Ce n’est pas demain la veille qu’il y aura des signes de reprise. Et ni la politique monétaire ni la politique budgétaire ne changeront la situation.
Voici la bonne nouvelle : les marchés ont rebondi cette semaine, alors qu’ils avaient rechuté la précédente.
Bien sûr, le Dow Jones et le S&P sont toujours plus bas qu’au début de la semaine dernière. Et le S&P est entré dans un cycle baissier, ce qui est de mauvais augure pour l’économie.
Depuis 1970, à chaque fois que le marché chute de 18% ou plus sur une période de quatre mois, l’économie tombe en récession. C’est exactement ce que nous observons.
Mais malgré la situation, j’ai entendu une journaliste économique de renom interroger son invité sur les signaux de reprise de l’économie (« green shoots » en anglais).
J’ai failli tomber de ma chaise en éclatant de rire. Ces gens-là n’apprennent jamais.
L’expression « green shoots » était utilisée à outrance par les représentants de la Maison-Blanche et par les journalistes en 2009 pour décrire le redressement de l’économie américaine après la crise financière mondiale de 2008.
Le problème est qu’il n’y a pas eu de signaux de reprise, mais uniquement d’autres problèmes.
Faux espoirs, faux rebonds
L’économie s’est redressée mais ce fut la reprise la plus lente de l’histoire des Etats-Unis. La théorie des green shoots ayant été discréditée, le secrétaire du Trésor d’alors, Tim Geithner, avait promis un « été placé sous le signe de la reprise » en 2010.
Il n’a pas eu lieu non plus.
La reprise s’est poursuivie, mais il a fallu des années pour que les marchés se rétablissent à leur plus haut niveau, à partir de 2013, et encore plus longtemps pour que le taux de chômage se replie à un niveau proche de ce qu’on pourrait qualifier d’une situation de plein emploi.
Au lendemain de la pandémie de coronavirus qui s’est abattue sur le monde en 2020 et du krach boursier qu’elle avait engendré, les mêmes observateurs y allaient de leur sempiternelle rengaine.
La Maison-Blanche parlait de « rebond de la demande » au moment où l’économie redémarrait et où les consommateurs se précipitaient dans les magasins et dans les restaurants pour dépenser l’argent qu’ils n’avaient pas pu dépenser durant les confinements.
Mais la théorie du « rebond de la demande » s’est révélée être un mirage similaire à celui des green shoots. Désormais, avec la poussée d’inflation et les ruptures d’approvisionnement, nous sommes à deux doigts de la récession, aux Etats-Unis. Il se pourrait même nous soyons déjà en récession.
La politique monétaire ne nous tirera pas d’affaire car la Fed est à court de munitions, malgré les récentes hausses de taux (et celle qui aura lieu fin juillet).
La vitesse de circulation de la monnaie diminue depuis 20 ans
Dans le même temps, la vélocité de la monnaie, c’est-à-dire la vitesse à laquelle l’argent circule dans l’économie, s’effondre depuis 20 ans. Du pic de 2,2 atteint en 1997 (chaque dollar contribuait à créer 2,20 $ de PIB nominal), elle s’est repliée à 2,0 en 2006 (juste avant la grande crise financière) puis s’est effondrée à 1,7 mi-2009, au plus fort de la crise.
Le krach boursier n’a pas mis fin au krach de la vélocité de la monnaie. Fin 2017, elle se repliait à 1,43, malgré les injections de liquidité et la politique de taux nuls de la Fed (2008-2015). Début 2020, juste avant la pandémie, elle reculait à 1,37. Quelques mois plus tard, elle atteignait un nouveau point bas, à 1,1.
Il y a fort à parier que cette tendance à la baisse se poursuivra avec la récession. Le recul de la vélocité de la monnaie va de pair avec un ralentissement de l’économie. La planche à billets n’y change rien : 7 000 Mds$ multipliés par zéro = zéro. Il n’y a pas d’économie sans circulation de la monnaie.
Et, soit dit en passant, depuis deux mois, la monnaie ne circule plus.
Le fait est que la politique monétaire ne peut quasiment rien faire pour stimuler l’économie, sauf si la vitesse de circulation de la monnaie augmente. Et il s’agit d’une perspective peu probable à l’heure actuelle.
