La Chronique Agora

Le marché obligataire déprime

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Si vous pouvez vous attendre à d’importants mouvements sur les marchés actions, ça n’est en général pas le cas sur ceux des obligations… sauf qu’ils peuvent en réalité représenter très vite d’importantes pertes, en ce moment.

Le marché obligataire n’est pas palpitant. Si les mouvements des actions ont la rapidité des avions de chasse, les mouvements du marché obligataire ont l’inertie d’un porte-avion.

Si nous vous indiquons que le taux d’emprunt à 10 ans de la France est passé de 0% (fin décembre 2021) à 1,5% (30 mai 2022)… vous nous répondrez « et alors ? ». Pourtant, cela représente une chute de 15% pour les détenteurs des titres qui rapportent 0%.

Comment cela se calcule-t-il ? Avec un emprunt de 100 € qui nous rapporte 0%, au bout de 10 ans, l’emprunteur nous remboursera 100 €. Si nous avons un emprunt de 100 € qui rapporte 1,5% par an, au bout de 10 ans, nous aurons perçu 15 € d’intérêt, et retrouverons nos 100 €. Donc, 100 € dans le premier cas 100, contre 115 € dans le second : c’est 15% de manque à gagner.

Si un assureur a acheté une obligation payant 0% d’intérêt qu’il veut revendre aujourd’hui, il matérialise une perte. On ne lui reprendra son papier que s’il assure 1,5% de rendement, donc l’acheteur lui paiera au mieux 85 (100-15). A ce prix, l’acquéreur attendant le remboursement de 100 au bout de dix ans aura la même chose que s’il avait souscrit à une obligation à 1,5%.

Des pertes limitées par la loi

Le vrai calcul est plus complexe, car il prend en compte des intérêts composés sur les durées restant à courir. Mais le principe est là : de petits mouvements de taux – en apparence –conduisent en pratique à de lourdes pertes lorsque les taux montent (ou à de gros gains, si les taux baissent).

C’est pour cela qu’en France, la loi Sapin prévoit que les assureurs pourront suspendre les remboursements des contrats en euros des assurances vie (ces contrats sont adossés à de la dette des Etats européens). Si les assureurs étaient contraints de matérialiser leurs pertes dans un contexte de forte hausse de taux, ils feraient faillite.

Le marché obligataire le plus important est le marché américain. Voici comment a évolué le marché des bons du Trésor américain à 20 ans et plus, tel que représenté par le tracker TLT.

Ci-dessous, vous verrez une chute de plus de 25% des bons du Trésor américain de maturité 20 ans et plus, de janvier à mai 2022.

Les taux montent pour les obligations, et donc pour les emprunteurs. Le taux d’un crédit hypothécaire à 30 ans dépasse ainsi les 5% aux Etats-Unis, maintenant.

Le mouvement devrait être inversé

Cette baisse des obligations n’est pas due à la fin des rachats de la Réserve fédérale (le fameux quantitative easing). La banque centrale américaine continue ses achats de titres, car elle réinvestit les obligations qui arrivent à échéance, et pourtant le marché obligataire sombre déjà. Que se passerait-il si la Fed arrêtait d’apporter ce soutien ?

Enfin, que se passerait-il s’il y avait une normalisation (la Réserve fédérale remettrait des titres sur le marché) ? Un bain de sang… Il n’y aura donc jamais de vraie normalisation.

Notez aussi que les actions et les obligations chutent en même temps, alors que la plupart des experts vous expliquent que ces deux classes d’actifs sont « décorrélées ». Autrement dit, lorsque les actions baissent, les obligations de bonne qualité (c’est-à-dire les dettes souveraines émises par les gouvernements des grandes économies) devraient monter, donc leurs rendements baisser, puisque ce sont des valeurs refuges.

Les marchés contredisent aujourd’hui les experts. Même encore inondés d’argent magique mis à disposition des grands investisseurs institutionnels, ils sont au bord du krach.

A quoi s’attendre maintenant ?

Notre thèse est la suivante : la situation va s’aggraver, la Fed abandonnera bientôt toute prétention de lutter contre l’inflation qu’elle a provoquée, il y aura des dévaluations généralisées et donc une crise monétaire qui touchera toutes les grandes devises.

Et à propos de grandes devises…

Le dynamitage des « devises de réserve »

Il ne vous a pas échappé que, parmi les sanctions administrées à la Russie, il y avait le blocage des devises de réserve de ce pays et l’exclusion des banques russes du système international de transaction SWIFT.

Quand les gens responsables de l’administration des « devises de réserve » interdisent à des nations de les utiliser, il est probable que les rejetés construisent leur propre système. La Russie s’y prépare depuis de nombreuses années, tout comme la Chine et leurs nombreux alliés…

Les gestionnaires monétaires professionnels apprécient peu la décrédibilisation de SWIFT, tandis que les politiciens comprennent mal ces systèmes complexes et n’hésitent pas à les briser. C’est une des raisons pour lesquelles nous devons nous attendre à du grabuge.

Le monde pourrait s’accorder pour négocier des prix en coquillages si chacun pensait que les coquillages sont utiles à la comptabilité et au stockage de la valeur. Dit autrement, l’utilité d’une devise dépend de sa crédibilité. Par conséquent, quand des milliards de gens constatent que les Etats-Unis ou l’Europe peuvent annuler les dollars ou les euros qu’ils détiennent en une minute lorsqu’il se produit quelque chose que les Etats-Unis ou l’Europe réprouvent, la crédibilité commence à s’évaporer.

Bien sûr, l’invasion de l’Ukraine est terrible. Mais si vous avez des milliards de pétrodollars ou gazodollars, quel est votre avis ? C’est juste une fois ? Peut-être… ou pas. Et dans ce dernier cas, vous commencez à changer vos dollars ou vos euros contre des actifs tangibles : de l’or, de l’argent, des métaux, de la terre, etc.


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