L’Europe veut à nouveau redistribuer une richesse inexistante…
Les débats lors de l’élaboration de la future réforme du marché européen de l’électricité ont donné lieu à des échanges lunaires.
Suite à l’envolée des prix de l’énergie (gaz et électricité en tête) sur les marchés l’an passé, les énergéticiens ont engrangé des bénéfices record. Par voie de conséquence, les Etats ont perçu des prélèvements tout aussi exceptionnels, que ce soit par le jeu des mécanismes des prix garantis ou par la simple perception de l’impôt sur les sociétés.
Les recettes fiscales ont été si importantes qu’en France, les producteurs d’énergie renouvelables se sont paradoxalement retrouvés dans la situation de contributeurs nets au budget de l’Etat, à hauteur de plusieurs milliards d’euros (6,6 Mds€ estimés pour les budgets 2022 et 2023).
Il n’en fallait pas plus pour que nos dirigeants commencent à parler de « manne budgétaire ». Fidèles à leurs habitudes colbertistes, ils se sont engouffrés dans des débats houleux pour savoir comment la redistribuer. Pendant que les membres du Conseil discutaient pour déterminer quels acteurs économiques méritaient de recevoir cette cagnotte, pas un ne prenait le temps de réaliser que le prix de marché de l’électricité n’est qu’une écriture comptable qui ne représente pas une richesse exploitable par les agents économiques.
Une nouvelle fois, nos dirigeants ont confondu – ou fait mine de confondre – argent et richesse.
Le meilleur exemple est le nouveau mécanisme décidé, quelques jours plus tard, pour fixer le prix de l’électricité nucléaire française. Exit l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), qui avait conduit à l’arrivée d’énergéticiens fictifs encaissant les dividendes de la rente nucléaire… et bienvenue à la fixation étatique du juste prix, avec une hausse de 66% prévue par rapport au tarif 2023.
Alors que l’Agence Internationale de l’énergie a annoncé que les investissements dans la transition énergétique devaient au bas mot être doublés, l’Europe a manqué une occasion en or de dire la vérité aux citoyens : la transition énergétique coûtera cher et représentera une baisse de pouvoir d’achat à court terme.
Peu importe qu’elle soit considérée comme inéluctable pour des questions d’épuisement des ressources fossiles – voire souhaitable sur le plan écologique pour certains –, aucun mécanisme de taxation/subvention ne pourra jamais limiter le montant de la facture.
L’Europe s’invente une cagnotte
L’objectif de la réforme du marché de l’électricité européen était d’immuniser les consommateurs, particuliers comme entreprises, contre la hausse des prix de l’énergie – électricité en tête.
Du fait de la structuration du marché, le prix de l’électron avait bondi de 50 €/MWh avant l’invasion de l’Ukraine à plus de 1 000 €/MWh durant les périodes de grandes tensions. Or ce coût marginal ne reflétait absolument pas le coût moyen de production. A part quelques traders d’électricité qui n’avaient pas verrouillé le prix de leurs approvisionnements en amont et qui se sont retrouvés en faillite, l’écrasante majorité des producteurs a généré des bénéfices colossaux.
Si douloureuse qu’elle soit, la hausse des prix était pourtant un signal sain qui indiquait une situation de pénurie. En 2022, il n’y avait effectivement pas assez d’énergie et d’électricité pour répondre à l’intégralité de la demande, et la seule solution à court terme était qu’une partie des consommateurs s’efface. C’est exactement ce qui s’est passé, et l’industrie lourde de notre voisin allemande en a payé le prix fort.
A long terme, cependant, ce signal prix a eu pour effet vertueux de rentabiliser des projets de parcs éoliens et solaires qui, sans cela, auraient dû être abandonnés du fait de la hausse du coût de l’argent.
L’Europe, sous sa façade libérale, a vu dans cet épisode douloureux mais salutaire une raison de plus de recourir à l’interventionnisme. Elle a décidé de mettre en place un mécanisme de CFD (contrat sur une différence future), qui garantira que les prix facturés par les producteurs ne sortiront pas d’une bande déterminée à l’avance.
Avec les CFD, le prix de l’électricité évoluera dans une bande déterminée par les pouvoirs publics. Infographie : Conseil de l’Europe
La complexité du mécanisme n’est pas que de façade : son implémentation promet d’être un casse-tête nécessitant la création d’une chambre de compensation solvable et réactive.
Ces CFD auront également pour effet pervers de faire disparaître le signal prix qui incite les consommateurs à l’efficacité énergétique. Seul subsistera le « bon prix », fixé par les dirigeants, qui a pour objectifs inconciliables de « protéger les consommateurs », tout en permettant de financer les coûteux investissements dans la transition énergétique.
Les « garanties » de la réforme : dans le monde merveilleux du Conseil de l’Europe, tout le monde peut payer moins pour avoir plus
En tout état de cause, cette redistribution ne mettra pas un kWh supplémentaire sur le marché. Si un tel mécanisme avait été en place l’an passé, les consommateurs européens auraient été, sur le papier, immunisés contre la hausse des prix de l’énergie. Mais cela n’aurait rien changé au fait que l’offre ne pouvait répondre à la demande.
Ce n’est donc pas la solvabilité qui aurait effacé la demande, obligeant le tissu économique à augmenter son efficacité énergétique moyenne… mais les délestages, qui étaient – souvenez-vous – prévus par les énergéticiens au début de l’hiver.
La France remplace l’Arenh par une usine à gaz
La France a, naturellement, transcrit le projet de réforme du marché de l’électricité au cas particulier d’EDF.
Pour faire suite à l’Arenh, qui obligeait l’électricien national à vendre jusqu’à 20 TWh sur les marchés à prix cassé (43 €/MWh en 2023), l’Etat a prévu un mécanisme de contrat sur différence autour de 70 €/MWh.
Dans l’esprit du mécanisme décidé par l’Europe – et finalement peu différent du « bouclier tarifaire » français qui a coûté plus de 10 Mds€ par an, pour une efficacité contestée – les consommateurs payeront pour les consommateurs en période de pénurie… sans que cette redistribution purement monétaire ne conduise à la moindre production supplémentaire d’énergie utilisable.
Le seul effet vertueux de l’instauration des CFD « Made in France » est de prendre acte du fait que l’électricité nucléaire coûte plus cher que prévu. La maintenance du parc et la construction des futures centrales n’est pas finançable avec un coût moyen de 40 €/MWh. Il faudra payer près du double – et encore ce tarif moyen ne permettra-t-il probablement pas de financer la transition énergétique.
Les réformes du prix de l’électricité, tant en Europe qu’en France, sont une occasion manquée de réconcilier les acteurs économiques avec les vrais prix de l’énergie. En cachant aux citoyens-consommateurs la réalité du manque chronique d’énergie et le vrai prix de la transition énergétique, les dirigeants ne leur rendent pas service.
Dans ce sombre tableau, se trouve tout de même une lueur d’espoir. Outre ces mesures populistes, les pouvoirs publics ont ouvert la porte à la généralisation des contrats à terme pour les industriels. Ce mécanisme est tout à fait adapté pour financer les investissements dans la production d’électricité d’origine renouvelable, qui a besoin de visibilité tant sur les flux financiers que sur la consommation à venir.
Seuls des engagements réciproques entre consommateurs et producteurs, en toute transparence sur les coûts, permettront de faire sortir de terre les GW qui manquent tant au Vieux Continent. Et, curieusement, cette équation vertueuse ne fait pas intervenir la main lourde des Etats.