La Chronique Agora

Le Proche-Orient flambe, les marchés jubilent

Airstrike on the city, burning houses

Plus que jamais, les marchés se targuent d’acheter au son du canon.

Wall Street n’a consenti à céder qu’une partie de ses gains hebdomadaires le vendredi 13 juin, et seulement à partir de 20h15, en découvrant les images – diffusées en direct depuis Israël – d’une première salve de missiles de représailles iraniens atteignant Tel-Aviv et sa banlieue, le port de Haïfa, la centrale nucléaire de Dimona, ainsi que plusieurs cibles militaires (notamment des bases aériennes).

Et oui, c’est le concept de « nombreuses cibles stratégiques atteintes et détruites » qui a estomaqué les plus « optimistes », ceux qui jugeaient le « Dôme de Fer » impénétrable à 95 %, voire 99 %, selon la propagande largement relayée dans les médias occidentaux lors des échanges de tirs de drones et de missiles à la mi-avril et au début octobre 2024.

J’avais, à l’époque, émis l’hypothèse que les vagues de projectiles iraniens – majoritairement des drones lents – dont le nombre et l’heure de lancement avaient été communiqués aux Etats-Unis par Téhéran (et donc à son allié de Tel-Aviv), étaient « calibrées » de façon à atteindre la limite de saturation de la défense israélienne – alors soutenue par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Jordanie, etc. – mais sans la dépasser.

Il s’agissait, de la part de Téhéran, d’une riposte symbolique à l’assassinat des dirigeants du Hezbollah au Liban et aux bombardements israéliens sur ses installations militaires. L’attaque n’avait causé que quelques dégâts sur des bases israéliennes, et une seule victime civile, tuée accidentellement par la chute d’un débris de missile, et non par son explosion au sol.

Jusqu’au 13 juin, l’opinion occidentale était persuadée que la supériorité militaire, notamment aérienne, et celle du renseignement israélien, capable de décapiter l’Etat-major iranien et d’éliminer, par des attentats ciblés, la plupart des savants nucléaires en quelques heures, étaient écrasantes. Le ciel, puis le sol israélien, semblaient quasi invulnérables.

Cette illusion s’est brutalement dissipée le 13 juin. La guerre totale – avec ses destructions à grande échelle et ses victimes civiles – est devenue une réalité quotidienne, non plus seulement pour les habitants de Téhéran, mais aussi pour ceux des principales villes israéliennes.

Le tout s’accompagne d’un déferlement de propagande et de vidéos grossièrement trafiquées à l’aide de l’IA, destinées à démontrer que l’adversaire est en déroute et qu’il sera bientôt acculé à la capitulation… Histoire de faire oublier que la guerre continue, et que s’il y a des victimes civiles, c’est – nous dit-on – le prix à payer pour écraser un ennemi présenté comme la pure incarnation du mal.

Mais alors qu’Israël apparaît désormais vulnérable – malgré les fortunes englouties dans le « Dôme de Fer » (il est question de milliards de dollars) – le pays passe à la seconde phase du plan : entraîner les Etats-Unis dans la guerre, en jouant sur l’émotion et sur la diabolisation de l’Iran, accusé d’avoir causé les premières pertes civiles sur le sol hébreu. On occulte au passage que le premier sang versé fut celui des habitants de Téhéran, avec plus de cent morts et trois cents blessés.

C’est là qu’il faut dépasser les jugements de valeur du type : « le régime des mollahs est abject, le monde se porterait mieux sans lui, à commencer par une majorité d’Iraniens » — avis que partagera une écrasante majorité de démocrates et d’humanistes, auxquels nous nous associons.

Car le débat se situe désormais sur le plan du droit international : la situation n’a jamais été aussi délétère depuis la crise des missiles de Cuba en 1962. Le conflit au Proche-Orient peut basculer dans une autre dimension.

De nombreux pays – de « l’axe du mal », naturellement, tels que la Chine, la Russie, le Pakistan, et même la Malaisie ! – ont clairement pris position : ils reconnaissent à l’Iran le droit de se défendre, suite à une attaque non provoquée, en violation de toutes les règles du droit international.

Mais plus que l’hypothèse d’une guerre ouverte, qui couvait depuis des décennies, c’est le timing qui interpelle.

