La Chronique Agora

Comme un serin dans une mine de charbon

▪ Le feuilleton baissier à Dubaï s’est poursuivi hier avec un nouveau plongeon de 6,4% de l’indice DFM. Cela porte à -27% la chute de cette place boursière depuis l’annonce des difficultés financières de l’Emirat le 25 novembre.

L’un des géants emblématiques des programmes immobiliers pharaoniques de Dubaï, le groupe Emaar, s’est de nouveau effondré de 9,8%, soit autant que la veille après un repli maximum de 10% lundi. Dubai World cherche à négocier un report d’échéance de six mois pour le remboursement de la dette de sa filiale Nakheel, qui a essuyé des pertes supérieures à 3,6 milliards de dollars au cours du premier semestre 2009.

Le coût des CDS (assurance contre une restructuration ou un défaut de la dette de Dubaï) a effectué un nouveau bond de 50 points de base, à 592 points. Le CDS « DP World », la filiale de Dubai World, a grimpé quant à lui de 45 points à 636 : nous supposons que les vendeurs de la prime d’assurance commencent à faire leurs comptes… et vous devinez où nous voulons en venir !

AIG ou les monoliners avaient garanti le risque de défaut sur les subprime en estimant que le danger était quasi inexistant vu la hausse permanente des prix de l’immobilier depuis 2003. De la même manière, les assureurs-crédit de l’Emirat de Dubaï ont pu être tentés de considérer que le scénario actuel était hautement improbable… voire inenvisageable avec la garantie implicite apportée par les familles princières qui se retranchent aujourd’hui derrière le statut privé des entreprises acculées au défaut de paiement.

Qui écope de la patate chaude ? Qui paiera les CDS ? En cas de provisions insuffisantes (et nous parlons d’un encours de dette de 100 milliards de dollars, ce n’est pas de la menue monnaie), n’y a-t-il pas un risque d’assister à la faillite de discrètes structures financières établies dans des paradis fiscaux ? Elles plomberaient à leur tour les comptes de banques de premier plan en Occident et en Asie.

La Corée nous apparaît très exposée à tous les niveaux — à commencer par les groupes de BTP qui opèrent à Dubaï. Dans la mesure où ils ne sont plus payés, ils pourraient se tourner vers leurs banquiers pour se maintenir la tête hors de l’eau.

▪ Plus les jours passent, plus nous avons le sentiment de revivre le syndrome New Century Financial… avec les mêmes réflexes de déni du réel de la part des marchés (voir notre Chronique de mercredi).

L’affaire Dubai World, c’est peut-être le « serin dans une mine de charbon » : rappelons que cet oiseau était le premier à tomber inanimé au fond de sa cage quand une poche de grisou se répandait dans une galerie. Les bulles immobilières sont peut-être sur le point d’exploser à leur tour dans la plupart des pays émergents, et pour les mêmes causes qu’aux Etats-Unis en 2007.

Nous retrouvons les mêmes excès de crédit : la majorité des plus récents emprunteurs asiatiques sont en réalité insolvables selon les standards qui sont désormais appliqués en Occident depuis la crise. Nous nous trouvons également face au même aveuglement de la part des Banques centrales, qui optent résolument pour la fuite en avant.

La Chine n’a rien dit d’autre en début de semaine en expliquant que l’immobilier devait continuer de servir de locomotive à la croissance en 2010. Les banques sont incitées à prêter davantage, tout en surveillant attentivement le niveau de leurs fonds propres — il leur est conseillé de les augmenter… oui, mais comment ?

Quoi qu’elles fassent, vous pouvez être à peu près certain qu’aucune d’entre elles ne serait plus en mesure de respecter ses ratios de solvabilité si les prix de l’immobilier s’effondraient soudain de 10% à Pékin ou Shanghai.

▪ L’autre pays de la bulle immobilière, c’est l’Espagne. Standard & Poors annonçait mercredi midi la mise sous surveillance négative de la note de la dette espagnole long terme.

L’agence souligne que « l’Espagne traverse une phase de détérioration de ses finances publiques plus prononcée et plus longue que prévue, assortie d’une période de faiblesse économique plus durable que celle de pays comparables ». La dette publique espagnole devrait atteindre 67% du PIB l’an prochain et progresser encore fortement en 2011.

