Sommes-nous en train d’assister à un épisode « hyper-Trumpien », ou un match de catch sino-américain qui vire au chaos ?
Nous avons organisé une longue – et intense – webconférence réunissant tous les experts des Publications Agora ce vendredi 11 avril, afin de confronter nos expériences et nos approches.
Face au chaos « Trumpien », ni les plus jeunes, ni les plus anciens n’ont pu apporter de réponses basées sur les données techniques, ni sous l’angle fondamental : aucun scénario similaire n’a jamais été observé depuis… février 1971, et la création du Nasdaq.
En effet, jamais cet indice n’avait enregistré une hausse de +7,3 % – sa meilleure semaine depuis novembre 2022 –, ni même gagné 0,73 % lors d’une semaine marquée par une envolée de +50 à +55 points de base du rendement du 10 ans (au-delà de 4,50 %) ou du 30 ans (venu flirter avec les 5 %).
Pour faire court, il n’y aucun exemple d’une hausse des indices US une semaine où les taux s’envolent par surprise de plus d’un quart de point (et à plus forte raison de deux fois cet écart). Et pourtant, le Dow grimpe de +5 %, le S&P 500 de +5,7 %, tandis que le VIX se dégonfle de -20 %, malgré une volatilité intraday restée étourdissante d’un vendredi à l’autre.
Mais il y a encore plus inimaginable, et que vous ayez 10, 40 ou même 70 ans d’expérience, comme Warren Buffett, cela ne change rien : tout le monde se retrouve à égalité face à la perplexité qu’inspire un dollar qui chute de -5 % en une semaine, alors même que sa rémunération – comme nous l’avons mentionné – explose de +50 points de base en seulement cinq séances.
Une chute de -5 % du Dollar Index, cela ne s’était plus vu depuis octobre 1998 – et encore, c’était face au seul yen. Quant à une hausse de 50 points de base sur le 10 ans en une semaine, c’est tout simplement du jamais vu depuis 1981 (pas d’autre occurrence, même lors du krach obligataire de janvier 1994).
Mais que le dollar perde 5 % en une semaine comme s’il n’était plus l’actif refuge, ou que les T-Bonds s’effondrent comme si la dettes US était soudain perçue comme « risquée », cela s’est toujours soldé par 10 ou 15 % de chute de Wall Street dans la foulée… et en 1987, une brusque tension des taux – suite à un déficit commercial US excessif – avait débouché sur le krach demeuré légendaire du 19 octobre (-22,6 %).
J’ai donc rappelé que ces « faits de marché » devenus historiques (qu’ils aient affecté les taux ou le FOREX) ont systématiquement débouché sur des vagues de repli impulsives de -15 % sur le court terme (de trois séances à trois semaines) puis de -35 à -50 % sur six à neuf trimestres.
Et ce, quelle que soit l’ampleur de la correction ayant précédé ces phases de volatilité exceptionnelles. Autrement dit, si les indices US ont déjà perdu -15 % depuis le 19 ou le 20 février (et jusqu’à -22/-25 % en clôture le 7 avril), une correction d’ampleur équivalente apparaît bel et bien prévisible à la lumière des « standards historiques ».
Et c’est là que tous les experts d’Agora sont tombés d’accord : rien dans le scénario de cette deuxième semaine d’avril n’a de « standard », et il n’existe aucun précédent historique comparable.
L’évolution du marché devient donc imprévisible… aussi imprévisible que celui qui a contribué à créer cette situation chaotique.
Autrement dit, nous vivons une séquence purement « trumpienne », ou même « hyper-trumpienne » (son premier mandat était « calme » par rapport à l’entame du second !).
Aucun autre président des Etats-Unis n’a été à l’origine d’un tel enchaînement de rumeurs et de renversements de vapeur aux moments les plus inattendus (lundi, plus mercredi, puis vendredi), et sans logique stratégique.
Cela donne : « Je vais punir la Chine, geler les échanges. » Puis : « Je vais suspendre l’application des tarifs. » Ensuite : « J’exempterai certains produits. » Pour finir par : « Non, ils auront droit à 20 %, et j’augmenterai encore la surtaxe dans un mois. »
C’est donc bien Donald Trump qui transforme la saga d’un « tournant historique », qu’il a lui-même rebaptisé « moment de la libération », en un épisode de South Park – ou pour ceux qui apprécient les maîtres de l’absurde et des coups de théâtre à répétition – en comédie burlesque des Marx Brothers.
Peut-être que la référence ultime de Trump en matière de rivalité géostratégique, c’est le déroulement d’un tournoi de catch : 3/4 de logorrhée (insultes, provocations, menaces d’anéantissement, promesses de rendre infirmes les adversaires), 1/4 de combats parfaitement scénarisés, exécutés avec une rigueur professionnelle afin d’éviter les blessures… ce qui ferait entrer dans la boucle les assureurs, avec de lourdes conséquences financières pour les organisateurs.
Le grand n’importe quoi avant de monter du le ring, c’est « open bar »… mais une fois entre les cordes, on s’en tient rigoureusement au script : les athlètes se concentrent sur leur sécurité, tout en faisant des tonnes côté mimiques et saltos afin d’épater le public.
Mais dans « la vraie vie », c’est différent !
Pensez-vous que Trump s’est entendu avec Xi Jinping pour chauffer la salle avec une surenchère de menaces délirantes avant de débuter les vraies négociations ?
Peut-on imaginer que les deux dirigeants se sont concertés pour cet épisode de « bruit et de fureur » tout en s’engageant à ne pas risquer de blessures graves, afin que chacun reparte sur ses deux jambes, sous les vivats de leurs supporters respectifs, ravis du spectacle qui leur a été offert ?
En réalité, avec des taux proches de 4,50 % ce lundi sur le 10 ans américain, et un euro au-delà de 1,1400 $, les marchés nous crient que la parole de Donald Trump s’est fortement dévalorisée.
Son « plan génial » pour contraindre Jerome Powell à baisser les taux et Xi Jinping à réinventer les règles du commerce avec les Etats-Unis tourne au fiasco : il n’a obtenu ni l’un, ni l’autre. Quant aux négociations avec Poutine, qui semblaient progresser rapidement à la mi-mars, elles sont désormais au point mort.
Les indices boursiers européens se gargarisent du moratoire sur les « tarifs » annoncé samedi… mais au prochain tweet, ils pourraient déchanter.
Et les premiers trimestriels commencent à tomber : on peut faire le pari que les entreprises américaines vont faire part de leur inquiétude face au manque de visibilité économique, et de leur anxiété face à la volatilité des taux (refinancement compromis pour les plus fragiles), puis des changes (chute des commandes, pertes de parts de marché).
Au niveau actuel, Wall Street est encore loin d’avoir « pricé » une récession… sans parler d’un match de catch sino-américain qui pourrait bien dégénérer en bagarre générale sur le ring commercial, avec à la clé son lot de coups bas : ventes massives de T-Bonds américains, embargos sur les terres rares et les fameux « aimants permanents » dont l’industrie de pointe américaine a désespérément besoin.