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Economie russe et contrat social : quand le pouvoir central s’impose (1/2)

Russie, économie, politique

Le contrat social qui a émergé à la chute de l’Union soviétique et qui cherchait à limiter le pouvoir étatique et bureaucratique a bien vite évolué, en défaveur des citoyens russes.

Le contrat social dans les autocraties et les régimes totalitaires est toujours caractérisé par le fait que le pouvoir étatique se place au sommet d’une structure pyramidale, avec à sa base les entreprises et la société civile, dont l’influence est toujours plus faible que celle de l’Etat. Cette forme d’organisation sociale est notamment caractéristique de la Russie, où la société et les entreprises sont subordonnées au pouvoir politique.

Certaines des raisons à cet état de fait sont évidentes, en particulier la distance historique du pouvoir ainsi que le faible niveau d’individualisme et de préférence temporelle, c’est-à-dire une aversion au changement et l’absence de volonté de prise de risques en raison d’anticipations pessimistes et d’un manque de confiance entre les membres du corps social.

Ces différents facteurs produisent, entre autres, un effet d’ornière qui est perpétué, à son tour, par le pouvoir autoritaire moderne, puisque cette situation est optimale pour maintenir l’équilibre du régime en place.

Les promesses de l’ère post-soviétique

La Russie a connu successivement plusieurs types de contrat social au cours de son d’histoire récente. Une première réinitialisation a débuté avec une série de réformes basées sur l’idée d’un contrat social dont l’objectif était d’accélérer les processus sociopolitiques et économiques afin de redynamiser l’économie. Elle promettait en contrepartie une plus grande loyauté vis-à-vis du pouvoir politique ainsi que le paiement rigoureux des impôts.

Ces réformes étaient, dans une certaine mesure, d’inspiration libérale et allaient dans la direction du développement d’un environnement plus favorable aux affaires et à l’initiative entrepreneuriale. Leur impact a sans aucun doute été positif.

Un tel contrat social pourrait être qualifié de contrat consumériste et son modèle est le suivant. L’État annonce qu’il va « restaurer l’ordre » ou, en d’autres termes, établir des restrictions et un contrôle plus étroit dans la sphère politique. Mais, en parallèle, il crée des institutions judiciaires, d’arbitrage et un environnement réglementaire favorables à l’initiative individuelle (principalement entrepreneuriale) et à la liberté économique, encourageant ainsi l’augmentation des revenus des citoyens. Tout cela en échange de la loyauté envers un pouvoir désormais plus fort ainsi que du paiement régulier et honnête des impôts.

L’idée qu’un pouvoir central fort était nécessaire pouvait paraître logique, étant donné que le processus de réformes et de rationalisation durant la période de transition des années 1990 en Russie exigeait que l’Etat fasse preuve d’une souplesse éthique et idéologique réduite. Le durcissement politique de l’époque visait principalement certaines élites appartenant au système, mais opposées au changement, ainsi que les élites bureaucratiques (comme le montre, par exemple, l’abolition de l’élection des gouverneurs et d’autres mesures visant à renforcer la centralisation du pouvoir).

Dans le même temps, les initiatives citoyennes, quelle que soit leur nature, n’étaient généralement pas réprimées et, dans certains cas (tels que les activités entrepreneuriales, associatives, la consommation, le développement de l’internet et de l’accès à l’information en général), elles étaient même systématiquement et activement encouragées. Globalement, on peut dire que le contrat social était équilibré et que l’échange était équitable : la loyauté en échange de la sécurité et de l’ouverture sociale.

Le pouvoir s’impose

Progressivement, au fur et à mesure que, d’une part, les conditions économiques se sont détériorées à l’étranger et que, d’autre part, les nouvelles élites affiliées au pouvoir ont développé un désir croissant de s’octroyer de nouveaux actifs par le biais du budget national, ce contrat a subi des changements.

Ces changements sont venus principalement du pouvoir en place, un pouvoir qui souhaitait davantage de loyauté pendant que les avantages de ce contrat pour la société s’amenuisaient, un pouvoir qui voyait de nouvelles opportunités de se renforcer pendant que les opportunités offertes aux citoyens ne faisaient que se réduire.

L’un des nouveaux et principaux avantages pour la société de ce contrat social réactualisé était de nature métaphysique. Il s’agissait d’un sentiment de grandeur nationale accompagné d’un récit patriotique, le récit d’un grand pays se relevant de sa chute, la renaissance d’un empire, la tromperie et le consumérisme des démocraties occidentales, l’émergence logique dans de contexte du concept d’ennemi extérieur, etc.

De toute évidence, ce produit du nouveau contrat social était un moyen pour le pouvoir de continuer de protéger au mieux ses propres intérêts tout en limitant les conséquences potentielles en termes de mécontentement social et de menace révolutionnaire.

En fait, au lieu d’accroître la prospérité et de promouvoir une amélioration des conditions de vie de la population, le pouvoir a offert à la société une idéologie pour des raisons à la fois endogènes (le désir de consolider sa position et de continuer de contrôler le budget national qui constitue la source de son enrichissement) et exogènes (les chocs économiques externes).

Deux leviers stratégiques

Pour parvenir à faire accepter à la société un tel changement dans les termes et avantages du contrat social, les autorités ont utilisé deux leviers stratégiques : 1) la poursuite d’une politique monétaire et fiscale conservatrice afin d’éviter que l’inflation puisse devenir le principal facteur économique déclencheur d’une vague de mécontentement social 2) la manipulation de l’information à différents niveaux afin de favoriser la prolifération d’une nouvelle idéologie impérialiste et isolationniste.

Pour cela, le pouvoir a eu recours à un contrôle total des médias, une propagande flirtant avec les limites du bon sens, mais avec un message national fort, une répression croissante ainsi que le rejet et la persécution pure et simple de l’opposition. La société a ainsi dans son ensemble accepté les modifications apportées au contrat social précédent.

En 2014, toujours sous l’influence de contraintes externes et internes, l’Etat, percevant que le mécontentement social croissant constituait un facteur de risque majeur, a décidé de renouveler le contrat social.

Les conditions externes étaient caractérisées par une détérioration continue de la situation économique à l’étranger. Sur le plan intérieur, le pays traversait une période de stagnation économique et de baisse des revenus en raison de la détérioration du climat des affaires et d’un environnement de marché moins concurrentiel. De surcroit, les institutions bureaucratiques se sont renforcées, l’Etat a procédé à des nationalisations, la corruption s’est développée et la politique de répression s’est intensifiée contre la société civile, et non contre les élites.

Ensuite, la Russie a annexé la Crimée, choisissant l’Ukraine comme épouvantail menaçant le monde russe. Elle a également intensifié l’agressivité de sa rhétorique isolationniste à l’égard des démocraties occidentales et désigné les Etats-Unis comme ennemi dominant. Elle a enfin fait endosser à l’opposition le statut d’« ennemis du peuple », quelle que soit la forme sous laquelle cette opposition se présente, qu’il s’agisse d’un mouvement politique organisé, des médias ou de la simple opinion d’un citoyen. La politique de répression s’est intensifiée. La société a donc de nouveau accepté le renouvellement du contrat social.

Nous verrons demain où cela l’a menée…


Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici

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