La Chronique Agora

Les failles se creusent, les tombes aussi

L’économie va mal – de plus en plus mal. Les déséquilibres s’accentuent. Pourtant, la crise n’est pas pour demain…

Ce n’est, je pense, un secret pour personne : l’économie mondiale va mal.

La récession menace, les excès financiers sont flagrants. Il ne semble pas y avoir d’autre solution pour les autorités que de continuer à augmenter les déséquilibres pour faire tenir la bicyclette.

Il faut, quel que soit le prix, qu’elle roule.

Il faut continuer de descendre la pente, même si les amortisseurs sont usés et les marges de manœuvre nulles.

Augmenter les déséquilibres, cela signifie augmenter la divergence, le gap, entre la sphère financière et la sphère réelle. Il faut, en cette phase de tendance récessionniste, gonfler encore plus la bulle, faire léviter l’imaginaire monétaire et financier ; il faut inciter aux excès car seuls les excès permettent de retarder la Grande réconciliation.

Contrairement à ce qu’écrivent les Cassandre et leur suiveurs béats, nous ne sommes pas au bord du précipice. Je ne le répèterai jamais assez.

Non nous n’y sommes pas parce que les autorités sont loin d’avoir épuisé tous les trucs et astuces. Les arsenaux sont encore pleins. Simplement, il faut franchir de nouvelles étapes dans l’irréversibilité de la destruction du système ; il faut accepter de perdre tout espoir.

« Toi qui entres ici, abandonne toute espérance »

Il faut accepter de creuser encore plus profond le trou. Surtout – c’est le plus difficile –, il faut accepter, se résoudre à s’y enterrer, à ne plus en sortir que mort.

Si on accepte cela et donc si on perd tout espoir et toute retenue, on peut encore prolonger pendant très longtemps.

On y vient puisque l’une des décisions essentielles dans cette direction, le re-creusement concerté des déficits, est en débat.

Ce n’est pas la politique monétaire seule qui va tuer le système, non : c’est la conjonction de la politique monétaire permissive et des déficits incontrôlés qui s’en chargera.

C’est d’ailleurs ce que nous venons de faire. Nous avons fait le premier pas dans cette direction, avec la nouvelle reflation qui a débuté autour du quatrième trimestre 2018. Elle s’accompagne des discussions au plus haut niveau sur l’insuffisance du monétaire : « La monnaie ne peut pas tout. »

Le plaidoyer des banques centrales, du FMI, et même de la Banque des règlements internationaux (BRI) pour l’accroissement des dépenses budgétaires devient assourdissant.

Encore cinq à sept ans avant la crise ?

Je vous l’ai expliqué plusieurs fois : le monétaire, contrairement à ce que pensent les monétaristes et autres friedmaniens, n’est pas en lui-même hyperinflationniste, non !

La manne monétaire peut très bien être neutralisée et stockée longtemps dans la loterie boursière, dans le casino. Ainsi, elle ne produit pas ses effets hyperinflationnistes, elle est comme morte, zombie – ou, mieux, elle habite l’imaginaire.

Ce qui jette les bases de l’inflation puis de l’hyperinflation, c’est le budgétaire. Plus précisément, c’est la conjonction du budgétaire de notoriété publique non-contrôlé et du monétaire de notoriété publique permissif. Il faut cette conjonction.

En clair, il faut du monétaire laxiste qui finance du budgétaire laxiste – et, en même temps, que cela soit de notoriété publique.

Et pour que tout cela produise ses effets il faut, selon l’expérience historique, cinq à sept ans !

Les Etats-Unis ont abandonné l’idée de pouvoir un jour revenir en arrière et de normaliser. On est pratiquement entré dans la fameuse TMM, le chartalisme, le financement direct, monétisé, des gouvernements.

