La Chronique Agora

Il existe tant de variétés de scorpions…

 

▪ Nous l’avons répété à l’envi depuis le début de l’été 2009 : la correction qui frappera les actifs faisant l’objet d’une bulle de surliquidité (obligations à haut rendement, émissions obligataires d’entreprises, actions, métaux industriels…) sera d’une violence proportionnelle au déferlement de mensonges et d’intoxication médiatique qui l’aura précédée.

A priori, nous devrions êtres gâtés. Les banques centrales elles-mêmes ont activement participé à l’inflation des cours ; elles ont fourni les munitions en quantité illimitée à des opérateurs qui n’avaient aucune intention d’en faire l’usage attendu par les contribuables, cautions en dernier ressort des risques qu’ils prennent sur les marchés.

La nouvelle mode, maintenant que le citron des indices boursiers a rendu ses derniers atomes de jus, consiste à s’attaquer aux dettes souveraines des Etats les plus laxistes sur le plan budgétaire. Des Etats qui, malgré des finances boiteuses et des déficits abyssaux, n’ont pas hésité à voler au secours de banques qui avaient commis les pires imprudences et fait preuve de la plus grande inconséquence.

Ces banques sont mal placées pour s’ériger en censeurs de la mauvaise gestion des deniers publics. Dans l’absolu, donner des leçons ne coûte rien… mais certaines d’entre elles ne se contentent pas de dispenser de bons et de mauvais points : elles s’arrogent jusqu’au droit d’administrer la punition.

Cela se traduit par des attaques en règle contre les dettes souveraines et l’exigence de meilleurs rendements sur les bons du Trésor… Alors que le seul projet consistant à leur demander de participer aux frais de leur sauvetage il y a un an soulève des concerts de protestations et la mobilisation des lobbyistes les plus influents pour écarter une telle éventualité.

Nous ne sommes pas loin de la parabole du scorpion qui pique la grenouille qui l’a pris sur son dos pour lui éviter la noyade : il ne peut pas s’en empêcher ! Cela fait partie de ses gènes… En l’occurrence, il s’agit d’une avidité ontologique, d’une incapacité à contrôler la tentation de réaliser un gain, y compris au détriment de ses sauveteurs.

Mais la spéculation constitue souvent un efficace révélateur de problèmes qui ne veulent pas dire leur nom. Il faut alors bien plus que des paroles creuses et des tirades incantatoires pour ramener la sérénité sur les marchés.

Une nouvelle preuve de ce principe nous est administrée par le sévère recul des indices boursiers après l’annonce, par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel jeudi matin, d’un accord politique sur le refinancement de la dette grecque, avec l’assentiment des autres membres de l’Eurozone.

Le problème, c’est que les marchés n’ont aucune précision sur les mesures de soutien envisagées par Bruxelles (coût, modalités, calendrier)… Dans le même temps, l’état les finances espagnoles ou portugaises continue d’inquiéter.

Nous pourrions arguer que la faillite annoncée du régime de retraite des salariés de British Telecom est un phénomène tout aussi porteur de sombres présages dans l’ensemble des économies anglo-saxonnes (et aux Etats-Unis en particulier)… mais cela ne change rien au fait que le traitement du problème grec ne saurait se résumer à « on s’en occupe, soyez confiants, ça va bien se passer ».

▪ Les effets d’annonce ne semblent plus en mesure de soutenir la tendance sur le marché parisien, les bonnes nouvelles non plus ! Les investisseurs n’ont même pas salué le recul plus important que prévu des inscriptions hebdomadaires au chômage aux Etats-Unis à l’issue de la première semaine de février (elles ont diminué de 43 000, à 440 000).

Il a fallu attendre 17h pour que Wall Street amorce une reprise bienvenue. Elle a évité que les places européennes ne terminent sur un repli global supérieur à 1% (l’Euro-Stoxx 50 cédait 0,75%). Le Dow Jones grimpait de 1% au final, après avoir connu une envolée de 180 points en ligne droite (il culminait vers 10 165 vers 20h30). Le Nasdaq s’est adjugé 1,4% et en a terminé au plus haut du jour, à 1 078 points.

Paris, qui chutait de 1,25% à un quart d’heure de la clôture, a bénéficié de l’influence positive des marchés américains pour limiter la casse à -0,51% (3 616 points). Cependant, un fort courant vendeur (4,45 milliards d’euros échangés, c’est supérieur de 50% par rapport à la moyenne quotidienne depuis janvier) continue de peser sur les valeurs françaises dès qu’elles parviennent à reprendre 3% sur leurs récents planchers.

L’actualité du jour importe au fond assez peu lorsque l’on considère qu’il subsiste encore un réservoir de 50% de plus-values à matérialiser depuis les planchers de mars 2009… Ce, alors que seule une croissance d’au moins 3% en 2010 et 2011 pourrait justifier les niveaux actuels des indices européens — mais il faudra probablement se contenter de moins de la moitié cette année, alors qu’aucun plan de relance supplémentaire ne peut plus être espéré vu l’état des finances nationales.

Nous ne saurions dresser un meilleur tableau de la situation que Paul Krugman, l’un des conseillers spéciaux de Barack Obama (mais qui a pris un peu ses distances avec la Maison Blanche ces derniers mois, sur le constat que si quelques musiciens de l’orchestre avaient été remplacés, la partition restait à peu de chose près la même qu’en fin de mandat de G.W. Bush).

▪ Paul Krugman affirme, non sans preuves, que les finances des Etats-Unis, du Japon ou de la Grande-Bretagne sont dans une situation à peine moins déplorable que celle de la Grèce. Mais cette dernière constitue la proie la plus facile au sein du troupeau des éclopés de l’après-crise.

Les prédateurs restent à l’affût, toujours prêts à bondir au moindre signe de faiblesse d’un pays que ses partenaires laissent à l’écart et sans défense, excités par l’odeur du sang (selon le vocabulaire en vogue dans les salles de marché).

Les traders parient à la baisse sur l’euro (voir l’article d’Isabelle Mouilleseaux jeudi) et amplifient les désordres du monde, tirant de gigantesques profits de la spirale destructrice qu’ils ont initiée.

Mais qui laisse donc une poignée de spéculateurs déclencher un short de huit milliards de dollars contre l’euro ? C’est une grosse somme pour des opérateurs privés qui risquent une partie de leurs fonds propres… c’est une goutte d’eau pour la BCE : pourquoi ne riposte-t-elle pas ?

Paul Krugman propose une explication : « l’Europe est une sorte de grand corps malade, trop vite cousu de membres épars mais dépourvu d’un système nerveux à la taille de son organisme ».

Même si sa formulation est ingénieuse et pertinente, cela nous semble un peu court. Si l’euro rechutait sous les 1,3650 $ jeudi après-midi, après la prise de parole de deux grands leaders européens depuis Bruxelles, c’est parce que la BCE le veut bien.

Et vous ne trouverez pas beaucoup d’industriels européens (exportateurs allemands en tête) pour regretter le récent recul de la monnaie unique : qui ne souffle mot consent !

Il n’existe pas qu’une seule variété de scorpions arpentant les sables torrides de la finance…

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