La Chronique Agora

Le cercle vicieux de la construction européenne

Pourquoi l’Italie est-elle si différente de l’Allemagne ? Pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas « tiré vers le haut » l’ensemble de ses économies ? La réponse tient dans un seul élément…

Les coronabonds ou eurobonds ne font pas l’unanimité dans la Zone euro, comme nous l’avons vu hier. Allemagne, Pays-Bas, Finlande et Autriche, notamment, y sont fermement opposés.

Les pays du nord de l’Europe sont ce qu’ils sont et ce n’est pas par hasard ; c’est déterminé, c’est national, culturel, ancré dans leurs gènes. Ils ne vont pas changer parce que Macron trépigne ou fait le cuistre. Les pays du nord savent qu’ils ne seront pas suivis dans la voie des eurobonds et que cela risquerait de déclencher une crise politique chez eux.

Mais même si des coronabonds étaient introduits, cela serait-il suffisant ? Ou même constituent-ils la bonne « solution » à la crise massive qui frappe maintenant l’Italie et les Etats les plus faibles de l’Union européenne ?

Il est évident, pour tout observateur de bon sens qui n’est pas intoxiqué par les idéologies inflationnistes contemporaines, que ce recours à la solidarité permettrait peut-être de retarder les échéances mais qu’il ne réglerait rien.

Ce n’est pas en accumulant de la dette et toujours de la dette et en la répartissant sur plus de débiteurs que l’on traite des problèmes de fond comme ceux des pays du sud et de la France.

Comme l’a dit le « populiste » italien Salvini :

« Je ne fais pas confiance aux prêts en provenance de l’UE. Je ne veux pas demander de l’argent à Berlin ou à Bruxelles […] L’Italie a donné et continue de donner des milliards d’euros chaque année à l’UE et elle mérite tout le soutien nécessaire, mais pas par le biais de mécanismes pervers qui hypothéqueraient l’avenir du pays. »

La question de l’avenir

La vraie question suggérée par Salvini c’est celle de l’avenir. Dans la situation présente, il n’y a aucun avenir, aucune perspective.

L’Italie a un énorme fardeau de dette du secteur public, mais ce n’est pas parce que le gouvernement a engagé des dépenses excessives. Au contraire, le gouvernement mène une politique d’austérité permanente, enregistrant des excédents annuels de recettes fiscales sur ses dépenses (hors intérêts de la dette) depuis plus de 20 ans !

L’Italie est en permanence en excédent primaire

L’Italie vit dans l’austérité générationnelle – et cette austérité a entraîné la dégradation des services publics, la dégradation du système de santé, une croissance terriblement faible de la productivité et des investissements médiocres depuis plus de deux décennies.

En conséquence, le soutien du gouvernement italien face à la pandémie ne peut qu’être minuscule. L’impulsion budgétaire immédiate peut être évaluée à 0,9% seulement pour l’Italie.

Ci-dessous l’impulsion budgétaire en ocre pour l’Allemagne, l’Italie et L’Espagne.

Les besoins financiers de l’Italie à court terme sont considérables – et il n’y a aucune véritable solution ; il n’y a que des expédients dont… les largesses de la BCE.

Pourquoi le capitalisme italien est-il si faible ?

Plus précisément, pourquoi l’adhésion de l’Italie à la Zone euro n’a-t-elle pas produit une économie italienne plus forte ? La réponse réside dans la nature de nos systèmes.

Ils sont non pas producteurs de produits mais producteurs de profit. L’unification de divers Etats-nations en une seule unité budgétaire et monétaire pose d’énormes problèmes dans le cadre de systèmes dont les profitabilités sont très divergentes.

Oui, pourquoi le système italien est-il si faible ? Poser la question de cette façon est une impasse. Cela revient en effet à considérer que la faute en revient à l’Italie et à ses dirigeants.

C’est le même mode de pensée que celui de Macron qui stigmatise les Français laissés pour compte : ils n’ont qu’à traverser la rue. Si vous posez la question en suggérant que c’est la faute de ceux qui souffrent, vous n’avez aucune chance de trouver la bonne réponse.

La bonne question se formule ainsi : pourquoi l’adhésion de l’Italie, de l’Espagne, de la France à la Zone euro n’a-t-elle pas produit une économie italienne plus forte, une économie française plus forte, une économie espagnole plus forte ?

La réponse est complexe mais elle est systémique, pas circonstancielle : la construction européenne a été bâtie sur une erreur. On a cru qu’elle allait favoriser les convergences – et en pratique, elle a favorisé l’élargissement des divergences.

Les plus forts sont devenus plus forts et les plus faibles sont devenus encore plus faibles

L’Europe a été construite sur une erreur, sur une idéologie idiote que personne ne veut reconnaître. L’unification de divers Etats-nations en une seule unité économique et monétaire pose d’énormes problèmes que personne n’avait entrevu.

En un mot – en un mot seulement, car ceci demanderait un livre – dans un système capitaliste, on produit pour le profit.

Le moteur de la croissance et de la puissance, c’est le profit. Si vous atteignez le profit moyen international, vous progressez ; si vous faites moins que le profit moyen international, vous sombrez.

Et si vous mettez en contact des systèmes dont le taux de profit est différent, vous n’avez pas égalisation des taux de profit mais pillage. Les pays à taux de profit élevé pillent les pays à taux de profit bas.

Voilà ce qui été totalement négligé dans la construction européenne : la divergence des taux de profits dans les différentes économies.

Si le profit est faible, vous n’investissez pas assez, vous n’avez pas de gains de productivité, vous n’êtes pas compétitifs, vos entreprises ne distribuent pas assez de revenus à vos travailleurs, la croissance est faible ou nulle, l’Etat n’a pas assez de recettes, l’Etat s’endette…

… Et c’est le cercle vicieux.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile