La Chronique Agora

Un monde ouvert se développe et ralentit à l’unisson

économie mondiale

Après avoir accéléré, l’économie mondiale freine. Les ratios d’endettement ont dépassé le seuil du raisonnable.

En 2017, tous les éminents organismes établissant des prévisions ne parlaient que de « croissance mondiale synchronisée ». Cela voulait dire que non seulement certaines économies enregistraient de la croissance, mais qu’elles le faisaient toutes en même temps.

La croissance du PIB chinois avait baissé mais était encore substantielle, à 6,85%. La croissance du PIB américain enregistrait un solide gain de 3% au deuxième trimestre 2017, et de 2,8% au troisième trimestre. Le Japon et l’Europe ne progressaient pas aussi vite que les États-Unis et la Chine, mais leur croissance s’accélérait tout de même en partant d’un niveau peu élevé. D’autres économies, notamment l’Australie, la Russie et le Royaume-Uni enregistraient également une solide croissance.

La synchronisation a beaucoup compté, dans cette histoire. La croissance en Chine a entraîné davantage d’exportations pour l’Australie. La croissance aux Etats-Unis a entraîné davantage d’exportations pour la Chine. La croissance européenne a entraîné davantage d’investissements directs étrangers émanant des Etats-Unis, et ainsi de suite.

La croissance n’était ni isolée ni épisodique. La croissance engendrait encore plus de croissance de manière apparemment soutenable. L’économie mondiale tournait à plein régime.

Et puis ce scénario de croissance mondiale a freiné brutalement. La croissance japonaise est devenue négative au troisième trimestre 2018. Celle de l’Allemagne également. La croissance chinoise a continué de baisser (6,5% au troisième trimestre) au lieu de se stabiliser. Le Royaume-Uni a ralenti à cause – en partie – de la confusion entourant le Brexit. La croissance française a baissé dans un contexte d’émeutes déclenchées par une hausse de taxe sur les carburants. Les prix de l’immobilier, en Australie, ont chuté de façon vertigineuse car les commandes provenant de Chine se sont taries et parce que la fuite des capitaux chinois s’est réduite comme une peau de chagrin en raison de la mise en place du contrôle des capitaux.

L’économie américaine s’est relativement bien maintenue en 2018, avec 4,2% de croissance au deuxième trimestre et 3,5% au troisième trimestre. Mais une bonne partie de cette croissance est due à l’accumulation de stocks de marchandises provenant de fournisseurs étrangers avant application des tarifs douaniers.

La croissance de ces stocks calera probablement une fois que les taxes seront soit mises en place, soit abandonnées, en 2019. Aux Etats-Unis, on estime que la croissance sera de 3% au quatrième trimestre, c’est-à-dire encore en baisse par rapport à celle du deuxième trimestre.

Que s’est-il passé ?

Une bonne partie du ralentissement mondial est lié à l’extrême interconnexion de l’économie mondiale et à l’étendue de la chaîne d’approvisionnement. Le revers de la médaille, en matière de croissance synchronisée, c’est que le ralentissement est également synchronisé. Tout comme la croissance d’une économie peut engendrer une augmentation des exportations chez ses partenaires commerciaux, un ralentissement engendre une diminution des exportations.

Pourquoi la croissance a-t-elle ralenti tout court ?

Les Etats-Unis et la Chine, en particulier, les deux plus grandes économies du monde, sont en train de découvrir les limites d’une croissance alimentée par la dette.

La croissance alimentée par la dette ne dure qu’un temps

Le ratio dette/PIB des Etats-Unis dépasse désormais les 106%, soit le plus haut niveau enregistré depuis la Deuxième guerre mondiale. Pourtant, ce ratio est calculé uniquement par rapport à la dette du Trésor américain. S’il intégrait les engagements conditionnels (prêts étudiants, Sécurité sociale, Medicare, Medicaid, pensions des vétérans, assurances FDIC, etc.), le véritable ratio serait plus proche des 1 000%.

Le ratio dette/PIB de la Chine est plus raisonnable, à 48%. Ce chiffre est trompeur, cependant, car il n’intègre pas les dettes et garanties issues des provinces, des entreprises d’État, des banques, des produits de gestion de fortune et de bien d’autres entités que le gouvernement doit soutenir directement ou indirectement. Si l’on tient compte de cette dette supplémentaire, le véritable ratio dette/PIB chinois dépasse les 250%, comme celui du Japon.

