Il va falloir payer la facture du système actuel – elle est énorme… et les solutions pour la financer divergent. Une seule certitude : ça va faire mal.
Le monde croule sous les dettes… mais elles sont au passif des bilans – et les passifs, cela ne se voit pas. Nos sociétés modernes sont manchotes : elles n’ont qu’un bras, celui qui montre les actifs. L’autre qui devrait désigner les passifs est lié derrière le dos.
C’est la modernité ! Elle consiste à faire croire que les élites et leurs mercenaires sont tout puissants et qu’ils rasent gratis : il n’y a pas de négatif, il n’y a pas de coût à leurs actions.
Or la période se définit comme celle où les coûts des actions menées depuis 2008 sont présentés, c’est le temps de la première présentation de l’addition. Je ne cesse de vous le dire, il n’y a pas de magiciens, il n’y a que des illusionnistes, ils vous font toujours regarder ailleurs.
Remarquez que pour une fois je suis gentil : je dis « illusionnistes », je ne dis pas « escrocs » !
Ces coûts sont colossaux. D’une part ils sont reportés dans le futur, et d’autre part ils sont reportés sur des catégories sociales peu averties, voire ignorantes. (Je vous conseille au passage de lire Le temps des magiciens, l’ouvrage remarquable de Bruno Jarrosson.)
La modernité est une perversion culturelle. C’est une idéologie, soutenue par l’apparence du progrès, qui est au service de la domination et de sa reproduction : une idéologie du sans-limite, de la négation de notre condition humaine et surtout de celle de nos élites. Ce qui est sans-limite, ce sont les signes ; le réel, lui est limité, rare, rationné.
Avec un dictionnaire, on peut établir une infinité de propositions. De même, avec une planche à billets, on peut, sans conséquences dans le court et moyen termes, payer tout et reporter tous les coûts dans le futur.
La modernité, c’est le mythe de la toute-puissance des élites alimentée par la technologie ou plutôt ses mystères. Pour le commun des mortels, pour la masse, tout est devenu possible : les élites ont en quelque sorte hérité du sacré de l’ancien temps. Surtout avec la fameuse Théorie monétaire moderne (TMM), le chartalisme, cette vieille lune que l’on a ressortie des poussières de l’Histoire.
Revenons à notre économie.
Une nouvelle crise se prépare… malgré les apparences
Vous ne vous en rendez pas compte, mais sous les apparences de la bonne santé, le monde se prépare à une nouvelle crise. Les débats chez les élites sont vifs et nourris ; vous n’en voyez que de rares émergences, sauf chez moi, où je mets les pieds dans le plat – je regarde même avec des verres grossissants.
Les symptômes de cette nouvelle crise se sont manifestés en 2018. La reprise que l’on croyait mondialement synchronisée a atteint son apogée en septembre 2018. Ensuite, la volatilité boursière est réapparue en décembre avec une chute de 20% des marchés.
La liquidité s’est effondrée, et ceci a obligé le pauvre Jerome Powell à aller à Canossa. Il s’est ridiculisé en abandonnant la normalisation monétaire, en promettant dès janvier de rouvrir le robinet et en concrétisant tout cela par un retour au cycle de baisse des taux.
Cela a permis d’enrayer le ralentissement conjoncturel et surtout d’éviter que la raréfaction des liquidités ne fasse boule de neige. La hausse du dollar a été interrompue. Une relative aisance est revenue sur les marchés du dollar hors Etats-Unis. La spéculation est réapparue et elle a remis le monde en mode risk on.
Bien entendu, c’est là qu’il ne faut pas se faire d’illusion. Cette alerte montre que non seulement aucun problème n’est réglé et qu’il n’y a pas de croissance spontanée, mais aussi que la lutte contre la déflation a été un colossal échec. D’ailleurs, les anticipations inflationnistes sont reparties vers le bas malgré la stabilisation conjoncturelle.
Les élites savent tout cela et elles savent qu’un nouvel accès de faiblesse de la croissance est dans l’ordre des choses. D’où le débat.
Quelles solutions ?
Les uns, comme on vient de le voir récemment avec l’intervention de Ben Bernanke, croient que l’on peut lutter contre la tendance à la récession avec la politique monétaire. Ils soutiennent que les outils actuels de politique monétaire – QE, taux négatifs, promesses et guidances – sont suffisants et équivalent à une baisse des taux d’intérêt de cinq points.
Les autres, comme Lawrence Summers, le Financial Times et Christine Lagarde, sont persuadés que cela ne suffira pas et qu’il faut accepter d’utiliser conjointement l’outil monétaire et l’outil budgétaire.
Pour parler clairement, il faut augmenter les dépenses budgétaires, creuser à nouveau les déficits et faire financer ces déficits par la planche à billets. En quelque sorte, il faut recourir à une forme d’helicopter money au lieu de faire transiter l’argent par les marchés financiers : il faut directement le faire dépenser par l’Etat – ce qui injecte des revenus dans les systèmes économiques, soutient les dépenses et, par voie de conséquence, soutient l’activité.
Dans tous les cas, quelles que soient les solutions, toutes passent par le principe d’un accroissement des dettes.
Dans le premier cas, celui de la politique monétaire façon Bernanke, l’accroissement des dettes fait un détour vers les marchés financiers au lieu de se retrouver dans la poche des agents économiques dépensiers.
Dans le second cas, les dettes sont immédiatement dépensées, il n’y a pas de déchets, elles accomplissent directement leur fonction de soutien. Le problème ici, c’est évidemment la crédibilité du système ou plus exactement la destruction de sa crédibilité.
Finalement, toute la question se résume à ceci : face à la tendance normale à la récession qui doit se manifester après 10 ans de dopage monétaire, on a le choix entre continuer comme on l’a fait pendant ces 10 ans…
… Ou cesser de chercher à sauver les apparences d’une gestion orthodoxe et, cyniquement, accepter le risque d’une perte de confiance dans la solvabilité des gouvernements et dans la solidité des monnaies – sortir les hélicoptères.