions sociales pour masquer la misère, etc. Mais le dollar a des fondations, il est enraciné.
Le nouvel ordre financier international
Les concurrents internationaux de l’impérialisme américain, tels que la Russie et la Chine, ont régulièrement appelé à un nouvel ordre financier international et ils travaillent patiemment pour déplacer/remplacer le dollar du sommet du régime monétaire mondial actuel qu’il occupe.
L’ajout du renminbi en 2016 au panier de devises qui compose les droits de tirage spéciaux du FMI a représenté une reconnaissance mondiale importante de l’utilisation internationale croissante de la monnaie chinoise.
La fin en cours de la mondialisation, la reconstitution de barrières aux échanges, les relocalisations et les conséquences du conflit en Ukraine accéléreront clairement cette poussée internationale à l’isolement de la Russie et de la Chine, alors qu’elles font face à des sanctions sévères et de longue date sur les marchés commerciaux et monétaires.
Ces blocs ont compris que les USA suivis de leurs partenaires feront tout pour réduire leur accès au dollar et à l’euro. Ils vont donc s’organiser.
En effet, dans leur conception, les occidentaux considèrent que pouvoir accéder au dollar et à l’euro est un avantage ! Ils n’ont pas encore assimilé le fait que, si les systèmes entrent en crise et si les chaos monétaire et financier nous submergent – comme il doivent nécessairement le faire à un moment ou à un autre –, alors ceux qui seront les mieux lotis seront ceux qui sont désintriqués du maillage monétaire « dollar » !
Ceux qui seront plus isolés seront aussi les mieux protégés et moins soumis à contagion. Mais, peu importe, les occidentaux croient qu’accéder à ces monnaies, dollar et euro est un avantage.
Au fond deux conceptions monétaires s’opposent sans que qui que ce soit s’en rende compte.
C’est ce que nous verrons plus en détails lundi.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]