Est-ce qu’il existe un « arbre à pognon » permettant de créer de l’argent à partir de rien… et de s’en sortir sans conséquences ?
J’ai la conviction que nous avons choisi une voie en 2009, et que nous n’en sortirons plus. Cette voie sans retour, c’est la production de dettes comme moyen illusoire de dépasser les contradictions du système manifestée par le krach de 2008.
Non ! Je vais prendre la question selon un autre point de vue, je vais tirer sur un autre fil, celui de la monnaie et de la dette.
Autrement dit, je vais poser la question de l’austérité et celle, complémentaire, des nouvelles théories monétaires qui professent que puisque les taux d’intérêt sont nuls, l’argent est là, l’arbre magique existe.
Vivre selon ses moyens ?
La politique d’austérité est soutenue par les économistes traditionnels ; elle a été suivie par les politiciens à la suite de la Grande récession. C’est la politique d’Emmanuel Macron, c’est la politique considérée comme incontournable par les Allemands. Elle se formule de façon ménagère : il faut vivre selon ses moyens.
L’austérité se traduit par la réduction des dépenses publiques. Elle a été adoptée comme la seule politique possible pour réduire le niveau de la dette publique.
La dette publique a quant à elle été alimentée par les emprunts nécessaires pour renflouer les banques et par les coûts de la récession qui a suivi. Ceci a entraîné un effondrement des recettes fiscales et une augmentation des prestations d’aide sociale et de chômage.
Les propos de la Première ministre britannique Theresa May lors des élections de 2017 sont typiques de la justification de l’austérité. Elle a affirmé que « l’argent ne pousse pas sur les arbres et ne peut pas être créé comme par magie ».
Macron pourrait très bien avoir prononcé cette phrase, François Fillon aussi.
Les gauches mondiales sont sans programme, sans ligne directrice, tant leurs incompétences ont été démontrées au fil des années. Elles ont donc décidé de s’attaquer – pour justifier leurs programmes dépensiers attrape-suffrages – à l’austérité et par conséquent à l’affirmation de Theresa May.
Voilà ce que résume l’un des penseurs emblématiques de la gauche dite moderne, je ne le nomme pas, par charité :
« Ce qui est vraiment extraordinaire dans la phrase de May, c’est que ce n’est pas vrai. Il y a beaucoup d’arbres magiques donnant de l’argent, partout, dans toute économie développée. On les appelle des ‘banques’.
Comme la monnaie moderne n’est rien d’autre que du crédit, les banques peuvent créer de la monnaie à partir de rien, simplement en contractant/produisant des prêts. La quasi-totalité de la monnaie qui circule en ce moment [dans les pays développés] est créée de la sorte par une banque. »
Selon cette théorie, la monnaie peut être créée à partir de rien et les économies capitalistes pourraient être ravivées par des dépenses publiques financées par le système bancaire avec des injections de trésorerie.
Vous reconnaissez en substance tous les arguments de gauche et de centre gauche : on peut relancer par les dépenses publiques à la faveur des taux quasi-nuls, il suffit d’utiliser le système bancaire/banque centrale et de récolter les fruits qui poussent sur l’arbre à pognon.
Surtout ne changeons rien !
Nos penseurs dits de gauche n’ont pas envie de changer le système qui dysfonctionne ; ils laissent inchangé tout ce qui ne va pas ! Ils ont envie de prendre la place de ceux qui sont aux affaires, c’est le « ôte-toi de là que je m’y mette ».
Ils sont l’autre face de la médaille que constitue le système – ils veulent fondamentalement prolonger, reproduire le système. Soit dit en passant c‘était le véritable objectif du grand conservateur que fut Keynes : faire durer malgré les contradictions fatales.
Pour les gauches, le fait de ne pas voir que la solution est à portée de main est une erreur fondamentale de l’économie traditionnelle.
Ont-elles raison, cela dit ? Bien sûr que non !
La réponse est simple et claire : il est tout à fait faux de dire que l’argent est « créé à partir de rien ». Lorsque les banques créent une nouvelle dette et accordent un nouveau crédit, elles doivent également créer en face, en contrepartie, un passif égal et opposé, sous la forme d’un nouveau dépôt à vue.
Ce dépôt à vue, comme tous les autres dépôts de clients, est inclus dans les agrégats de la monnaie au sens large établis par les banques centrales. En ce sens, par conséquent, lorsque les banques prêtent, elles créent de la monnaie.
Cependant, cet argent n’a en aucun cas été créé à partir de rien. Il est entièrement soutenu par un nouvel actif : un prêt. Donc l’arbre à pognon est un pari sur la contrepartie, c’est-à-dire sur le sort du prêt – un pari sur la question de savoir s’il sera honoré, s’il ne va pas être détruit. On retombe bien sur la question centrale dans les crises : la solvabilité.
2+2=5 ??
En théorie, une banque centrale pourrait littéralement « produire de l’argent à partir de rien » sans acheter d’actifs ni prêter à des banques. C’est le fameux helicopter money de Milton Friedman.
Mais la banque centrale deviendrait techniquement insolvable. Pour qu’elle puisse survivre, il faudrait qu’elle soit soutenue par le gouvernement. Cela implique que ce gouvernement, qui n’a rien et ne produit rien, devrait être en mesure d’imposer/taxer la population. S’il est en mesure de le faire, en effet, on peut créer de l’argent à partir de rien, mais ce n’est qu’une illusion. Rien ne se crée, rien ne se perd, deux plus deux ne feront jamais cinq.
Allons plus loin.
La capacité du gouvernement à taxer la population dépend de sa crédibilité et de la capacité de production de l’économie. Ainsi, la confiance dans l’argent est en réalité une confiance dans le gouvernement qui le garantit. Cela nécessite à son tour une confiance dans la capacité de production future de l’économie.
Comme la capacité de production de toute économie découle en définitive du travail des hommes, nous pourrions donc affirmer que la confiance en l’argent n’est rien d’autre que la foi en les hommes, à la fois en ceux qui sont sur la terre et ceux qui l’habiteront à l’avenir.
« L’argent magique » est composé de personnes et non de banques.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]