La Chronique Agora

La spéculation n’a pas la main verte !

** Le CAC 40 s’est maintenu sans difficulté au-dessus des 5 050 points mais l’euphorie de vendredi dernier est vite retombée. Cette seconde séance du mois de mai s’est distinguée par une faible volatilité indicielle mais aussi et surtout par un record d’inactivité puisque 2,65 milliards d’euros seulement ont été échangés — après 3,6 milliards d’euros le lundi précédent qui constituaient déjà un plancher en terme de volume depuis le 2 janvier dernier.

Le franchissement des 5 000 points, la fermeture du gap des 5 081 milliards d’euros puis le test des 5 100 points vendredi dernier — autant de seuils considérés comme des obstacles majeurs — n’ont pas déclenché de réaction en chaîne à l’achat. Les opérateurs ont apparemment renoncé à toute prise d’initiatives, à l’image des périodes les plus creuses de la mi-août ou de la traditionnelle trêve des confiseurs de fin décembre, lorsque l’actualité est quasiment vierge de toutes statistiques ou de communiqués émanant des entreprises.

Ce n’était pourtant pas le cas hier puisque les investisseurs ont pu découvrir de bons chiffres d’activité dans le secteur des services en avril aux Etats-Unis.

La publication d’un ISM en hausse de 2,4 points à 62 le mois dernier a seulement permis au CAC 40 et aux autres indices européens d’effectuer une brève incursion en territoire positif entre 16h et 16h15 avec, par exemple, +0,1% pour le SBF 120 et l’Euro Stoxx 50. Cependant, les acheteurs ont rapidement coupé leurs efforts alors que Wall Street retombait dans le rouge, comme si le fait accompli avait joué en dépit de l’effet de surprise initial.

Le Dow Jones reculait lundi de 0,65% à mi-séance à cause de la lourdeur des financières et de la chute de Home Depot. Le S&P 500 reculait quant à lui de 0,45% alors que le Nasdaq affichait paradoxalement la meilleure performance (-0,4%) même si Yahoo plongeait de 15% (-20% au cours des premiers échanges) après le retrait de l’offre de rachat de Microsoft.

Rude leçon pour Jerry Yang qui parié que Steve Ballmer, pressé de trouver des relais de croissance pour Microsoft, relèverait son offre de 20% et consentirait à payer 37 $ par titre. Yahoo ne valait plus que 23 $ en début de séance et ne devait son redressement vers 24,5 $ qu’aux rumeurs de pourparlers avec Google — qui prenait néanmoins 1,5%

C’est la preuve que les analystes entrevoient tout au plus un renforcement de la coopération entre les deux géants de la « clic économie » dans le secteur des moteurs de recherche, des messageries instantanées et de la publicité en ligne.

** Mais la véritable cause du repli des marchés américains réside dans la soudaine flambée du prix du pétrole (WTI) sur le NYMEX. Le baril explose de +3 $ à 119,5 $ après avoir établi un nouveau record absolu à 120,2 $ vers 17h lundi.

Ce rebond vertigineux des prix du pétrole qui s’est accéléré dès 15h45 est lié à l’annonce de nouvelles attaques de rebelles du Mouvement pour l’Emancipation du Delta du Niger qui affecte le niveau de la production pétrolière au Nigéria et au durcissement du ton de la candidate démocrate Hillary Clinton à l’encontre de l’Iran — afin de séduire un public ultraconservateur qui rêve d’en découdre avec le régime des Mollahs de Téhéran.

Contrairement aux récents accès de fièvre de l’or noir, les 4 $ de hausse enregistrés par le baril en l’espace d’une petite demi-journée de cotations n’ont pas provoqué de décrue symétrique du dollar. La devise américaine n’a reculé que de 0,5% à 1,5490/euro et n’a cédé tout au plus que 0,3% face au yen. Les places européennes, quant à elles, respirent : l’Euro Stoxx 50 ne s’est effrité que de 0,15% avec un ratio hausses/baisses quasiment équilibré.

Voilà qui ne devrait guère inciter la BCE à lâcher du lest en matière de taux d’intérêt puisque le reproche de l’euro trop fort perd de sa pertinence.

** Les économistes s’attendent au maintien du statu quo monétaire mercredi mais ils espèrent entendre J.C. Trichet évoquer quelques signaux d’affaiblissement de la conjoncture, ce qui marquerait une inflexion du discours uniquement centré sur l’inflation depuis le début de l’année, y compris durant la tourmente boursière des 18 au 24 janvier derniers.

Cela fait très longtemps que les gérants ont cessé de compter sur la BCE pour soutenir la croissance, le moral des ménages et, indirectement, celui de la bourse. De toute façon, les injections de liquidité par les banques centrales — y compris la Fed — ne sont que des trompe-l’oeil puisque que les prises en pension doivent en théorie se résumer à un jeu d’écritures à somme quasi nulle — quand elles ne se déroulent pas sur des intervalles de temps ridiculement courts de 24 ou 48 heures.

Ce n’est rien en regard des masses de capitaux qui transitent sur les marchés dérivés dès lors que le dollar reprend ou reperd un cent face à l’euro. Les pertes matérialisées sur les CDO — et bientôt les CDS — puis la décrue du dollar devraient continuer d’éponger la masse monétaire mondiale beaucoup plus efficacement que les ponctions de liquidités effectuées par les banques centrales entre 2005 et 2007. L’inflation galopante sur les matières premières et les denrées agricoles se chargeront du reste au cours des prochains mois.

** Les spéculateurs les plus cyniques s’attendent depuis 48 heures à ce que le cyclone qui a dévasté la Birmanie et noyé une bonne partie de l’Asie du Sud-est accentue la pression sur les cours du riz et autres céréales de première nécessité. Une nouvelle fois, le réchauffement climatique planétaire (le global warming) est pointé du doigt.

Il s’avère que la Banque asiatique de développement se montre beaucoup plus prompte pour débloquer 450 millions de dollars par la construction d’une centrale au charbon en Inde (source d’émission massive de CO2) que pour allouer une somme équivalente à la constitution d’un fonds de stabilisation du prix des denrées alimentaires au sein de la même zone économique.

Manifestement, la main invisible qui régule les marchés vraiment n’a rien à voir avec la couleur verte !

Philippe Béchade,
Paris

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