Si le gouvernement de Jose Luis Zapatero adopte des mesures d’austérité budgétaires — et d’incontournables hausses d’impôts — alors que le chômage dépasse actuellement les 20%, c’est un scénario à la hongroise qui pourrait se dessiner de l’autre côté des Pyrénées.

Après Dubaï, la Grèce, le Portugal et l’Espagne, à qui le tour ?

Du point de vue strictement comptable, l’Angleterre ne nous apparaît pas mal placée comme candidate à une dégradation de notation… C’est peut-être ce qui a poussé Alistair Darling à proposer l’instauration d’une taxe de 50% sur les bonus versés aux traders et managers par les banques opérant à la City. Cette taxe concernerait également les filiales de firmes étrangères — ce qui est bien vu car les primes y sont souvent plus copieuses qu’à Wall Street, pour des raisons fiscales !

La taxe anti-bonus, le gouvernement français en a rêvé, le gouvernement britannique l’a fait !

Ce nouvel impôt (rassurez-vous, il est présenté comme temporaire, jusqu’en avril 2010, ce qui est l’apanage des taxes qui durent) devrait rapporter 600 millions de livres sterling. D’après nos calculs, ce serait trois ou quatre fois plus si la mesure était étendue jusqu’en décembre 2010 !

▪ La plupart des Etats occidentaux vont avoir besoin de beaucoup d’argent d’ici deux à trois ans pour éviter des turbulences sociales… Mais les recettes fiscales s’annoncent mauvaises car la croissance dans l’Euroland, par exemple, n’atteindrait plus que 0,3% sur les trois premiers trimestres de 2010 avant de remonter à 0,4% en fin d’année.

En ce qui concerne les taux, les économistes voient celui de la BCE maintenu à son niveau actuel de 1,0% jusqu’en octobre 2010 au plus tôt. Il serait ensuite relevé en douceur vers 1,5% fin décembre, puis à 1,75% d’ici mars 2011 et 2,0% à la mi-2011.

Parfait, c’est ce que nous appelons de la « visibilité » — alors que même la BCE ne semble avoir aucune idée précise au sujet de la pérennité de la reprise à un horizon de trois mois… mais cela n’a guère d’importance en réalité car c’est d’abord le marché qui fixe le coût de l’argent : regardez ce qui se passe en Grèce, au Portugal et maintenant en Espagne !

Croyez-vous que les investisseurs institutionnels internationaux vont continuer de financer ces pays contre une rémunération de seulement 3,5% sur 10 ans ? Et n’est-ce pas le genre de désagrément qui pend également au nez de l’Oncle Sam ?

Tenez, justement : le secrétaire américain au Trésor, Tim Geithner vient d’annoncer que le plan de renflouement des banques (TARP Fund) sera maintenu à leur disposition jusqu’au 3 octobre 2010. Il y a toutefois une réserve : « si nous prolongeons ce programme de 700 milliards de dollars, nous n’anticipons pas de déployer plus de 550 milliards émanant de ce fonds ». Voilà une précaution oratoire qui ne coûte rien et ne l’engage à pas grand-chose.

Cette réserve de sécurité — qui se reconstitue rapidement avec les remboursements annoncés ces dernières semaines — rassure peut-être certains investisseurs. Cependant, il est difficile de ne pas s’interroger sur les raisons qui justifient un tel prolongement alors que la situation semble se normaliser. Y aurait-il un risque sous-jacent de nouvelles difficultés et de pertes liées aux dérivés de crédit que le marché ignore ? (Dubaï, cela ne vous rappelle rien ?)

▪ Mais pas de raisons de paniquer. Les marchés ont digéré tout cela sans ressentir trop d’aigreur, comme en témoigne le repli de 0,75% du CAC 40 ou du DAX à Francfort.

La pilule S&P a eu en revanche un peu plus de mal à passer à Madrid (qui a dévissé de 2,3%). Les spécialistes du Forex pourraient bien finir par avoir raison de l’insouciance anticipée à l’occasion de la trêve des confiseurs : le dollar s’envole vers 1,468/euro et sort résolument de son canal baissier avec le débordement sans ambiguïté des 1,4750/euro.

Mais qu’est-ce qui vaut donc au dollar le dangereux privilège (pour les indices boursiers et le pétrole, qui replonge vers 70 $) de retrouver son rôle de valeur refuge ? Le billet vert serait-il devenu l’équivalent — légèrement teinté de bleu — du serin de la mine ?

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