La Chronique Agora

Un empire de fantasmes (partie I)

Etats-Unis, krach, progrès

Bill Bonner s’entretient avec son ami et partenaire d’affaires Porter Stansberry, sur l’importance des nouvelles technologies dans l’économie, et les vrais coûts des interventions gouvernementales successives…


Dans le monde nébuleux de la finance et de la politique, la démesure et la folie des grandeurs vont bon train ces derniers temps. Qu’il s’agisse de la « transition verte » ou du « grand reset », les élites ont d’ores et déjà tracé pour l’humanité un futur qui engendrera des coûts énormes, tant en termes de capital qu’en nombre de vies humaines. 

Pour discuter de ce sujet et d’autres, Bill Bonner a récemment retrouvé son ami de longue date et partenaire d’affaires Porter Stansberry.

Pendant une heure environ, sans se presser, les deux comparses ont parlé du monde de la monnaie sans valeur depuis 1971, ainsi que de l’idée dangereuse que la transition vers les énergies propres pourrait, comme par magie, permettre à 8 milliards de personnes de basculer dans une utopie miraculeuse sans carbone. Ils ont également discuté de ce qui pourrait advenir lorsque cet empire de fantasmes s’écroulera, à la manière de ce qui s’est passé en Argentine.

Voici la première partie de cet entretien, légèrement édité pour plus de clarté.


Porter Stansberry :
Bill, merci de m’avoir rejoint aujourd’hui. Pour ceux qui ne l’ont jamais rencontré, voici Bill Bonner. C’est mon premier mentor et le fondateur d’Agora Inc., un des piliers de la communauté des lettres d’information sur l’investissement dans le monde.

Bill Bonner :
Merci, Porter.

P.S. :
Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis Porter Stansberry, le fondateur de MarketWise, un des plus grands fournisseurs d’études et enquêtes financières indépendantes. J’ai commencé ma carrière en travaillant pour Bill, il y a près de 30 ans de cela.

B.B. :
Oui, je me souviens de notre rencontre en Floride. Tu conduisais une voiture dont il me semble que le pare-chocs était en train de tomber, ou un truc dans le genre.

P.S. :
C’est sûrement ce qu’il s’est passé. Je me souviens de notre rencontre et déjà à l’époque tu étais très pessimiste (« bearish »). Tu l’étais depuis environ 1974.

B.B. :
Je n’étais pas particulièrement pessimiste vis-à-vis de la Bourse. J’étais pessimiste vis-à-vis du monde en général. Je pense que nous allons dans la mauvaise direction depuis que le système monétaire a été changé en 1971. Cela fait donc un certain temps.

Où sont passés les gains de productivité ?

P.S. :
Je suis entièrement d’accord sur ce point. Lors de notre rencontre, nous étions en tout cas dans les années 1990, et j’étais alors davantage convaincu que les évolutions dans les domaines des télécommunications et des technologies auraient un impact positif, au moins à court terme. Et je pense que nous avons eu raison tous les deux, à des moments différents.

B.B. :
A différents moments. C’est un sujet dont j’aimerais discuter plus en longueur un jour, mais pas forcément aujourd’hui. Mais la façon dont nous avons appréhendé la technologie à la fin des années 1990 : elle changerait pour toujours le cours de nos existences. Je ne partageais pas ce point de vue, mais la plupart des gens pensaient que la technologie augmenterait notre productivité à un point tel que le capital deviendrait inutile.

Certains disaient que nous n’aurions plus besoin d’épargner car l’information était du capital. Et, grâce à internet, on pouvait se procurer toutes les informations que nous souhaitions. Cette idée était frauduleuse. Cela n’a pas fonctionné. Aujourd’hui, nous disposons de toutes les technologies possibles et imaginables. Nous sommes tous connectés à toutes les informations du monde… Et pourtant, les taux de croissance du PIB n’ont fait que diminuer ces dernières décennies.

P.S. : :
D’accord. OK. C’est un point intéressant. D’aucuns pensaient que l’information était du capital. C’était notre cas. Nous avons utilisé l’information de manière optimale pour réduire nos coûts opérationnels, pour augmenter considérablement la productivité de nos publications et pour accroître nos marges bénéficiaires de manière permanente.

B.B. :
Oui, c’était très important.

P.S. :
Pour certaines personnes, c’était donc très important…

B.B. :
Globalement, ça ne l’était pas.

P.S. :
Et je dirais que les différences entre ta réflexion et la mienne sur ce sujet sont très, très, très subtiles. Je pense que tu passes à côté d’un point important, ou du moins dont tu n’as pas parlé jusqu’à présent, à savoir que les gains de productivité ont été énormes entre le milieu des années 1990 et les années 2010. Si vous prenez l’exemple d’une station essence équipée de trois ou quatre pompes, auparavant il fallait quatre ou cinq personnes pour s’en occuper. Désormais, si on va dans une station essence équipée de 24 pompes et d’une énorme boutique, il y a deux employés.

B.B. :
Tout à fait.

