La Chronique Agora

La pire crise financière à venir : celle des actifs libellés en dollar (2/3)

crise financière

Au-delà de la dédollarisation, un autre facteur de fragilisation pèse sur les actifs financiers américains : la montée d’une prime de risque politique durablement négative.  

Comme nous l’avons vu dans notre précédent article, malgré la solidité historique du dollar, l’inévitable dédollarisation portée par les BRICS et l’internationalisation progressive du yuan pourraient amorcer une réallocation durable des capitaux au détriment des actifs américains. Ce mouvement serait le prélude à une crise financière, aggravée par une prime de risque politique croissante.  

Cette prime de risque va s’installer sous l’effet de deux évolutions majeures, toutes deux très négatives, dans un contexte d’environnement économique dégradé et de risques d’affaiblissement structurel de l’économie américaine. 

Première évolution négative : l’économie du commandement et du contrôle

Sous l’impulsion de Donald Trump, les Etats-Unis s’orientent vers un modèle où les autorités politiques s’immiscent, directement ou indirectement, de plus en plus fréquemment dans la vie économique, usant comme leitmotiv du chantage et de la menace. Bref, une logique que l’on retrouve dans les pays les moins libéraux.

Ce qui est vrai à l’intérieur de l’espace économique américain l’est encore davantage à l’échelle mondiale, comme nous l’avons vu – et le verrons encore – avec la guerre commerciale.

Pas un jour ne passe sans qu’on puisse citer un exemple d’intervention politique dans l’économie, un éloignement croissant de l’économie du « gagnant-gagnant » chère à Bill Bonner. L’un des cas les plus emblématiques demeure les assauts répétés, aussi indécents qu’absurdes, de Trump contre la Fed et son président. La perte d’indépendance de la banque centrale constitue un risque majeur d’autant plus inquiétant que les marchés semblent l’ignorer ou le sous-estimer. 

Une Fed sous influence politique signifie certes des baisses violentes des taux courts sous pression de l’exécutif. Mais le revers de la médaille est redoutable : une pentification accrue de la courbe des taux liée à la remise en cause de la crédibilité anti-inflationniste. Cela se traduirait par des ventes de Treasuries de long terme par les investisseurs étrangers (et donc par une hausse des taux longs), autrement dit une fuite devant le dollar et une accélération de sa chute. 

Pour un pays aussi endetté que les Etats-Unis, cette pentification aurait une conséquence immédiate : le financement croissant de la dette sur la partie courte de la courbe des taux, car moins coûteux, avec un rôle grandissant de la Fed dans la détention de cette dette à court terme rejetée par les investisseurs non-résidents. A l’inverse, le financement obligataire de long terme deviendrait marginal, car trop onéreux. Le danger, c’est qu’une Fed inféodée au pouvoir politique se retrouverait dans l’incapacité de remonter un jour ses Fed Funds en cas de surchauffe inflationniste. La charge d’un endettement indexé de plus en plus massivement sur les taux courts deviendrait insoutenable au moindre resserrement monétaire. La comparaison est certes osée, puisque l’on parle ici du Trésor public de la première puissance mondiale, mais cette mécanique rappellerait le risque de gap de liquidité d’une banque mal gérée : refinancer à très court terme des actifs de long terme, au prix d’un mur de dettes permanent. 

Seconde évolution négative : la déliquescence de la gouvernance

La prime de risque politique ne se résume pas à la perte de crédibilité d’institutions ; elle traduit aussi la dégradation de la gouvernance. On observe au sein de l’exécutif des pratiques systématiques propres aux régimes autoritaires, qui n’apparaissent dans les démocraties qu’à titre exceptionnel : triomphe de la courtisanerie sur la compétence, nomination de responsables ressemblant à des apparatchiks de parti unique, dont la principale qualité reste la soumission au chef suprême. 

Un exemple récent illustre ce glissement : le renvoi, début août, de la directrice du Bureau of Labor Statistics (BLS), l’agence chargée de collecter et de publier les données économiques. Le motif ? Donald Trump n’a pas apprécié les révisions apportées aux statistiques de l’emploi (non farm payrolls) de mai et juin, qui montraient 258 000 créations de postes de moins qu’initialement rapporté. Comme si une révision statistique relevait d’un acte politique. 

Un tel climat est extrêmement dangereux : si la crédibilité des statistiques est compromise, l’aide à la décision économique et financière devient encore plus incertaine. Et si la politisation des chiffres venait à se généraliser, les Etats-Unis rejoindraient les pratiques qui ont marqué les pays du bloc soviétique durant la seconde moitié du XXᵉ siècle. 

Nous verrons dans notre prochain article que la combinaison de dédollarisation, de déficits jumeaux et de stagflation pourrait déclencher une crise systémique inédite, frappant directement les bons du Trésor américains et menaçant l’ensemble de l’architecture financière mondiale. 

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