Car l’Iran, quoi qu’en dise la propagande de Tsahal, n’a jamais été aussi peu menaçante pour Israël : le Hezbollah a été neutralisé au Liban depuis neuf mois, puis chassé de Syrie il y a six mois ; le Yémen a perdu l’essentiel de son potentiel offensif en mai… et l’Iran s’apprêtait à négocier, ce week-end, avec les Etats-Unis la prolongation de l’accord sur la non-prolifération des armes nucléaires.

Mais Benjamin Netanyahu a ordonné l’assassinat du chef de la délégation iranienne dès le vendredi, à la veille du sommet de Mascate (au Sultanat d’Oman)… auquel Téhéran a naturellement décidé de ne plus participer.

S’agit-il, là aussi, d’un assassinat « préventif » ?

L’Iran ne possède pas d’armes atomiques opérationnelles, même si elle dispose du savoir-faire théorique depuis au moins quatre décennies (rappelons que la France s’était engagée à aider l’Iran à construire des réacteurs nucléaires civils juste avant la Révolution des mollahs, en 1979).

Et l’assassinat de négociateurs – une première dans l’histoire post-Seconde Guerre mondiale – a choqué la planète entière… sauf les médias européens et américains.

Mais alors quelle menace directe Benjamin Netanyahu prétendait-il ainsi éliminer ? La peur que son allié Trump se fasse rouler dans la farine par les émissaires iraniens ?

Le même Trump qui, en 2018, avait unilatéralement dénoncé l’accord JCPOA signé par Téhéran avec les Etats-Unis et l’Europe, et rétabli les sanctions sous la pression d’Israël ?

Même si les tirs de missiles réciproques ont cessé depuis 24 heures, Benjamin Netanyahu a prévenu que l’opération Rising Lion ne sera terminée qu’une fois tous les objectifs d’Israël atteints : l’anéantissement de l’outil nucléaire iranien et le renversement du régime des mollahs. Les risques d’un embrasement généralisé, si les Etats-Unis se laissent entraîner dans le conflit, n’ont jamais été aussi élevés qu’au moment où j’écris ces lignes.

Les investisseurs, eux, font le pari que le monde a bien conscience d’être au bord de l’abîme… et que « le pire n’arrivera pas ». Mais lorsque deux théocraties dirigées par des hommes fanatisés s’affrontent, qui peut être certain que la raison l’emportera sur la volonté d’accomplir la volonté du divin ?

Le baril de pétrole WTI a retesté la barre des 74 $ (avant de se tasser vers 72,5 $), ce qui risque de raviver les craintes inflationnistes et de plomber la croissance mondiale. Pourtant, les indices boursiers affichent une timide progression ce lundi, après n’avoir reculé que du bout des doigts vendredi.

L’explication de cette résilience ? Un constat simple : tous les conflits au Proche-Orient depuis 35 ans ont été rapidement suivis d’une hausse – parfois spectaculaire – des marchés, une fois passées les « ventes d’incertitude » des investisseurs frileux.

Donc, le mot d’ordre « buy the dips » (achetez les creux) est plus que jamais d’actualité. La guerre fait monter les marchés, inutile donc d’attendre la consolidation : il faut acheter au son du canon – dont acte ce lundi !

Acheter des actions alors qu’elles n’ont jamais été aussi chèrement valorisées, non seulement en valeur absolue, mais aussi dans un contexte de surendettement global… sur lequel pourrait se greffer – et le conditionnel ici est pure politesse – au minimum un passage à vide en termes de croissance (droits de douane américains multipliés par quatre, au minimum), voire une récession si Trump durcit le ton et que la Chine refuse de mettre un genou à terre.

Et tout cela se solde par un risk-on effréné des ménages américains, ceux qui ont encore la capacité d’épargner, sur les actions : leur exposition via les fonds communs de placement, les ETF ou les fonds de pension atteint un niveau record de 53 %.

C’est au-dessus du pic atteint lors de la bulle Internet (51 %), ce qui n’est pas peu dire.

Dans le même temps, l’allocation aux bons du Trésor et aux placements monétaires atteint son plus bas niveau historique : comme si un gigantesque mouvement de vases communicants se poursuivait au détriment des T-Bonds, au profit des « Sept fantastiques » et des leaders de l’IA.

Et comme si les risques de guerre, loin de provoquer un réflexe sécuritaire, incitaient les investisseurs à toujours plus d’audace – au nom de lendemains lucratifs, parce que rimant avec « disruptifs ».

Continuons d’espérer que la disruption n’ira pas trop loin.

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