Si ces ratios dette/PIB record entraînent un affaiblissement, ce n’est pas parce qu’ils ne peuvent être honorés ou refinancés à court terme (ils le peuvent), mais parce qu’ils freinent la croissance dans la mesure où les attentes des investisseurs changent. Si les investisseurs s’attendent à une future augmentation des taxes, ils dépensent moins et économisent plus. Ce phénomène d’augmentation de la dette et de ralentissement de la croissance a été amplement démontré dans les travaux de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, tous deux enseignants à Harvard.

Reinhart et Rogoff ont compilé les statistiques de dettes, de croissance et de défauts s’étalant sur une période de 800 ans, du XIVème siècle à ce jour. Ils ont également publié des travaux, sur le même sujet, qui se focalisent davantage sur les dettes et les défauts du XXème siècle. Leurs études montrent qu’un ratio dette/PIB de 90% représente un seuil critique au-delà duquel tout surcroît d’endettement ne « stimule » plus la croissance mais la freine, en fait.

La thèse Reinhart-Rogoff vient s’ajouter à d’autres recherches indiquant qu’un ratio dette/PIB de 60% marque le début d’une zone de danger où la croissance de la dette commence à s’auto-alimenter, car on délaisse en masse les autres investissements, et parce que le coût des intérêts augmente. Ce ratio de 60% est ancré dans le Traité de Maastricht, texte fondateur de l’Union européenne.

Bref, les ratios dette/PIB inférieurs à 60% sont considérés comme soutenables, les ratios se situant entre 60% et 90% sont considérés comme non soutenables et doivent être réduits, alors que les ratios dépassant les 90% sont dans une zone rouge et génèrent une croissance négative ainsi que des défauts de paiement, de l’inflation ou d’autres formes de répudiation des dettes.

Désormais, les trois plus grandes économies mondiales, les Etats-Unis, la Chine et le Japon, sont toutes profondément engagées dans cette zone rouge.

Les marchés financiers sont grands ouverts, les investisseurs avides de rendements, et les entrepreneurs débordent d’excellentes idées permettant de créer les futurs Amazon ou Google. Un tel enthousiasme aboutit à une surévaluation des actions et obligations, et au bout du compte, à des emprunts douteux, à une perte de confiance et à la récession suivante.

Nous avons passé le pic d’investissement de ce cycle

Au pic de chaque cycle économique (2000, 2007, 2018) s’affiche un pic de l’investissement en pourcentage du PIB. Mais chaque pic est inférieur au pic précédent.

Au pic du cycle économique de 2000 les investissements représentent 20,6% du PIB. Au pic du cycle économique de 2007, ils représentent 20% du PIB. Et au sein du cycle économique actuel (la deuxième période d’expansion la plus longue de l’histoire des Etats-Unis) ils représentent tout juste 18% du PIB. Cela illustre parfaitement que la dette chasse l’investissement et ralentit la croissance. Ces deux effets réduisent toute envie d’investir.

Non seulement les investissements baissent en pourcentage du PIB, mais ils comportent un pourcentage plus élevé correspondant à une accumulation des stocks et non à des bâtiments, équipements et technologies. L’accumulation de stocks n’est pas un problème si la demande flambe. Or ces stocks n’ont été accumulés que pour échapper aux tarifs douaniers bientôt appliqués.

Que ces taxes soient appliquées ou reportées dans le cadre de nouvelles négociations, cette accumulation de stocks va se ralentir de façon spectaculaire en l’absence de ventes finales. Les chiffres les plus récents relatifs aux ventes nationales (28 novembre) indiquent une croissance de 1,2% pour une hausse des stocks de 2,3%.

Si les futures accumulations de stock correspondent à nouveau aux ventes finales, le PIB du premier trimestre pourrait chuter d’un point de pourcentage par rapport à ses niveaux actuels. Cela ramènerait la croissance du PIB US à un maigre chiffre de 2,2% que nous n’avions plus enregistré depuis ces dix dernières années.

La diminution des investissements et une accumulation de stocks non soutenable ne représentent pas les seuls signes d’avertissement. Les volumes d’échanges internationaux ont chuté de 1,1% en septembre et, en 2018, le commerce mondial devrait afficher une baisse de 2% d’une année sur l’autre.

Les prix des matières premières ont chuté brutalement, de même que l’inflation, en raison de la baisse des cours du pétrole. Aux États-Unis, les loyers des logements ont évolué plus vite que les salaires, depuis 2011, ce qui vient s’ajouter aux obstacles déjà présents dans le secteur de la construction de logements neufs.

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