Mais qu’en est-il de la politique budgétaire ? Peut-elle aider l’économie à sortir de la dépression ? Regardons ça de plus près.
Saturée de dette
Les deux dernières années ont été marquées par des dépenses budgétaires considérables. La dette publique a plus augmenté au cours des deux dernières années que durant l’ensemble des mandats de tous les présidents américains de George Washington à Bill Clinton.
Le ratio dette/PIB avoisine désormais les 125%. C’est le troisième ratio le plus élevé de l’histoire des Etats-Unis et cela place les Etats-Unis aux côtés des pays ultra endettés comme le Japon, la Grèce, l’Italie et le Liban.
L’idée selon laquelle les dépenses budgétaires peuvent stimuler une économie mal en point remonte à John Maynard Keynes et son ouvrage Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, publié en 1936.
L’idée de Keynes est assez simple. Il affirme que chaque dollar de dépense publique produit plus d’un dollar de croissance. Lorsque le gouvernement dépense (ou distribue) de l’argent, le bénéficiaire le dépense pour acheter des biens ou des services. Ces fabricants ou prestataires de service, à leur tour, paient leurs grossistes et leurs fournisseurs.
Cela augmente la vitesse de circulation de la monnaie.
Selon la conjoncture économique, il serait possible de créer 1,30 $ de PIB nominal pour chaque dollar de dépense budgétaire. Il s’agit du fameux effet multiplicateur keynésien. Dans une certaine mesure, le déficit se comblerait de lui-même grâce à l’augmentation de la production et des recettes fiscales.
Mais il y a un problème… De nombreuses études montrent que l’effet multiplicateur keynésien n’existe pas lorsque les niveaux d’endettement sont trop élevés.
Plus de dollars, moins de croissance
En fait, les Etats-Unis et le monde se rapprochent de plus en plus de ce que les économistes Carmen Reinhart et Ken Rogoff décrivent comme une situation indéterminée, mais réelle, où l’accumulation incessante de dette déclenche la révulsion des créanciers, obligeant les pays endettés à endurer des cures d’austérité, à se déclarer en situation de défaut de paiement ou à emprunter à des taux d’usure.
Les travaux de Reinhart et Rogoff montrent qu’un ratio dette/PIB égal ou supérieur à 90% n’est plus simplement une politique de relance par la dette. Il s’agit de ce que les physiciens appellent un seuil critique.
Le premier effet est que l’effet multiplicateur keynésien devient inférieur à 1. Cela signifie que chaque dollar de dette et de dépense produit moins d’un dollar de croissance. Les créanciers deviennent anxieux, mais continuent à acheter de la dette, dans l’espoir vain que les dirigeants politiques inverseront le cours des choses ou qu’une accélération de croissance survienne pour abaisser le ratio dette/PIB.
Cela n’arrive jamais. La société est accroc à la dette et l’addiction consume les accrocs.
La dette publique américaine s’élève à 30 500 Mds$. Ce ne serait pas un problème si le PIB s’élevait à 50 000 Mds$.
Ce n’est pas le cas. Le PIB américain s’élève à 21 000 Mds$, ce qui signifie que la dette est supérieure au PIB. Et l’économie ralentit.
L’issue qui nous attend est un effondrement rapide de la confiance envers la dette américaine et le dollar. Cela se traduira par une hausse des taux d’intérêt pour pouvoir attirer les investisseurs en dollars et continuer à financer les déficits.
A la japonaise
Bien sûr, la hausse des taux d’intérêt engendre un creusement des déficits, ce qui rend la dette encore plus insoutenable. Ou alors, la Fed monétise la dette, ce qui éroderait encore plus la confiance des investisseurs envers les Etats-Unis et le dollar.
Ce faisant, la Fed condamnerait l’économie américaine à 20 ans de faible croissance, d’austérité, de répression financière (lorsque les taux d’intérêt sont inférieurs au taux d’inflation pour réduire progressivement la valeur de la dette) et à un creusement des inégalités de richesse.
Les vingt prochaines années de croissance du PIB américain ressembleraient au 20 dernières années de croissance du PIB japonais. Pas un effondrement, mais une stagnation lente et durable. C’est la réalité économique à laquelle nous sommes confrontés.
Et ni la politique monétaire ni la politique budgétaire ne changeront la situation. Ce n’est pas demain la veille qu’il y aura des signes de reprise.