La Chronique Agora

J.C. Trichet détecte enfin des "incertitudes"

** La séance du 29 septembre, placée sous le signe du rejet du plan de renflouement, restera gravée dans les mémoires comme un nouveau lundi noir… tandis que la séance du 2 octobre — qui a vu une partie du Congrès US voter le plan Paulson reloaded — a rapidement pris l’apparence d’un jeudi gris foncé : -350 points sur le Dow Jones au final, -4,5% sur le Nasdaq, -4% sur le S&P 500. A moins d’un spectaculaire rebond ce vendredi, le recul hebdomadaire des indices américains pourrait être compris entre 8% et 9% (ce serait la pire semaine depuis la mi-septembre 2001).
 
Les indices américains s’étaient engagés résolument sur la mauvaise pente dès les premiers échanges ; ils n’ont ensuite cessé de se dégrader, sur la foi de sondages faisant état du plus profond pessimisme des investisseurs jamais mesuré depuis 50 ans. Il faut dire que depuis une semaine, les opérateurs qui ressortent du New York Stock Exchange vers 18 h — une fois répondu aux derniers ordres de leurs clients, rangé leur badge et remis leur veste sur les cintres — ont le bourdon. Ils se font copieusement huer chaque soir par une foule en colère qui crie son dégoût pour le gigantesque gâchis qui s’étale à la une de la presse et plonge les Etats-Unis dans le chaos.
 
Moins d’un an auparavant, alors que le S&P 500 et le Dow Jones s’apprêtaient à battre les records historiques (c’était autour du 15 octobre 2007 si notre mémoire est bonne), tous ces gars qui s’enfuient de Wall Street, la tête rentrée dans les épaules ou cachés derrière leur journal, étaient les héros de l’Amérique.
 
La plupart des manifestants d’aujourd’hui rêvaient alors de voir au moins un de leurs enfants embauchés dans le "Saint des Saints" du capitalisme, et peut-être même dans une salle de marché pour les sujets les plus brillants.
 
Alors que certains jeunes récemment embauchés par le NYSE n’ont pas encore fini de rembourser leurs études, les voici sommés de rendre leurs bonus (pour peu qu’ils portent une cravate correctement nouée et un costume de bonne facture). Les fossoyeurs du système arborent en effet des complets griffés à 3 000 $ et des chemises sur mesure… mais personne ne connaît leur tête, ni leurs clients, ni leurs collègues du back office, et encore moins les sans-grades des étages inférieurs (ceux qui relancent les emprunteurs se retrouvant à découvert).
 
Les manifestants ne risquent pas de croiser des golden boys en goguette en train de déguster une part de pizza entre copains sur une pelouse de Central Park : soit ils ne prennent pas de pause déjeuner quand ça chauffe, soit ils prennent tout leur temps. Ils réservent alors des tables dans les restaurants les plus exclusifs de Manhattan et y dégustent de grands crus qui valent le prix d’un aller-retour Paris-New York en classe affaire.
 
Aujourd’hui, les mêmes golden boys rasent les murs lorsqu’ils croisent les agents de sécurité qui assurent le gardiennage des parkings, et ils empruntent la vieille Toyota de leur femme (toute heureuse de récupérer la Porsche) pour ne pas se faire remarquer lorsqu’ils circulent dans New York.
 
** Les acheteurs rasaient également les murs à Paris en fin de séance jeudi sous le signe d’une rafale de dégagements de précaution (-2,25%). Cela aurait cependant pu être pire, dans la mesure où le Nasdaq chutait déjà de 3% et le Dow Jones de 2,5% au moment de la clôture des marchés européens (-2% en moyenne).
 
Les investisseurs américains se focalisaient à nouveau sur des fondamentaux guère souriants, et qui avaient été négligés la veille. Il s’agit notamment de l’effondrement des ventes d’automobiles en septembre, de la chute de 4% des commandes à l’industrie ce jeudi et du plongeon de 10% de l’indice ISM manufacturier la veille, sous le seuil des 50… Sans oublier le million de logements saisis et le taux record de 2,75% des défauts de paiement sur des emprunts hypothécaires.
 
** Oui vraiment, les perspectives économiques semblent sombres. Même Jean-Claude Trichet le reconnaît puisqu’il déclare que le degré des incertitudes qui pèsent sur nos économies est "sans précédent", tandis que de nombreux signes de ralentissement ont amené les membres de la BCE à examiner la question d’une baisse de taux. Une initiative en ce sens a cependant été rejetée à l’unanimité du conseil.
 
Les cambistes ont cependant validé l’hypothèse d’une baisse de taux avant la fin de l’année ; c’est ce qui explique la dégringolade de 2% de l’euro jeudi, avec un nouveau plancher annuel inscrit à 1,3750 $. En d’autres temps, la fermeté du billet vert se serait traduite par une hausse proportionnelle du CAC 40, mais le credit crunch gèle toute initiative de la part des investisseurs américains.
 
** Paris a clôturé ce jeudi juste en-deçà des 4 000 points, à proximité des plus bas testés le 18 septembre dernier. Compte tenu des 15% repris par le dollar en trois mois, le marché parisien vous apparaît-il survendu à ce niveau ? Permettez-nous d’en douter !

En effet, un CAC 40 naviguant entre 3 960 points et 4 100 points, cela nous ramène à mai 2005 — avec un Dow Jones oscillant entre 10 500 et 11 200 points à la mi-août 2006. C’est-à-dire une époque où la valeur des biens immobiliers progressait de 10% à 15% par an, où les profits des entreprises s’envolaient de 20% en rythme annuel, où l’inflation était contenue en-deçà des 2% malgré un pétrole qui se négociait entre 60 $ et 70 $ le baril.
 
Oui, une époque bénie où tous les voyants économiques et boursiers étaient au vert, illustrant la parabole du Goldilocks, un équilibre rêvé entre risque de surchauffe inflationniste et risque de ralentissement de l’activité.

A deux ou trois ans de distance, les indices boursiers affichent toujours des niveaux de valorisation "hédonistes" alors que la situation actuelle serait, de l’avis de dix Prix Nobel américains (d’ailleurs tous opposés au Plan Paulson), d’une gravité seulement comparable à la crise de 29.
 
Devant nous se dresse le trou noir des pertes d’un montant inconnu cantonnées dans des structures offshore — qui s’ajouteront inexorablement aux 1 000 milliards de dollars de pertes déjà recensées dans les comptes des banques sous surveillance d’autorités de régulation gouvernementales. Se dessinent aussi des courbes de croissance (PIB, PNB) en chute libre, et un credit crunch aussi sévère que ce qu’avait connu l’Argentine début 2002.
 
Autant d’incertitudes systémiques et géopolitiques format XXL qui sont de nature à détourner les investisseurs des marchés d’actions pour plusieurs années. Il faudra y rajouter le renforcement des contrôles puis la peur de voir les règles du jeu changer en cours de partie (comme lors de l’interdiction des ventes à découvert le 18 septembre dernier).
 
De toute façon, le problème de l’aversion pour la bourse devrait se régler de lui-même : à en croire la presse grand public — mais également économique et satirique — il n’est pas certain qu’il reste encore des banques pour héberger un compte-titres d’ici deux ans !

Philippe Béchade,
Paris

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