La Chronique Agora

L’histoire se répète

Les tambours de guerre battent plus fort alors que les nations s’empressent d’ignorer les leçons du passé.

(Ce tableau de 1869 de Charles Minard montre le nombre d’hommes de l’armée de Napoléon dans la campagne de Russie en 1812, leurs mouvements, ainsi que les températures auxquelles ils ont dû faire face sur le chemin du retour. Source : Wikipedia Commons)

Personne n’a jamais lu de Caulaincourt ?

David Petraeus est passé à la télévision il y a quelques jours, pour réclamer encore plus d’argent des contribuables. Le général en disgrâce (il a divulgué des secrets de sécurité nationale à sa maîtresse, qui les a publiés dans un livre) cherchait à obtenir un soutien pour l’Ukraine… ou plus précisément, pour acheter plus d’armes aux fournisseurs militaires américains afin de les leur envoyer. M. Petraeus est l’un des nombreux porte-paroles du secteur de la guerre, l’une des industries les plus importantes et les plus rentables des Etats-Unis.

Pendant des décennies, les fauteurs de guerre ont maintenu la marmite en ébullition, cherchant toujours des ennemis – étrangers et nationaux. En février dernier, en 2022, ils ont finalement réussi à pousser la Russie à la guerre. La longue et triste histoire du gouvernement ukrainien dépasse le cadre de ces colonnnes. Il en va de même pour l’intérêt des Américains en général. Il ne doit pas y avoir plus de quelques dizaines de personnes dans tous les Etats-Unis qui se soucient de savoir si la République populaire de Donetsk est contrôlée par les Ukrainiens, par les Russes ou par ses habitants de manière autonome.

L’un des objectifs de l’industrie de la guerre a été de faire de la Russie les « eux » que le « nous » doit combattre. Bien qu’en 1990, le secrétaire d’Etat américain James Baker ait promis à Mikhaïl Gorbatchev que l’Otan « n’avancerait pas d’un pouce vers l’Est », en 2022, elle avait mis Poutine au pied du mur. Les missiles de l’Otan en Ukraine étaient aussi inacceptables pour Vladimir Poutine en 2022 que les missiles soviétiques à Cuba l’étaient pour John Kennedy en 1962. Et lorsque l’administration Biden a balayé ses préoccupations, Poutine a agi.

Qui a raison ? Qui a tort ? Qui sait ? Mais aujourd’hui, un peu partout en Europe et aux Etats-Unis, des gens arborent des drapeaux ukrainiens, écoutent David Petraeus et traitent Volodymyr Zelensky comme un héros de guerre. Même du haut de la chaire, on nous a conseillé de prier pour les Ukrainiens, mais pas pour les Russes.

Une allégeance banale

Rien de tout cela n’est particulièrement remarquable. Au baseball et à la guerre, les gens prennent parti. En général, ils prennent le parti qu’on leur vend le mieux. Pendant la Première Guerre mondiale, par exemple, les Américains pouvaient choisir de prendre le parti de la France et de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne. Mais l’Angleterre avait coupé le câble reliant Berlin à New York. Toutes les nouvelles de la guerre étaient filtrées par le service de propagande britannique. Et il n’a pas fallu longtemps pour que les Américains lapident des teckels dans la rue et tirent sur des étrangers en croyant à tort qu’il s’agissait de ressortissants allemands.

Il n’est pas non plus remarquable que le premier empire du monde s’en prenne à la Russie. Il doit y avoir quelque chose à propos de la Russie ; comme une jeune chanteuse en quête d’un vieil homme riche, elle semble attirer les empires dégénérés.

Charles XII de Suède a attaqué la Russie en 1708. Il est l’un des premiers adeptes de la guerre éclair – il frappait fort et se déplaçait rapidement avec sa cavalerie. Face à cela, les Russes ont battu en retraite, tuant tous les animaux de ferme et détruisant les stocks de nourriture sur leur passage. Puis, alors qu’ils continuaient à poursuivre les Russes, les Suédois ont manqué de provisions. Et, lors de la bataille finale, à Poltava, les Suédois ont été décisivement vaincus. Seulement quelques milliers de Suédois s’échappèrent – dont Charles XII lui-même – sur une force initiale de 40 000 hommes. Poursuivis, ils n’étaient plus que 543, quelques semaines plus tard.

Un siècle plus tard, Napoléon répète l’aventure, mais avec dix fois plus d’hommes.  Là aussi, les Russes ont battu en retraite… en utilisant leur même tactique de la terre brûlée. Et puis, atteignant Moscou, mais ne remportant aucune victoire décisive, les Français ont été contraints de se retirer, en hiver, à travers les vastes steppes. Les Russes ont contre-attaqué. Les Cosaques ont harcelé les Français en fuite. Le « général Hiver » a fait sa part. Et lorsque les survivants parvinrent à se mettre à l’abri, environ 380 000 soldats français et alliés étaient morts ou prisonniers.

Puis, en 1941, Hitler n’a pas pu résister. Une fois de plus, il a fait monter les enchères, engageant 10 fois le nombre de troupes utilisées par Napoléon – 3,8 millions de soldats. Même histoire, plus ou moins. Et le même résultat. Il battit en retraite, laissant environ 1 million de morts, blessés et prisonniers derrière lui.

Leçons non apprises

Armand Augustin Louis de Caulaincourt était un général de l’armée de Napoléon. Il avait auparavant été envoyé en tant que diplomate à Moscou et connaissait bien le pays. Lorsque Bonaparte a annoncé son intention de conquérir la Russie, de Caulaincourt l’a supplié de ne pas le faire. Il décrit les distances, les mauvaises routes, le peuple sauvage et endurant, et le temps insupportable. Pourtant, Napoléon est déterminé à attaquer et emmène de Caulaincourt avec lui.

Bien sûr, tous les malheurs anticipés par de Caulaincourt – et bien d’autres encore – se sont rapidement avérés vrais, et le général les a racontés plus tard dans un délicieux mémoire, qu’il a intitulé En traîneau avec l’Empereur.

En 1944, les troupes allemandes redécouvraient l’enfer décrit par de Caulaincourt. Un groupe de prisonniers allemands était alors assis sur le sol dur, alors que les troupes soviétiques se préparaient à les interroger. Un officier soviétique ayant le sens de l’humour leur aurait dit :

« Qu’est-ce qui se passe ? Aucun d’entre vous n’a lu de Caulaincourt ? »

Curieusement, au moins un général allemand avait en fait un exemplaire du livre de de Caulaincourt, dans sa poche, lorsqu’il avait été capturé à Stalingrad.

Et maintenant… Joe Biden et ses alliés ont commencé une « guerre de sanctions » contre la Russie, ainsi qu’une véritable guerre armée, en utilisant les Ukrainiens comme mandataires.

Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ? Ont-ils lu de Caulaincourt ?

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