La Chronique Agora

La Russie nous coupera-t-elle le gaz ?

Par Isabelle Mouilleseaux (*)

On apprenait mardi matin que l’intégralité des livraisons de gaz russe transitant par l’Ukraine — et destinées à la Bulgarie, la Grèce, la Macédoine et la Turquie — avaient été suspendues cette nuit-là.

S’il fait -20°C à Dresde, combien fait-il à Sofia ? Certainement bien plus froid encore. Or ces pays n’ont pour ainsi dire pas de stock de gaz de réserve. Que se passera-t-il par ce froid glacial si le gaz est coupé d’ici quelques jours ? Essayez d’imaginer…

La Russie coupera-t-elle le gaz ?
Selon le responsable de la société ukrainienne Naftogaz, le niveau des livraisons est descendu jusqu’à 92 millions de mètres cube/24h, contre 221 millions habituellement. Si ce flux ne remonte pas rapidement, les prochaines victimes seront l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie. Mardi dernier, j’apprenais que l’opérateur gazier autrichien dit n’avoir reçu que 10% des volumes de gaz qu’il reçoit habituellement…

La Russie coupera-t-elle le gaz ?

Je n’y crois pas
Tout ceci relève à mon avis plus de la gesticulation que d’autre chose. Car à ce petit jeu, chacun se tient et dépend de l’autre. Les Russes ont besoin des Européens et de leur argent pour vivre. Les Européens ont besoin du gaz russe pour se chauffer. Et l’Ukraine ?

L’Ukraine n’est qu’un pion sur l’échiquier que les Russes ont décidé de manipuler pour faire état de leur emprise sur ce pays qui leur échappe de plus en plus. Et pour rappeler aux Européens, par ces temps de grand froid, combien l’allié russe est stratégique. Le moment est on ne peut mieux choisi.

Bref : la Russie n’a aucun intérêt à nous couper le gaz sérieusement. En revanche, elle aime à nous faire peur pour manifester sa puissance.

La diplomatie du gaz "à la russe"
Je vous rappelle juste que cette semaine, nous avons atteint en France un pic de consommation d’électricité à 92 400 mégawatts tant le froid sévissait. Un record absolu et gigantesque, puisque par rapport au dernier record atteint l’an dernier cela représente carrément l’équivalent de la production électrique d’une tranche d’un EPR (réacteur nucléaire) en plus !

C’est précisément cette nuit-là que les livraisons se tendent… pur hasard ? Ou diplomatie "à la russe" ?

L’Ours russe agonise
Pour mémoire, les exportations de gaz et de pétrole constituent l’essentiel des rentrées de devises pour la Russie. En clair et sans décodeur : la Russie finance son budget grâce à ses exportations d’énergie (et matières premières d’ailleurs). Or en novembre, ses exportations de pétrole ont chuté de 18% par rapport à la même période 2007, et celles de gaz de 22% !

La Russie s’enfonce dans la crise, ses marchés boursiers ont perdu 75% en 2008, le rouble se déprécie et maintenant ses ressources fondent comme neige au soleil. La chute des cours du brut et du gaz font mal. Le budget russe est calculé sur la base d’un prix du baril à 60 $.

Vu sous cet angle, les tensions avec l’Ukraine sur les tarifs gaziers ne sont que le reflet des tensions qui s’exacerbent sur le budget russe. De là à parler d’une réaction "d’auto-défense", il y a un pas que je ne franchirai pas… Disons qu’un animal blessé cherche toujours à se défendre.

Les Européens sont incorrigibles !
La dernière crise de ce type, qui date d’il y a deux ans si ma mémoire est bonne, aurait dû faire réagir les Européens. Ils auraient dû définir une stratégie et un positionnement commun face à la puissante Russie gazière. Je vous rappelle que l’Europe dépend du gaz russe à hauteur de 40%, un tiers de son gaz provenant de l’Algérie et le solde des gisements norvégiens et moyen-orientaux.

Eh bien, il n’en n’a rien été. Pire : les principaux états européens ont décidé de jouer la partie "chacun pour soi"… et Dieu pour tous ! A commencer par les Allemands d’ailleurs.

Navrant…

Nous voilà revenus à la case départ
Ce nouvel électrochoc sera-t-il suffisant pour entraîner cette fois une réaction organisée et constructive en Europe ? Il nous faut une Europe de l’énergie, et idéalement une position commune sur le gaz, le nucléaire et le pétrole… et nous en sommes loin.

Parallèlement, nous continuons de limiter notre dépendance au gaz russe. Nous savons le faire puisque nous avons déjà réduit cette dépendance de 35% en dix ans. Quitte à accroître la part des méthaniers et à recourir à d’autres formes d’énergie comme le nucléaire. C’est notre cas en France.

Grâce à notre parc nucléaire (d’une puissance installée de 63 000 mégawatts), notre pays assure 78% de sa production d’électricité et atteint un taux d’indépendance énergétique de l’ordre de 50%.

Les Européens pourraient aussi accroître leurs stocks stratégiques de gaz en cas de coup dur. Certes, la plupart des pays stockent 5% de leur consommation annuelle de gaz. Est-ce suffisant ? Sans doute pas. La France, via GDF, dispose d’un stock de 3,5 mois de consommation de gaz.

J’ai comme l’impression qu’il va encore falloir patienter un peu… jusqu’à la prochaine crise. Il y a tant d’urgences à gérer en ce moment.

Meilleures salutations,

Isabelle Mouilleseaux
Pour la Chronique Agora

(*) Isabelle Mouilleseaux rédige chaque jour l’Edito Matières Premières & Devises (Publications Agora), une lettre internet gratuite consacrée au marché des matières premières. Passionnée depuis toujours par la Bourse et par tous les marchés financiers, Isabelle s’est spécialisée dans les matières premières et veut permettre à l’investisseur particulier de découvrir et de comprendre l’investissement sur ce marché des matières premières.

L’Edito Matières Premières & Devises est bien plus qu’une chronique quotidienne. C’est un pôle d’activités centré sur les matières premières qui vous donne les moyens de suivre et de maîtriser ces marchés ! Vous pouvez recevoir gratuitement l’Edito Matières Premières & Devises en cliquant ici.

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