P.S. :
La technologie a permis de réaliser des gains de productivité et d’améliorer la sécurité publique. Plus personne ne se promène avec de l’argent liquide car les gens ont des cartes bancaires. Les gens peuvent acheter des choses avec leur téléphone portable. Les technologies de communication ont rendu le monde plus sûr et plus efficient. Mais le problème est qu’alors même que la productivité a augmenté au cours des 25 dernières années, la masse monétaire et le crédit ont augmenté encore plus vite.

B.B. :
Oui, c’est vrai.

P.S. :
Par conséquent, si vous regardez les salaires réels après imposition, ils n’ont pas augmenté. De fait, ils ont baissé. C’est l’une des raisons qui expliquent l’appauvrissement de la classe moyenne. Leurs salaires n’ont pas augmenté aussi vite que les gains de productivité durant le boom de l’information.

B.B. :
Oui, c’est vrai.

P.S. :
En ce sens, je suis complètement d’accord avec Bill.

Argent dépensé et argent gaspillé

B.B. :
L’économie est une science désastreuse, comme nous le savons tous. Et la politique publique est encore plus désastreuse, car il est impossible de savoir ce qui se passe. Alors que le monde est de plus en plus connecté et que l’information circule de plus en plus rapidement, le taux de croissance du PIB ne cesse de reculer, ce qui semblait impossible. C’est comme s’il y avait une révolution industrielle mais que les gens s’appauvrissaient.

Cela n’a pas été le cas après la Révolution industrielle, mais cela s’est produit après la révolution des télécommunications. Il faut se demander à quel point cela est dû au fait que la révolution des communications en elle-même a été un flop, et à quel point cela est dû au fait que, parallèlement, les gouvernements sont devenus de plus en plus puissants, augmentant sans cesse leurs dépenses, au point d’effacer les gains qu’aurait dû offrir cette révolution de l’information.

P.S. :
Je suis d’accord avec ce dernier point. Totalement. Et nous avons pu le constater dans nos affaires. Nos entreprises et bon nombre d’autres ont prospéré grâce aux évolutions technologiques. Mais nos activités ont progressé moins rapidement que les hausses d’impôt.

B.B. :
Effectivement.

P.S. :
Elles ont progressé moins vite que l’inflation galopante et moins vite que la flambée de la violence financée par les gouvernements. Des guerres de grande ampleur que les gens semblent oublier.

B.B. :
Oui.

P.S. :
Mais combien d’argent avons-nous dépensé ces 20 dernières années en Afghanistan ? Et dans quel but ? Pour quel résultat ?

B.B. :
Personne ne le sait.

P.S. :
Personne ne le sait encore.

B.B. :
Exactement.

P.S. :
C’est marrant, car les gens ont unanimement condamné le président actuel lorsqu’il a décidé de retirer les troupes américaines d’Afghanistan, mais je n’avais entendu personne se plaindre quand nous y sommes allés.

B.B. :
C’est vrai. Je pense que les Etats-Unis ont poursuivi sur la voie du progrès jusqu’en 1999, jusqu’au passage à l’an 2000, qui a coïncidé avec la révolution informatique. Lors du passage à l’an 2000, les choses ont commencé à aller de mal en pis. Nous avons eu plusieurs présidents qui ont pris de très mauvaises décisions. Nous avons eu droit à la guerre contre le terrorisme…

P.S. :
« Mission accomplie ».

B.B. :
… Une « mission accomplie » et tout ce qui allait avec qui nous a coûté 8 000 Mds$. Puis il a fallu renflouer Wall Street. Ce fut une autre erreur qui nous a coûté 4000 Mds$, qui a aussi eu l’effet secondaire de saper notre système capitaliste, ce qui entraîne de très mauvaises conséquences. Puis il y a eu la pandémie de Covid…

P.S. :
Qui a fait passer les événements précédents pour de la roupie de sansonnet.

B.B. :
… Puis le gouvernement a lancé un nouveau plan de sauvetage de l’économie. En effet.

P.S. :
Chaque nouveau plan de sauvetage semble encore plus gros que le précédent. Je pense que le déclin des Etats-Unis a commencé avec le sauvetage du fonds spéculatif Long Term Capital Management (LTCM).

B.B. :
Oui. C’est un point de vue qui se défend.

P.S. :
Le sauvetage de LTCM nous a coûté à peu près 1 000 Mds$. 800 M$, je crois. Le plan de sauvetage de l’économie lancé après la crise des subprime nous a coûté 10 000 Mds$.

B.B. :
Oui.

P.S. :
Et combien de milliers de milliards nous a coûté le plan de sauvetage mis en place pendant la pandémie de Covid ?

B.B. :
Personne ne le sait. En effet.

P.S. :
Au niveau mondial.

B.B. :
Mais nous en sommes là.

P.S. :
Nous en sommes là.

B.B. :
Toutes ces énormes erreurs de politique publique ont abouti à des pertes considérables, à une contraction de la productivité, à un ralentissement de la croissance du PIB et à une accélération de la croissance de la dette. Et tout cela va mal finir.

A suivre…

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