La Chronique Agora

Les marchés croient en la paix

Mais qu’est-ce qui pourrait bien empêcher une 20e semaine de hausse ?

Franchement, moi qui insiste beaucoup sur la surévaluation des marchés, l’ultra-concentration des portefeuilles sur une grosse poignée de titans qui font 70% du volume quotidien (y compris sur les dérivés), je dois dire que je leur dois de relativiser l’actualité géopolitique, laquelle prise au premier degré a de quoi faire flancher les genoux et filer des insomnies.

Pendant que certains dirigeants européens ravivent les tensions avec la Russie, Israël avec le Liban, le Yémen avec la communauté internationale (une frégate française en Mer Rouge a été attaquée par drones ce week-end), la Chine avec Taïwan, les indices boursiers continuent d’escalader d’un pas assuré – et ce depuis 19 semaines – l’escalier vers le paradis (« stairway to heaven » pour les fans de Led Zeppelin).

C’est la plus longue volée de marches gravies 4 à 4 d’un même élan, en ne marquant qu’une pause au bout de 9 semaines (la première semaine de janvier, qui ne comptait que 4 séances… la 5e fut une hausse), pour aligner une seconde série de 9 semaines de rallye à perdre haleine (du 8 janvier au 9 mars), portant à 25% les gains du S&P 500 depuis le 30 octobre 2023.

Les vieux sages de la communauté financière répètent inlassablement aux novices que le stress est une bonne chose et que rien ne stimule plus les marchés que de devoir escalader le « mur de la peur » (« Wall of worry », c’est pas de « Led’Zep » mais ça aurait pu !).

Mais en 2024, avec les appels de notre président à envoyer des troupes de l’OTAN en Ukraine, en frontal avec la Russie, c’est plus un mur, c’est la face nord de l’Eiger par -35°, les Grandes Jorasses un jour de blizzard, la face sud-ouest du K2 – ou mythique voie des Abruzzes de 5 200 à 8 600 m – en pleine mousson.

Mais pour les marchés, le contexte géopolitique semble aussi redoutable qu’un mur en briques de polystyrène qui peut être transpercé d’un simple coup de piolet.

La flambée de l’once d’or au-delà des 2 180 $ (100 $ au-delà de son ex-record de décembre 2023) ou du Bitcoin vers 68 800 $ semble démontrer que quelques gros investisseurs et fonds souverains diversifient leurs réserves « au cas où ».

Bien des choses pourraient se gâter au cours des prochaines semaines, à commencer par l’humeur des spécialistes des instruments obligataires, les Etats-Unis alourdissent leur endettement de 10 Mds$ par jour – de 1 000 Mds$ tous les 100 jours – depuis le 6 juin 2023 (suspension du plafond de la dette)… et d’ici juin, elle aura cru de plus 3 150 Mds$, soit plus que durant les 12 mois qui ont suivi le « all-in » monétaire lié au COVID.

De son côté, la France a creusé son déficit de 26 Mds€ en janvier, soit potentiellement +300 Mds€ en rythme annuel, compte tenu d’une croissance inférieure de moitié aux hypothèses du projet de budget, amenuisant les recettes fiscales, ce qui pulvérisera l’objectif de contenir le déficit budgétaire à 4,4% cette année… d’où le risque de dégradation de notre dette avant même les élections européennes.

Mais grâce à la polarisation de l’attention sur la possibilité d’une escalade du conflit en Ukraine et l’envie irrépressible d’être au centre de l’attention des autres dirigeants de la planète, notre président a fait dévier l’attention des médias de la fronde anti-européenne des agriculteurs – éclipsée par les annonces de Bruno Le Maire (coupes budgétaires), vite oubliées suite au fiasco du Salon de l’agriculture – tous ces inconvénients étant causés par la complicité du RN avec Poutine et le Kremlin.

Ce que vient de démentir la DCRI (services de contre-espionnage français), dont l’enquête menée depuis plusieurs mois n’a mis en évidence aucun lien financier et aucune collusion des membres du RN – ou de ses députés – avec la Russie.

C’est toute la campagne de propagande anti-RN de Gabriel Attal, Olivier Véran (sur LCI) et de la chef de file « Renaissance » aux européennes, Valérie Hayer, qui risque de s’effondrer, et même de passer pour diffamatoire.

L’hôte de l’Elysée risque alors d’être tenté d’élever d’un cran la tension avec la Russie afin d’occulter un nouveau fiasco de politique interne… et jouer à fond sur le registre du « chef de guerre », celui qui n’a pas peur de montrer la voie « du courage » à ses homologues européens (qui sont des « lâches », comme il l’a sous-entendu) et de se dresser face à un ennemi plus nombreux et mieux armé, comme le général Bonaparte au pont d’Arcole.

Pourvu qu’en s’en prenant, 212 ans après Napoléon, à la Russie, cela ne soit pas la Bérézina sur les marchés, lesquels sont convaincus que « the sky is the limit » et qu’un soleil digne d’Austerlitz va continuer de briller jusqu’aux présidentielles américaines, comme cela se produit souvent lors d’une année électorale à Wall Street.

Tout sera certainement fait pour que les bulletins de météo boursière annoncent – même si c’est tout à fait inexact – un ciel économique et géopolitique radieux jusqu’à vendredi, séance des « Quatre sorcières ».

Mais l’agenda de la politique intérieure française le permettra-t-il… ou les investisseurs vont-ils devoir enfiler le treillis et le casque lourd ?

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