Chine, la caricature

La Chine a perdu toute prudence car le risque politique est trop important pour le régime. Elle a renoncé à contenir sa dérive et elle s’est lancée dans une nième relance par le crédit. L’Europe de Mario Draghi, qui n’attendait qu’un prétexte pour masquer sa défaillance de fond, a fait de même ; elle bénit l’aubaine de la récession qui lui donne à nouveau la possibilité de rafistoler les béquilles.

Nous allons nous répéter, allez, tous en chœur :

Vive les crises ! Elles enrichissent les déjà riches, elles gonflent les indices boursiers, elles disconnectent toujours plus la sphère financière et la sphère réelle, elles distendent encore plus les ombres des corps.

Je dis souvent que la Chine est notre caricature.

Elle est dans une crise existentielle… Et pourtant, le Shanghai Composite a progressé depuis le début de l’année, de 18,9% ; le CSI 300 en est à +32,0% et l’indice ChiNext à +36,8%. Tout cela malgré la détérioration de la situation économique et les risques accrus.

Les prix des appartements en Chine continuent de grimper à des taux à deux chiffres.

La croissance rapide et continue du crédit alimente de plus en plus l’inflation des actifs, alors que l’économie réelle se débat dans le marasme.

Hausse des cours et auto-destruction

L’indice boursier allemand DAX affiche un gain de 25,3% en 2019. Le système allemand est pourtant le malade de l’Europe ; ce n’est pas conjoncturel, c’est une page qui se tourne.

Le CAC 40 français s’enrichit de 24,5% et le MIB italien de 28,4%, face à la stagnation de l’économie.

Les mesures de relance adoptées par la BCE ont alimenté un marché obligataire euphorique et soufflé des bulles redoutables, alors que l’économie réelle ne tient pas debout.

En Russie, les actions ont progressé de 25,5%, au Brésil de 22,5%, à Taïwan de 19,0% et en Turquie de 13,0%. Cela a permis aux émergents d’absorber un excédent mondial de liquidité en plein essor, tout en négligeant les risques croissants.

Aux USA, le S&P 500 a progressé de 23,4%, le Nasdaq Composite de 27,7% et les semi-conducteurs de 50,4%.

Excusez du peu.

Le système financier mondial s’autodétruit. Mais cela peut et va certainement durer très longtemps, car l’aveuglement est quasi-total : il n’y a pas d’acteur « voyou » pour combattre les autorités monétaires, elles sont maîtresses du jeu. Elles peuvent gonfler, tromper en rond, mentir; personne ne remet leur bluff en question.

Personne ? Si, bien sûr !

Le réel ne se laisse pas tromper

Ce qui remet le bluff en question, c’est… le réel. Lui ne se laisse pas tromper : il s’adapte, les plaques tectoniques glissent, en sous-sol, sous l’imaginaire, tout se réaménage. Les failles se creusent, les tombes aussi.

Comme on le disait avant en France dans d’autres circonstances : « C’est fou le temps que cela prend de foutre en l’air des pays riches. »

Les politiques monétaires imprudentes – non, pas imprudentes : criminelles – ont enflammé les excès de fin de cycle. Le recours à l’effet de levier spéculatif est bien plus vaste que tout ce que l’on peut imaginer ; c’est ce qui explique la mauvaise surprise de la crise récente des repos, des refinancements au jour le jour.

Mais il n’y a pas que les décalages du long et du court ; il y a aussi les décalages en devises, le carry !

Les banquiers centraux, drogués à la cocaïne mathématique, prolongent des bulles financières et économiques mondiales catastrophiques. Ils sont dans leur monde, ils planent au sens propre, ils ne touchent pas terre, protégés qu’ils sont de la critique et de la concurrence par un statut scélérat, par la bulle sacrée de protection qu’on leur a fourni.

Le plus grand crime, on le verra plus tard dans l’Histoire, a été de donner à ces gens les pleins pouvoirs et de les rendre indépendants des peuples – mais aussi de les laisser sous la coupe des ploutocrates.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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